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Frédéric Antonetti, le Corse bombé

Par Julien Rieffel et Pierre Vuillemot
Frédéric Antonetti, le Corse bombé

Ce mercredi soir, à Lorient, après deux mois de suspension, Frédéric Antonetti effectue son retour sur le banc d’un FC Metz en crise et bon dernier de Ligue 1. En février dernier face au LOSC, le Corse de 60 ans sortait de piste en voulant se faire Sylvain Armand et déplorant solennellement que, contrairement à d’autres, lui pâtirait du fait de ne pas être un de ces « entraîneurs BCBG ». Au cours de ses trente années de carrière, Fred a fait voyager son accent affirmé et ses humeurs saturées, au point parfois de fausser ce qu’il est intimement.

« Si j’étais ce que vous décrivez, est-ce que j’aurais fait 30 ans dans le football ? Est-ce que tous les clubs par lesquels je suis passé m’auraient fait resigner ?[…] Alors je dois rester calme. Je dois faire le beauf de service ! Chez les entraîneurs, vous aimez les BCBG. Moi, je ne suis pas BCBG et je ne le serai jamais », déclarait Frédéric Antonetti, le 18 février dernier, quelques minutes après avoir perdu ses nerfs et tenté de se faire Sylvain Armand, actuel coordinateur sportif du LOSC, alors que ce dernier avait eu la mauvaise idée de s’introduire dans la zone technique du FC Metz. Une nouvelle fois, le natif de Venzolasca apparaît comme le gueulard du football français. « Bien sûr qu’il regrette lorsqu’il s’emporte, confie José, l’un de ses meilleurs amis. Il regrette l’image qu’il donne de lui, surtout vis-à-vis des jeunes et de son petit-fils. Ça l’embête tellement.  »

Bien sûr qu’il regrette lorsqu’il s’emporte. Il regrette l’image qu’il donne de lui, surtout vis-à-vis des jeunes et de son petit-fils. Ça l’embête tellement.

Fred et José se sont connus au lycée Marbeuf, à Bastia. C’est aussi dans cet établissement que l’entraîneur et son fidèle adjoint, Jean-Marie De Zerbi, échangeaient leurs premiers ballons à la fin des années 1970. « Jean-Marie faisait la Coupe d’Europe le soir et jouait avec nous, dans la cour du lycée, la journée », ajoute José, devenu patron d’un bar régulièrement fréquenté par les anciens du Sporting Club de Bastia, dont Frédéric Antonetti. Contrairement à De Zerbi, dont la famille est décrite comme « bastiaise » et particulièrement bien intégrée dans la ville, Frédéric Antonetti, lui, loge à une trentaine de minutes de Bastia, à Venzolasca. Une éternité pour ce jeune homme passionné de football qui, tous les jours, enchaîne les navettes. « Il ne pensait déjà qu’au football, reprend José. Le matin, il arrivait de Venzolasca. À midi, il partait à l’entraînement. Après, il revenait au lycée et, enfin, courait pour prendre le bus qui l’emmenait au village. » C’est à Venzolasca, aussi, que son caractère se forge au côté, notamment, de son père menuisier. « Il était déjà un peu plus strict que les autres, ajoute son ancien camarade de classe. C’est aussi un homme profondément paysan, au sens noble du terme. Une personne ancrée à sa terre, qui sait d’où il vient. » Frédéric Antonetti n’oublie pas les siens. Aujourd’hui encore, l’entraîneur a ses habitudes dans ce village « aux multiples chapelles » décrit par Corse Matin comme « un miroir de l’architecture corse » dont l’originalité repose sur « sa rue principale, bordée de maisons traditionnelles ». C’est dans l’une d’elles que le désormais sexagénaire se repose et oublie, un temps, devant un feu de cheminée – un élément central dans les maisons du Corse aux dires de ses proches – les tumultes footballistiques. Et repenser, aussi, à ses amis du lycée qui, comme aime le dire José, n’étaient « pas des cerveaux, mais pas des imbéciles non plus ». Repenser, enfin, à cette vie de football qui l’a éloigné des siens pendant si longtemps. « Sa femme et lui sont passés par hasard, se souvient José, contant ses retrouvailles avec Frédéric il y a dix ans de cela. Ils se sont arrêtés et, finalement, il s’est juré de passer à chaque fois qu’il reviendrait en Corse. » Des années éloignées l’un de l’autre que le technicien tente encore de justifier à cet ami devenu aujourd’hui l’un de ses confidents les plus intimes. « Ça arrive qu’il me demande s’il est légitime pour venir me voir, livre José. Il se dit que l’on aurait pu être encore plus proches, que le football nous a éloignés. » Creusé, l’embarras révèle alors une facette méconnue de coach Anto. « Frédéric, c’est un timide maladif », continue José. Respectueux de ses silences tout comme de leur amitié forgée à l’adolescence, Jean-Marie Ferri, ancien coéquipier de Fredo à Bastia, saupoudre : « Sa timidité, je la remarque lorsque l’on se promène ensemble. Il peut volontairement préférer des rues où il y a moins de monde. C’est pour cela que, quand on le voit s’énerver, c’en est parfois rigolo. » Le patron du bar complète : « Il est toujours aussi réservé qu’au lycée. Après, celui qui le fait chier, s’il l’emmerde avec insistance, ça peut être sévère. »

L’autre Mou.

Installé au bord du zinc, dans son Bastia d’adolescence, où il y entraîna son SCB de toujours, de 1994 à 1998 puis de 1999 à 2001, et ce, après avoir porté la tunique bleue de joueur, Antonetti coupe avec le football, bien aidé par la présence de ses amis. Pour aller en ce sens, le gérant des murs a développé sa tactique au fil des saisons : « Moi, j’aime bien l’apéro, lui pas trop, plaisante-t-il. Parfois je lui dis,« Frédéric, on boit un peu de vin. Allez, un peu de vin ! »Après ça, il se lâche un peu. Lui boit un quart, moi le reste. » Mais plus que l’alcool, les lieux gardés par José entretiennent avant tout l’union de Frédéric avec les siens : ses amis, sa ville, son club et ses supporters.

Bouillon de culture et bourreau de travail

L’un d’eux se nomme Anthony Luciani. Ce membre fondateur du groupe de supporters Testa Morra a longtemps attendu avant de rencontrer l’une de ses idoles. À Noël, le miracle qui sent bon le téléfilm M6 se produit : Antonetti débarque pour l’apéro, Luciani est à l’affût, tandis que le patron, lui, s’occupe des présentations. « D’accord, je m’assois cinq minutes, mais on ne va pas refaire le monde ! », tempère sur le coup l’entraîneur du FC Metz. « Alors là, j’étais KO, se souvient cette figure historique des tribunes bastiaises. Je me dis« Ah putain… » » Ce qui devait durer une poignée de minutes se prolonge finalement de quelques heures. « Je la fais courte : il était 11 heures, c’est lui qui a commandé à manger, raconte Luciani. On a bu des bouteilles de vin et discuté football toute la journée. Moi, j’ai essayé de parler d’autres choses, mais il revenait toujours sur ça. Il n’arrêtait pas de me parler du Sporting . »

On avait des discussions politiques très fortes. Par exemple, il me questionnait souvent sur Jacques Chirac, que j’ai connu et avec qui j’ai travaillé.

Frédéric de Saint-Sernin garde pourtant en mémoire « bien plus qu’un simple mec en survêtement qui ne parle que de foot ». L’ancien président du Stade rennais, qu’Antonetti coacha de 2009 à 2013, a été marqué par un accent « qui ne ressemble à aucun autre, mais est d’une grande sincérité » : « On sent qu’il vient de loin, des profondeurs d’un terroir ». Au point de parler d’un « autre homme » qui se révèle derrière celui affiché en vitrine. « C’est si plaisant d’avoir des gens qui arrivent à sortir de cet univers si prenant et passionnant qu’est le football. Fred est intéressé par la diversité, le culturel, rapporte l’ancien Secrétaire d’État chargé de l’Aménagement du territoire dans le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin. On avait des discussions politiques très fortes. Par exemple, il me questionnait souvent sur Jacques Chirac, que j’ai connu et avec qui j’ai travaillé. » Luciani doit s’en mordre les doigts. D’autant plus qu’à Nice, où Fred pose ses valises de 2005 à 2009, c’est une autre figure de la Ve République qui anime les discussions entre le coach et son président, Maurice Cohen. « Il lisait pas mal de livres de l’époque, notamment sur le général de Gaulle, se souvient ce dernier. C’est un sujet sur lequel on pouvait discuter avec lui. C’est un homme intéressant, très cultivé. Puis, c’est surtout un bourreau de travail. Il était au club tous les matins, dès 7h30. »

Le divan chauve.

Le boarddu Gym, composé de Maurice Cohen et Roger Ricort, directeur sportif de 2005 à 2009, lui installe dans son garage, à sa demande, « un studio afin qu’il puisse analyser les matchs et les adversaires », décrit l’ancien DS, devenu depuis un ami du coach. « Si Fred m’appelle demain à 3 heures du matin, il fait partie des rares personnes pour qui je vais me lever. » Nabil, intendant sportif et grand frère des joueurs niçois depuis le début des années 2000, ne touche pas un mot des propos de Roger Ricort : « C’est quelqu’un qui m’aurait dit :« Nabil, va au feu pour moi ! Va là-bas, tu ne te brûleras pas »… Eh bien j’y serais allé. » Nabil était suffisamment proche de la famille Antonetti pour être parfois invité à dîner. Et si personne ne répondait, ce membre historique du club niçois prenait lui-même les devants. « Quand je devais aller chez lui, je me permettais de rentrer, car je savais où était le coach : dans son garage, à visionner les matchs. » Façon Leroy Jethro Gibbs – le verre de scotch en moins –, Frédéric Antonetti s’enferme dans son garage aménagé et passe ses soirées les yeux rivés sur le 4-3-3 de son prochain adversaire. « Après les matchs, il me parlait jusqu’à 4 heures du matin, se souvient Ricort. Je n’en pouvais plus… Je lui disais sans arrêt :« Décroche, Fred ! Décroche ! Va faire une thalasso ! » » Et Nabil d’attendre, clés à la main, la fin de ces réunions tardives afin de plier bagage. « Je pouvais rester jusqu’à 2 heures du matin, parce qu’ils étaient encore dans le bureau en train de parler. Ce sont des choses que l’on ne peut plus vivre de nos jours », conclut-il.

Le matin, il arrivait et nous disait : « Oh les gars ! J’ai revu le match trois fois… » On se regardait tous dans le vestiaire, on ne comprenait pas. On est rentré la veille à 1 heure du matin, il est 9 heures et il nous balance qu’il s’est retapé trois fois le match ?!

Jérémie Janot, qui a connu Antonetti à l’AS Saint-Étienne de 2001 à 2004, déballe :« Je ne pense pas connaître quelqu’un qui a vu plus de matchs de foot dans sa vie que lui. » Les lendemains de mauvaises performances à l’extérieur sont encore dans la mémoire de l’ex-gardien de but des Verts : « Le matin, il arrivait et nous disait :« Oh les gars ! J’ai revu le match trois fois… »On se regardait tous dans le vestiaire, on ne comprenait pas. On est rentré la veille à 1 heure du matin, il est 9 heures et il nous balance qu’il s’est retapé trois fois le match ?! » « C’est sa façon de vivre, confirme Michel Fontana, ancien attaquant du Grenoble Foot 38 et ami depuis 45 ans de l’entraîneur messin. Fred, c’est un mec qui dort très peu la nuit. Il ne fait que penser à son équipe, à ce qu’il peut améliorer. » Pour lui, aucun doute, l’engagement maladif de son copain a été moulé au cours des trois années passées par le duo à l’INF Vichy, le grand centre de formation de la Fédération française de football de l’époque. « Ce qu’on nous a appris là-haut, c’est qu’il faut être foot à 100%, commente Fontana, camarade de promotion (1979-1982) de Frédéric. C’est cet état d’esprit-là qu’on nous a inculqué : pour réussir, il faut que tu sois dedans à 100%. »

Le fond de l’air est Fred.

Cobayes et castagnes des années Vichy

En juin 1979, la majorité en passe d’être atteinte, Frédéric Antonetti quitte pour la première fois sa Corse natale. Il rejoint le continent, l’Allier précisément, avec, en tête, la perspective de lancer sa carrière de joueur professionnel. C’est ici, à Vichy, qu’il rencontre Véronique ; elle qui deviendra par la suite son épouse. À l’INF, quatre autres Bastiais l’accompagnent : Pierre Bianconi, Tony Cervetti, Jean-Marie Ferri et Michel Fontana. « Partir si loin et si tôt de nos familles, ça nous a tous rapprochés, confie ce dernier. On s’aidait moralement dans les moments difficiles, on était présents les uns pour les autres. » L’éloignement et le manque se confondent au fil du temps à la brutalité de certaines séances d’entraînement. « Le corps souffrait, souligne Fontana. L’INF était le laboratoire de la Fédération et nous, on était les cobayes. On testait tout ce qui pouvait se faire sur les joueurs. »

Il avait du mal à garder un poids stable. C’est celui qui devait bosser deux fois plus que les autres. Fred, c’est celui qui ne lâchait rien ; Vichy l’a forgé.

Parmi la trentaine de pensionnaires, l’un d’eux morfle particulièrement en raison de ses difficultés morphologiques. « Frédéric avait du mal à garder un poids stable, se souvient Noël Vidot, un autre camarade de promotion du Corse. C’est celui qui devait bosser deux fois plus que les autres. Quand on finissait le deuxième entraînement de la journée, il devait enchaîner sur un troisième. Fred, c’est celui qui ne lâchait rien ; Vichy l’a forgé. » Noël Vidot était un proche du « clan des Corses » . Lors d’un tournoi disputé à Colomiers, un mois seulement après l’arrivée de la promotion à Vichy, Pierre Michelin, l’un des instructeurs, constitue les chambres. Avec les Corses, il ajoute Noël Vidot, arrivé, lui, de l’île de La Réunion. Naît ainsi l’une des plus belles amitiés de la vie du Réunionnais. Il évoque aujourd’hui la clique, dont Fred Antonetti était « le chef de file », avec émotion et tendresse, la voix nouée : « Ils partageaient tout avec moi. Les Corses étaient les plus gâtés, ils recevaient de la charcuterie du pays et des vêtements de leurs parents. Ils me prêtaient des fringues, parfois même ils m’en donnaient. Je ne les remercierai jamais assez, ils étaient ma deuxième famille. »

INF Vichy, en 1980. Vidot, Ferri, Fontana et Antonetti sont présents sur cette photo, ainsi que Cervetti et Bianconi (archive personnelle de Jean-Marie Ferri).

Le temps passant, les carrières et la vie de famille ont apporté leurs lots de souvenirs, reléguant ainsi ceux de cette période vichyssoise. Très souvent, les anecdotes de groupe finissent par prendre le dessus. « Les cinq Corses étaient des protecteurs », ajoute Vidot. Un soir, la bande se rend au Greenfield Club, la boîte-bar la plus branchée de Vichy à cette époque. Fontana annihile d’emblée tout fantasme : « Fred et les boîtes, ça fait deux. On sortait très peu. » Ce soir-là, à l’entrée du night club, les cinq Corses et Vidot découvrent un jeune camarade de l’INF en sang. Il venait de se faire tabasser. Aussitôt, « les Corses vrillent », se souvient le Réunionnais. La bande rentre avec fracas dans la boîte. « Moi j’étais avec eux, je me permettais donc de faire le coq, plaisante Noël Vidot. Mais sur le moment, je me suis dit qu’ils étaient complètement timbrés. » Pierre Bianconi, porté disparu depuis 1993, mène le groupe. Vidot raconte : « Pierrot est monté sur l’estrade du DJ, a coupé la musique, pris le micro, et a donné rendez-vous dehors à ceux qui avaient frappé le jeune. Le Greenfield était comble, le parking plein à craquer. » Une vingtaine de Vichyssois sortent. Les Corses les suivent et déclenchent une castagne de légende. Le résultat ? « Ils ont explosé tout le monde. Tous les gars de la ville ont taillé, s’esclaffe Noël. C’est difficile de trouver de la tendresse là-dedans, et pourtant… Ils ont agi comme cela car on avait touché à l’un de leurs petits. »

Vient alors à l’esprit la célèbre maxime du rappeur Gradur : « Touche un membre de ma clique, tu verras qu’on n’est pas tout seuls. » Vidot partage à peu près cette inspi fumeuse : « Il est protecteur, et je comprends quand il devient violent. Autant il va gueuler sur ses joueurs, mais si quelqu’un s’en prend à eux, alors il risque de s’énerver. » À Saint-Étienne, un moment rare de vestiaire est resté dans la tête de certains joueurs de l’effectif 2003-2004. Hérita Ilunga, lancé cette saison-là en pro par le coach corse, s’en souvient parfaitement. À la fin d’une rencontre, « contre Créteil », croit se souvenir l’arrière latéral, passé par la suite par Toulouse et West Ham, le vestiaire stéphanois assiste à une scène puissante. « Caïazzo et un élu de la ville ont critiqué un joueur devant le coach, à l’entrée du vestiaire. Nous, les joueurs, on a tout entendu. D’un coup, le coach se met à crier et leur demande de sortir immédiatement.« Personne ne parle mal de mes joueurs, s’il y a une critique, c’est à moi de la faire ! »Quand on a entendu cela, on s’est dit qu’on irait au feu pour lui. » Quelques mois plus tard, cette anecdote prend des allures de symbole. Malgré une remontée en Ligue 1, des tensions avec les actionnaires du club précipitent le départ du directeur sportif et ami de Frédéric Antonetti, Christian Villanova. « Officiellement, Christian n’était plus souhaité après la montée, se souvient Nicolas Dyon, préparateur physique de Saint-Étienne à cette époque. Dans les faits, Frédéric savait que c’était lui qui était visé. Ils connaissaient la personnalité de Frédéric. En touchant Christian, on touche Fred. » Touche un membre de ma clique, tu verras qu’on n’est pas tout seuls : le coach démissionne.

Saint-Étienne 2004, avec un Hognon façon pissaladière.

Antonetti se définit comme un formateur-bâtisseur et non pas comme un entraîneur. Il adore le challenge de former des joueurs. Ça correspond à sa façon de voir le foot.

Au nom des pères, des fils et de l’esprit d’équipe

« C’est quelqu’un de juste et de droit, analyse Jérémie Janot. Il m’a toujours dit, avant de me lancer en numéro 1 :« Je ne sais pas quand, mais je vais te donner ta chance, à toi de la saisir. » Et il l’a fait ! » Spider-Janot tient toutefois à tempérer, Fred n’est « pas gentil pour être gentil ». La balance doit se faire. Pour cela, de l’exemplarité, de l’implication et une exigence qui, par moments, frôle le maladif, là encore. « C’est quelqu’un de tellement exigeant envers lui, qu’il n’accepte pas que les autres ne le soient pas autant, livre l’ancien portier. Aujourd’hui, je me rends compte que je peux parler à mon fils comme Fred me parlait à moi, à l’époque. » Un autre ancien joueur de Frédéric Antonetti se sert du sage de Venzolasca pour éduquer la nouvelle génération : Matt Moussilou. Arrivé à Nice en provenance du LOSC à l’été 2006, contre 3,8 millions d’euros (le transfert le plus cher du club azuréen à cette époque), Moussilou n’a jamais répondu aux attentes du club… et du coach. « Avec le recul, désormais, je suis un petit peu gêné de ne pas lui avoir rendu tout ce qu’il a fait pour moi », commente l’homme au hat trick le plus rapide de l’histoire de la Ligue 1. De l’aventure niçoise de Matt Moussilou ressort forcément les encouragements légendaires apportés par son entraîneur avant son entrée en jeu contre l’OM. « La fameuse vidéo YouTube où il me gueule dessus ? Mes enfants me chambrent là-dessus aujourd’hui, plaisante l’ancien attaquant. Moi, je le prends à la rigolade et j’en suis même finalement fier. Je l’explique à mes enfants : ça montre qu’il comptait sur moi et que je comptais pour lui. » Une méthode, une hargne et une exigence auxquelles Antonetti a lui-même goûté, en tant que joueur, de la part de quelques-uns de ses formateurs. L’un d’eux, Pierre Michelin, revient inlassablement dans les propos des proches de l’entraîneur corse. « C’était quelqu’un de dur. On en a bavé avec lui, mais c’était pour notre bien, explicite Jean-Marie Ferri, ancien coéquipier de Frédéric à l’INF Vichy, là où officiait Michelin. Il disait tout ce qu’il avait à nous dire devant tout le groupe. Je me souviens de cette phrase :« Si je ne vous dis rien, que je vous laisse faire, c’est que je ne m’intéresse pas à vous. Si je le fais, c’est pour votre bien. Je veux votre réussite. »  » Le second, Barthélemy « Bébé » Giamarchi, est plus confidentiel, connu exclusivement des amis d’enfance du technicien. « Il a été notre premier éducateur au Sporting, débute Ferri, qui fut un temps entraîneur de l’équipe B du SCB. On le considère un peu comme un père pour nous. Même 40 ans plus tard, je continue à parler de lui avec Frédéric. Quand on est marqué par une personnalité comme Bébé, je pense qu’on essaye de reproduire ce dont on se souvient de lui. » Éducateur passionné et formateur profondément humain, tel était « Bébé » Giamarchi pour des générations de joueurs bastiais. Un homme dont les enseignements semblent toujours poursuivre Antonetti au regard des dires de ses anciens joueurs. « J’ai discuté plusieurs fois avec lui. Il se définit comme un formateur-bâtisseur et non pas comme un entraîneur, commente Yann Lachuer, ancien milieu de terrain du SC Bastia. Il adore le challenge de former des joueurs. Ça correspond à sa façon de voir le foot. »

Demi-finale de Coupe de la Ligue avec Bastia contre le PSG, en 2000.

Enfant du cru, François Modesto se souvient de la venue d’un Frédéric Antonetti, jeune trentenaire et formateur au Sporting, chez lui, face à sa mère et sa grand-mère, afin de le faire signer au centre. « J’avais 14 ans, ma mère n’y connaissait rien au football. Elle m’a demandé ce que je voulais faire, et j’y suis allé(au Sporting, NDLR). Frédéric est rapidement devenu entraîneur de l’équipe première, mais il continuait à me suivre. » Au point de le faire débuter, en février 1998, à l’âge de 19 ans, face au Monaco d’Henry, Trezeguet, Benarbia et Barthez. « C’est de loin le meilleur souvenir pour symboliser ma relation avec Frédéric, se souvient-il. Frédéric, qui ne m’avait pas prévenu avant le match, me dit :« François, des Monaco-Bastia, tu as l’habitude d’en jouer en CFA 2, non ? Bah ce soir, tu fais comme en CFA 2 ! J’ai confiance en toi. »Ça m’a totalement libéré. » Une histoire qui se répétera maintes fois par la suite, de Saint-Étienne à Rennes en passant par Nice : Yann M’Vila, Hugo Lloris, Ederson, Yacine Brahimi ou encore Jun’ichi Inamoto seront tous lancés dans le grand bain par le coach chauve.

Il a vu ma Mercedes SLK, me l’a montrée et m’a dit : « Ta voiture est très belle, tu es fier de toi de la posséder à ton âge ? » C’était une manière de m’encourager à rester performant et de donner le meilleur de moi-même, en passant par l’ironie.

Loin de son Île de Beauté, Frédéric Antonetti s’envole pour le Japon, à l’été 1998. Accompagné de Christian Villanova, le Corse prend les rênes du Gamba Osaka, le temps d’une saison. « Au début de son séjour ici, il semblait avoir du mal à s’adapter, se souvient Tsuneyasu Miyamoto, ancien international japonais aux 71 sélections et coéquipier d’Inamoto. Il y avait un énorme fossé entre les Japonais et les Français en matière de culture, sur et en dehors du terrain. » Le défenseur central n’a que 21 ans quand il croise la route du Corse. Forcément, à cet âge, ça marque. « Il organisait des réunions tactiques avant chaque entraînement pour que les joueurs comprennent les objectifs de la séance, détaille aujourd’hui le membre du comité exécutif de la fédération japonaise. C’était intéressant pour moi, je n’avais jamais eu ce genre de réunion depuis que j’étais devenu pro. » Au-delà des terrains, dans le cloître du vestiaire, père Frédéric prêche ses enseignements de bonne morale aux jeunes joueurs locaux : « Je me souviens d’une conversation sur ma voiture, raconte Miyamoto, devenu par la suite capitaine emblématique du Gamba Osaka. Il a vu ma Mercedes SLK, me l’a montrée et m’a dit :« Ta voiture est très belle, tu es fier de toi de la posséder à ton âge ? »C’était une manière de m’encourager à rester performant et de donner le meilleur de moi-même, en passant par l’ironie… »

« Un figatellu, deux figatelli, trois figatelli, quatre figatelli… »

C’était mieux avant ?

Nicolas Dyon fut l’un des spectateurs privilégiés de l’évolution de Frédéric Antonetti. « Plus que coacher une équipe, son premier plaisir est de développer le joueur, valide l’ancien préparateur physique des staffs du Corse, de 2001 à 2013. Je me souviens d’une phrase qui a marqué ma carrière :« Quand on arrive dans un effectif, on a la responsabilité de le faire progresser. »On devait se demander si, à la fin d’une saison, les joueurs avaient progressé dans tous les domaines. » Les deux hommes se sont connus par hasard à Saint-Étienne, alors que Dyon revenait d’une expérience au Qatar. Après trois saisons dans le Forez, le préparateur refuse un contrat du club pour suivre Antonetti, sans savoir de quoi sera fait leur futur. Avant de signer pour l’OGC Nice, les deux hommes apprennent à se connaître sur les routes du pays. « Pendant le chômage, on allait voir quatre matchs par semaine. On allait à Lyon, à Marseille, à Châteauroux ou à Clermont. C’était invraisemblable, se remémore-t-il. C’est comme cela qu’il avait anticipé son recrutement, avec des joueurs comme Fanni ou Baky Koné, sans savoir dans quel club il allait signer. On passait tellement de temps sur les routes que l’on pouvait discuter et apprendre à se connaître. »

Quand je l’ai retrouvé à Rennes, il m’avait avoué qu’il ne pouvait plus s’adresser aux joueurs de la même façon qu’à Sainté. Il me disait : « Je ne suis plus le même. » Ce n’était pourtant pas lui qui avait changé en tant que personne, mais il a dû s’adapter à l’environnement et l’époque.

Une vie de football rythmée par des centaines de DVD de matchs enregistrés et ponctuée d’entraînements développés selon les besoins spécifiques des joueurs, de travaux en groupe de plusieurs heures selon les postes des uns et des autres ainsi que de séances vidéo individuelles jugées centrales pour le développement sportif et humain des siens. « Ces séances permettaient d’évoquer les matchs, mais aussi d’avoir une relation privilégiée avec le joueur, explicite ce compagnon de route. Il pouvait se confier, et cela a été une évolution dans la méthode de Frédéric à partir de Nice. » Au point de laisser une trace toujours perceptible dans la vie de certains de ses anciens clubs, joueurs ou collègues de travail. « Je ne me suis jamais senti comme un ouvrier avec Antonetti, explicite en ce sens Nabil, avant de revenir sur l’aspect paternel de l’entraîneur. Il avait une vraie qualité dans la gestion humaine. À 20 ans, les joueurs qui arrivaient étaient encore des gamins. Ce n’était pas simple pour eux. » Des dires rappelant certaines positions de l’entraîneur vis-à-vis du transfert de Pape Matar Sarr vers Tottenham ; départ qu’Antonetti jugeait en avril dernier comme prématuré. « Avant, il y avait moins d’exposition des jeunes joueurs vis-à-vis des autres clubs. Les voir partir ailleurs, ça l’agace », commente à ce sujet Nicolas Dyon.

Salade de phalanges.

« Quand je l’ai retrouvé à Rennes, j’ai tout de suite vu une différence dans sa manière d’échanger avec les joueurs, informe en ce sens Hérita Ilunga. Il m’avait avoué qu’il ne pouvait plus s’adresser aux joueurs de la même façon qu’à Sainté(au début des années 2000, NDLR). Il me disait :« Je ne suis plus le même. »Ce n’était pourtant pas lui qui avait changé en tant que personne, mais il a dû s’adapter à l’environnement et l’époque. » Dans le privé, ces aspects de déconnexion à l’époque étaient déjà abordés par Frédéric Antonetti au fil de discussions avec son ami niçois Roger Ricort, dont la verve rappelle le franc-parler du Corse : « À notre époque, les joueurs allaient dans le vestiaire, se foutaient dans un coin et fumaient une clope. Aujourd’hui, tu as tout le monde sur son téléphone. Je voyais que ça pouvait le toucher, que ça lui enlevait de l’énergie. Alors, je lui disais :« Mais, putain, Fred, qu’est-ce que tu en as à foutre, ce ne sont pas tes enfants ! »  » Si l’analogie paraît caricaturale, elle marque surtout la réduction des strates dans lesquelles un entraîneur peut se loger afin de forger, polir et donner de la matière à de jeunes joueurs. Laurent Huard, ancien homme fort du centre de formation rennais lors du passage d’Antonetti, rappelle qu’aujourd’hui, « il y a énormément de monde dans l’entourage de ces jeunes. Il n’y a donc plus de place pour ce côté humain, paternel et réconfortant. Ce n’est plus nécessaire comme à une certaine époque. »

Son métier, c’est son oxygène. Il peut lire des bouquins ou que sais-je, mais 80% de sa vie, c’est le football.

Metz around

Le souffle coupé, l’estime irritée, Frédéric Antonetti s’est installé en conférence de presse d’avant-match, ce vendredi 17 avril, avec l’envie d’en découdre. La faute à une récente publication du Républicain lorrain évoquant, par l’intermédiaire d’un « familier du vestiaire », des tensions internes au sein du club ainsi qu’une distance naissante entre le coach et son groupe. La discorde semée, l’entraîneur corse s’est ensuite livré – sur un club, ses regrets et ses espoirs. Sur lui, aussi, sur cette « situation qui[le]hante » et ce métier tantôt refuge, tantôt asphyxiant. Un exercice de communication peu maîtrisé d’un homme à la vie consacrée au football. Non pas pour la gloire ou les trophées, mais avant tout par respect d’une passion devenue dévorante. « Son métier, c’est son oxygène, souligne Roger Ricort lorsque l’on évoque avec lui le rapport de l’entraîneur à « son » football. Il peut lire des bouquins ou que sais-je, mais 80% de sa vie, c’est le football. » « On en a déjà discuté, confesse José à ce sujet. Il a été happé par le football. Il a réussi sa vie grâce à lui, mais il est passé à côté de certaines choses. Ça lui arrive de me dire que j’ai une vie rêvée, quand il me voit dans mon bar, en train de servir, il me dit souvent qu’il se régale à me regarder… »

Un métier qui, aussi, l’a amené à mûrir au fil de ses expériences sur le continent. « Comme je lui fais parfois remarquer, lance José, ses premières conférences de presse[à Bastia], il les faisait tête basse. Il avait du mal avec la caméra. Il cherchait ses mots et bafouillait. » Une évolution perceptible au regard de cette récente sortie médiatique d’avant-match décisif pour le maintien, dimanche dernier face à Clermont (1-1). Malgré les tentatives de réponses apportées, le peuple grenat désespère : « Notre descente est quasiment actée, on le sait, lâche Graouz, capo de la Horda Frénétik 97, l’un des deux groupes ultras locaux. Il y a une forme de résignation, de tristesse chez les gens qui vont au stade. On n’a gagné qu’un seul match à domicile. » Habitués du yo-yo Ligue 1-Ligue 2, les supporters tentent de se faire entendre par l’intermédiaire d’actions symboliques. Contre Clermont, les travées Ouest du stade Saint-Symphorien, qui hébergent l’autre groupe ultra, la Gruppa, affichaient des banderoles aux messages limpides : « Logo dégueulasse ; Recruteurs dégueulasses ; Allez vous faire foutre ». Deux semaines auparavant, la Horda déployait un lot de missives, visant les joueurs, la direction et l’entraîneur : « F. Antonetti, enlève ta coquille, Calimero a assez pleuré ».

Les joueurs choisis par Antonetti se font dézinguer en off par la direction sportive et, à l’inverse, on a déjà entendu Antonetti dire qu’il n’était pas au courant de l’arrivée de certains joueurs. V’là l’ambiance…

Graouz commente l’action de son groupe : « On a utilisé l’image de Calimero car Antonetti se plaint de l’arbitrage, du staff médical, du recrutement. On a l’impression qu’il n’assume pas ses responsabilités, mais comme l’ensemble du club. Ce n’est pas seulement le coach qui est visé, c’est le triptyque. Ces dernières semaines, le club est fait de règlements de compte, personne n’est dans le même bateau. C’est à nous, supporters, de les remettre sur de bons rails, pour l’intérêt du club. » Allusion est alors faite à quelques interrogations de supporters à l’encontre de Pierrick Antonetti, fils de, avocat et mandataire sportif de joueurs présents au club – d’après le site spécialisé TransferMarkt. « Nous, on ne lui en veut pas d’avoir dans son effectif quelques joueurs représentés par son fils, cadre toutefois l’amoureux du FC Metz. Le problème, ce sont les guerres d’ego qui en découlent. Les joueurs choisis par Antonetti se font dézinguer en off par la direction sportive et, à l’inverse, on a déjà entendu Antonetti dire qu’il n’était pas au courant de l’arrivée de certains joueurs. V’là l’ambiance… »

Poste de prédilection.

Dimanche dernier, l’ambiance, justement, était particulièrement fade le long de la Moselle. La Horda n’était pas présente en tribune, la faute aux fêtes de Pâques, mais surtout au manque d’engouement général et à une réelle fracture entre la direction grenat et ses supporters. Un tableau qui tranche avec les mots du Corse, qui définit le club comme « proche des gens ».

Sa femme a eu une grande importance dans sa carrière. [Sa disparition] est une cicatrice qui ne se refermera jamais. Mais c’est dur d’en parler, même pour nous. Fred, il en souffre encore. Et c’est normal.

« S’il n’avait pas la force, il n’y serait pas retourné »

L’histoire commune entre Frédéric Antonetti et le FC Metz est connue. Arrivé en Moselle en 2018, l’ancien coach lillois y traverse une période douloureuse, de décembre 2018 à juillet 2020, lorsqu’il accompagne son épouse dans la maladie, jusqu’à son décès. « Sa femme a eu une grande importance dans sa carrière, raconte pudiquement Jean-Marie Ferri. [Sa disparition] est une cicatrice qui ne se refermera jamais. Mais c’est dur d’en parler, même pour nous. Fred, il en souffre encore. Et c’est normal. » Après 22 mois d’intérim assuré par Vincent Hognon, Frédéric Antonetti revient finalement sur le banc en octobre 2020. Du football, encore, mais sous d’autres conditions. « Cela fait 40 ans qu’il a donné sa vie pour le football. Il n’y arrivait plus comme avant, informe José, lui aussi tout en retenue. Avec Bernard Serin(président du FC Metz, NDLR), il a posé ses conditions pour revenir en Corse certaines semaines. Il reste deux jours afin de profiter de ses amis, de sa famille et de son village. Tout cela pour ne plus être happé comme cela pouvait l’être auparavant. »

José et Jean-Marie, eux, sont présents pour Frédéric à chacune de ses venues sur l’île. L’entraîneur y vient boire le café et déjeuner avec ces deux amis. Entre mer et montagne, d’un bar bastiais aux silences venzolascais, les vœux d’amour et les liens d’amitié continuent à perdurer. Et l’ambiance est un peu plus paisible qu’au Greenfield Club de Vichy.

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Par Julien Rieffel et Pierre Vuillemot

Tous propos recueillis par JR et PV.

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