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France-Portugal : qu’on nous donne l’ennui

Par Clément Gavard, au Stade de France
France-Portugal : qu’on nous donne l’ennui

Au-delà du 0-0, la prestation de l'équipe de France contre le Portugal a rappelé que le feu d'artifice contre l'Ukraine, dans un match sans enjeu, était plus une anomalie qu'autre chose. Malgré un réservoir à faire rougir de nombreuses sélections, ces Bleus ne sont pas là pour faire le spectacle.

Dans le monde des Bleus de Didier Deschamps, les affiches les plus attendues n’accouchent pas souvent des parties les plus abouties, surtout quand elles se jouent entre deux compétitions internationales. Après le feu d’artifice contre l’Ukraine mercredi soir dans un match sans enjeu, ce France-Portugal ressemblait à une belle promesse. Celle d’en savoir plus sur cette équipe de France, toujours aussi difficile à déchiffrer, et sur son comportement face à un adversaire de taille. C’est raté, il faudra encore patienter. Car dans la froideur d’un Stade de France privé de son public, à l’exception d’un petit millier de personnes dont une centaine de costauds qui ont donné de la voix devant une drôle de banderole à la gloire de Dunkerque, Griezmann et ses copains n’ont pas réchauffé grand monde. Au point de laisser des regrets à Fernando Santos, le technicien portugais : « Je pense qu’on a été légèrement supérieurs. Il nous a manqué de la profondeur et plus d’impact pour aller vers le but adverse. Je pense que si on avait fait ça, on aurait pu gagner ce match, mais la France est une grande équipe. Cela dit, je pense qu’on aurait pu les avoir. Cela n’a pas été un grand spectacle, on aurait pu faire mieux. » Dimanche soir à Saint-Denis, le Portugal n’est donc pas parvenu à refaire le même coup qu’en 2016, malgré une allure bien plus sexy qu’il y a quatre ans. Les champions du monde, eux, ont retrouvé leur routine déprimante sur le terrain comme dans les mots.

Le bal des banalités

Quand on ne peut pas gagner, il faut savoir ne pas perdre.

Comme si cela ne suffisait pas, l’ennui s’est donc prolongé dans les sous-sols de l’enceinte dyonisienne mercredi soir. Pas de surprise, Didier Deschamps étant un grand spécialiste de la langue de bois. Et à l’image de son équipe sur la pelouse, le sélectionneur n’a pas voulu se livrer face à la poignée de journalistes. « Non, il n’y a pas de frustration après ce match. Le score me paraît logique, vu ce qui s’est passé sur le terrain, a commencé le taulier des Bleus en faisant la moue. C’était un match très solide, très tactique. Les deux défenses ont pris le pas, même s’il y avait des joueurs de qualité offensivement. Il y a eu peu de décalages, peu d’occasions, mais ça n’a pas été un mauvais match des deux côtés. Il faut dire qu’ils ont bien défendu, mais les mouvements n’étaient pas non plus suffisants ou les passes n’arrivaient pas. Je m’attendais à ce type de match face à une équipe compacte. » Les mots ne sortent pas par hasard, ils sont symboliques. Et quand le terme « solide » ne cesse de revenir, ou que le fameux « quand on ne peut pas gagner, il faut savoir ne pas perdre » est prononcé par Deschamps et Pavard à quelques minutes d’intervalle, ce n’est pas bon signe.

 Offensivement, on a joué avec le frein. Je trouve qu’on ne s’est pas trop lâchés. On aurait peut-être dû plus appuyer les attaques et leur faire plus mal.

Mais voilà, ces Bleus ne sont pas là pour donner. Deschamps reste un mur sur lequel les questions viennent s’écraser. Les réponses sont prêtes depuis longtemps, ce sont d’ailleurs souvent les mêmes. « On peut toujours mieux faire », par exemple, est un grand classique du langage DD. Dans les souterrains du Stade de France, le sélectionneur a aussi brossé dans le sens du poil ses joueurs, de Pogba à Rabiot en passant par Lloris. Puis, il a laissé sa place à Pavard, dont le discours terriblement formaté a vite rappelé celui de son prédécesseur sur l’estrade. Attention, poncifs : « On a fait un match solide, tous ensemble. Maintenant, il faut récupérer pour être prêts pour la Croatie.(…)C’est sûr qu’on aurait voulu gagner, après on prend un point, c’est bien.(…)Je suis très heureux de porter ce maillot. À chaque fois, c’est un honneur et une fierté de représenter la France. » Oui, ces Bleus sont chiants jusque dans les discours, il faudrait s’y habituer. Dans le ronronnement général, il aura fallu attendre l’intervention d’Adrien Rabiot sur la chaîne L’Équipe pour avoir le droit à un éclair de lucidité (ou d’honnêteté) : « Il y a de la satisfaction et de la déception. On a été solides défensivement, mais offensivement, on a joué avec le frein. Je trouve qu’on ne s’est pas trop lâchés, même s’ils ont été costauds aussi. On aurait peut-être dû plus appuyer les attaques et leur faire plus mal. »

Statu quo et flou collectif

Ce qui nous amène à nous tourner vers le terrain, puisque cela reste le plus important. Qu’est-ce qu’on retiendra de ce match de l’équipe de France ? Pas grand-chose justement, si ce n’est qu’elle n’a pas perdu son goût pour les purges. Sur la route des hommes de Deschamps, le Portugal était peut-être l’adversaire le plus redoutable affronté en rencontre officielle depuis les doubles confrontations contre l’Allemagne et les Pays-Bas à l’automne 2018. Résultat : les Bleus n’auront pas appris grand-chose, et c’est bien dommage. La première période soporifique (1 tir cadré seulement et 68 pertes de balle côté France) n’a pas été effacée par un deuxième acte un poil plus nerveux. « On a terminé à peu près à égalité sur les statistiques que vous aimez bien (10 tirs dont 3 cadrés de chaque côté au coup de sifflet final, N.D.L.R.), a ironisé Deschamps. On a quand même eu un peu plus de maîtrise en deuxième période, sans pour autant créer les décalages. » Solide défensivement, à l’image d’un Kimpembe en mode maestro, le champion du monde en titre n’a jamais semblé capable d’emballer la partie, ou même de bousculer cette équipe portugaise.

La faute à un manque de projection, mais aussi à une panne d’inspiration chez les joueurs offensifs. Si Pavard et Hernandez, les deux latéraux, ont parfois délaissé leurs couloirs pour jouer vers l’intérieur, les milieux ont eux touché beaucoup de ballons (93 pour Kanté, 99 pour Pogba, 85 pour Rabiot et même 82 pour Griezmann qui a souvent décroché) sans réussir à les bonifier. La Pioche a bien essayé de faire des différences en alternant entre jeu court et jeu long, mais ça n’a pas vraiment fonctionné, alors que Tolisso et Camavinga ont gardé leur chasuble, le sélectionneur refusant de « changer pour changer ». Reste la question du duo d’attaque Giroud-Mbappé, trop discret et jamais complémentaire quand un Ben Yedder aurait pu apporter plus de mobilité. « La perfection, on ne va jamais l’atteindre, mais si on peut s’en rapprocher, on ne va pas se priver, a tranché Deschamps au moment d’enfoncer une nouvelle porte ouverte. Dans le positionnement, Olivier a été dans son registre, Antoine a été mieux en deuxième période et c’est vrai qu’on a moins vu Kylian. C’est évident qu’on peut faire mieux, ça a souvent été le cas. » Sans remettre en question la présence indispensable de certains cadres, Deschamps ne gagnerait-il pas à envoyer un coup de pied dans ses propres certitudes en faisant apparaître de nouvelles têtes dans le onze lors des matchs qui comptent ?

Les faillites individuelles n’ont pas pu être sauvées par le collectif. Après la démonstration contre l’Ukraine, Deschamps avait promis qu’il « en profiterait jusqu’au mois de novembre pour sortir de ce qu’on a l’habitude de faire ». Comprendre, le pragmatique de service n’est pas si fermé que ça à l’idée de jongler entre les systèmes. Le 3-5-2 du mois de septembre aura laissé place au 4-4-2 losange en octobre, le schéma utilisé contre l’Ukraine et le Portugal, n’offrant là encore aucune certitude au patron des Bleus. « Le problème, ce n’est pas le système en lui-même, ça aurait pu se passer moins bien si on avait joué autrement, s’est imaginé Deschamps après le 0-0. C’était un match assez verrouillé des deux côtés, même si je n’avais pas spécialement demandé plus de prudence. Le système nous a quand même permis d’avoir la possession, surtout en deuxième période, mais sans qu’on parvienne à créer le danger. » Griezmann confirme, la France tâtonne : « C’est un nouveau système qu’on met en place. On essaie de se trouver avec Kylian. Il y a eu deux occasions où j’aurais pu la lui donner, mais j’ai choisi un autre joueur. Il faut essayer de travailler là-dessus et s’améliorer. » Seulement, ces débats ont-ils vraiment du sens quand on sait qu’on parle d’une sélection dirigée par Didier Deschamps ? Au fond, tout le monde sait que le guide des Bleus reviendra à la formule la plus sécurisante quand les vraies échéances, celles du printemps, se présenteront, et qu’il n’aura aucun mal à conditionner son groupe dans une mission commando de deux mois pour assouvir son obsession du résultat. Tant pis pour les amoureux du jeu, il va falloir s’y faire : cette équipe de France n’est pas là pour amuser la galerie.

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Par Clément Gavard, au Stade de France

Propos de Didier Deschamps et Benjamin Pavard recueillis par CG

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