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Francis Smerecki, mort d’un commis footballeur

Par Nicolas Kssis-Martov
Francis Smerecki, mort d’un commis footballeur

Francis Smerecki nous a quittés ce jeudi à l'âge de 68 ans, des suites d'une longue maladie. Ce nom n'est certes pas connu du grand public, mais nous perdons un peu plus qu'un excellent formateur et entraîneur. C'est finalement une certaine idée du foot qui s'en va avec lui. Joueur modeste et fidèle, puis entraîneur reconnu qui a notamment veillé sur l'éclosion de l'actuelle génération doré des Griezmann et consorts, il a avant tout été de cette catégorie d'éducateurs qui ont servi le foot plus qu'ils ne s'en sont servis. Smerecki n'a jamais cherché le renom, aussi bien à Guingamp, à qui il a fait découvrir l'ivresse de l'Europe, qu'à la FFF, où il a peut-être été le dernier grand serviteur du foot français, comme il existait auparavant des grands commis de l'État.

En ces temps où le foot français semble se diviser à la moindre occasion, l’annonce du décès de Francis Smerecki a suscité une communion sans fausse note pour rendre hommage à ce grand monsieur. Peut-être un consensus de façade, diront les mauvaises langues. Néanmoins, cet hommage à l’unisson s’avère exceptionnel. Noël Le Graët notamment, qui fut son président à l’EAG puis à la FFF, a immédiatement témoigné son affliction après la triste nouvelle : « J’ai pu personnellement apprécier pendant six années ses qualités humaines lorsqu’il a dirigé l’En avant de Guingamp en tant qu’entraîneur. C’était un ami. La Fédération et le football français perdent une personnalité et un formateur de grande compétence. Nous adressons nos plus sincères condoléances à sa femme et à ses proches. »

L’émotion de Griezmann et Benjamin Mendy

Il fut immédiatement rejoint par tous ceux – et ils étaient nombreux – qui ont croisé la route de ce travailleur de l’ombre qui a parcouru de long en large l’Hexagone des clubs de seconde zone avant de reprendre la main sur les sélections de jeunes. Antoine Griezmann pour sa part a ainsi souligné à quel point « il avait compté pour lui » , surtout en lui donnant l’opportunité de porter pour la première fois le maillot bleu « alors qu’à l’époque, personne ne (l)e connaissait vraiment en France » .

Benjamin Mendy a renchéri dans le registre de l’émotion et de la dette personnelle : « Hier encore, j’en parlais en interview… Triste d’apprendre son décès. Reposez en paix M. Smerecki, grand monsieur qui m’a aidé à grandir dans le foot et à côté. » Enfin Didier Deschamps, qui l’avait emmené au Brésil pour superviser les adversaires des Bleus – c’est dire l’estime professionnelle dans laquelle il le tenait – a rappelé son rôle dans « le football français et l’équipe de France (qui) lui doivent beaucoup : il était un pilier de la formation des entraîneurs et de nombreux internationaux A sont passés entre ses mains dans les sélections de jeunes » .

Des usines de chez Renault à un Guingamp-Inter

Francis Smerecki vient pourtant d’un foot dont on ne parle plus trop. D’une autre époque et d’une autre mentalité. D’une autre culture aussi, qui sait. En tout cas, loin des droits TV à milliards, des secrets du mercato ou encore des guéguerres pour les postes de direction. Originaire du Mans, où il enfila ses premiers crampons, il turbine encore derrière les chaînes de production aux usines Renault quand il finit par choisir le ballon rond pour gagner sa vie. À l’instar d’Aimé Jacquet, il incarnait un foot qui avait encore les deux pieds plantés dans la classe ouvrière. Joueur fiable et honnête, il va naviguer entre le Stade lavallois, le Paris FC puis Limoges, où il commence finalement sa vraie carrière, celle d’entraîneur.

Ce sera son sacerdoce, ou plutôt, dans un registre laïc ou gaulliste, sa charge. Avec souvent la mission de sauver les meubles et de retrouver l’élite. Il remonte Valenciennes-Anzin en D1, et surtout porte à bout de bras la renaissance de l’EAG. Ce dernier passe sous son « enseignement » du National à la première division. Avec deux points d’orgue. En 1996, les Bretons découvrent la Coupe d’Europe, triomphent en Intertoto et s’en vont défier l’Inter de Milan de Javier Zanetti. La marche est trop haute, l’exploit demeure malgré tout dans les mémoires. Nous sommes la patrie des défaites glorieuses. L’année suivante, il échoue de peu devant l’OGC Nice en finale de la Coupe de France (1-1, 4-3 tab).

L’homme qui a dit non aux quotas

Son plus beau palmarès, il va l’engranger lorsqu’il rejoint en 2004 la Fédération pour s’occuper des sélections de jeunes. Avec les U19 en 2010, il récolte enfin les fruits de deux décennies au service du foot tricolore en gagnant l’Euro avec les moins de 19 ans (et donc Antoine Griezmann ou encore Alexandre Lacazette). Une consécration qui détonne avec son désir d’anonymat, de rester en retrait, l’essentiel étant le sentiment de bien faire les choses, aux joueurs de sourire aux caméras. Toutefois, loin de son image d’homme tranquille et discret, il a su aussi se faire entendre quand il fallait donner de la voix et défendre ses valeurs.

Nous sommes le 8 novembre 2010 lors de la fameuse réunion de la DTN de la FFF, au cours de laquelle fut émise, sans que quiconque ne s’aperçoive de l’énormité au départ, l’idée d’instaurer des quotas de joueurs « binationaux » . Smerecki n’hésitait pas à affronter Laurent Blanc, alors sélectionneur des Bleus, lui expliquant son destin de fils « d’immigrés polonais » , et tout ce que ces Français d’ailleurs avaient apporté au foot. Il mit surtout un point d’honneur à ramener le foot dans la République en disant simplement à quel point cette mesure était « discriminatoire » , que tous les citoyens étaient égaux. On se demande si Laurent Blanc a depuis compris. Il ne reviendra presque jamais sur l’affaire sinon pour justifier sa démarche, son éthique : « On a le droit de défendre une philosophie de jeu, on a le droit de voter à gauche, à droite, d’avancer des idées, mais aussi de donner un avis contraire sur certaines idées, sur des points qui nous tiennent à cœur. » Merci.

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