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France-Pologne : le showman Wojciech Szczęsny, un dernier rempart d’excellence

Par Alexandre Lazar
France-Pologne : le showman Wojciech Szczęsny, un dernier rempart d’excellence

Enfin au niveau auquel tout un peuple l’a attendu et espéré, Wojciech Szczesny incarne la résilience polonaise, dans un emballage de joyeux luron. Itinéraire d’un boute-en-train qui s’est cassé les bras avant de devenir la muraille de Varsovie. Celle qui se dresse aujourd’hui, à 16 heures, sur la route de Mbappé & Cie.

« Je trouve bizarre que les gens me disent que je ne dois pas partager mes réflexions sur Twitter, simplement parce que je suis footballeur. » Nous sommes le 2 janvier 2011, et Wojciech Szczęsny tweete ses états d’âme. Plus jeune gardien d’Arsenal en Premier League à peine trois semaines plus tôt face à Manchester United, « Woj » vient de prendre la suite de Łukasz Fabiański (né comme lui un 18 avril) à 21 piges, sous les ordres d’Arsène Wenger. Hyperactif sur le réseau à l’oiseau bleu, il y enchaîne les vannes, les tacles à la carotide contre Tottenham, participe à des FAQ et vibre devant X-Factor. Il paraît aussi qu’il éclate son pote Jack Wilshere au ping-pong. Et s’il a depuis lâché son cellulaire pour aimanter plus de ballons depuis le point de penalty, et ainsi filer la migraine aux statisticiens de Transfermarkt, le one-man-show lui colle toujours à la peau. Plus de dix ans après sa première compétition internationale à la maison, « Chtcheinssné » , en phonétique, en est venu à voler la vedette à « Bobek » au milieu du désert qatari, la faute à la tactique frileuse et rouillée de Czesław Michniewicz : carré, Lewandowski, carré, bus. Précoce, comme d’autres grands gardiens polonais avant lui, le gamin de l’Agrykola est arrivé à maturité au terme d’une décennie sinusoïdale : de l’importance de manier l’autodérision et de rester soi-même quand les critiques virulentes frappent de face, qu’importe les infusions de moraline.

Danse, squats et morsure de requin

La preuve que le jeune Wojciech n’a jamais voulu de muselière : fils du portier Maciej Szczęsny, lui-même ancien international et unique champion de Pologne avec quatre équipes différentes (Legia Varsovie, Widzew Łódź, Polonia Varsovie, Wisła Cracovie), Woj démarre dans la danse, à 7 ans. Raide comme un piquet, de son propre aveu, il y trouve l’équilibre, la souplesse, et entrevoit dans la répétition des mêmes gestes une forme de grâce. Friand, aussi, de lancer de javelot, on lui fait pourtant comprendre que les gènes de son paternel sont ceux d’un phénomène. « J’entraînais encore Maciej quand il est venu la première fois avec Wojciech, se souvient Krzysztof Dowhań, alors entraîneur des gardiens du Legia. J’ai rapidement décelé un potentiel hors norme et une capacité d’assimilation très développée chez lui. Il mesurait 1,91 mètre à 15 ans et était doté d’une élasticité folle pour son âge. Il était déjà très sûr de sa force, et tout aussi charismatique que son père. On parle quand même du fils de quelqu’un qui a mis son poing dans la gueule à Roberto Mancini (lors d’un match de Coupe d’Europe entre le Legia et la Sampdoria). » Dowhań, très respecté par ses pairs, pousse d’emblée pour l’intégrer au groupe pro du grand club de la capitale, alors que Woj arrive sur ses 15 ans. Vœu exaucé.

Mes bras n’étaient plus droits, on pouvait limite les voir prendre la forme de mes initiales : W et S. Quand on me demande d’où viennent les cicatrices, je réponds que l’une vient de la guerre, et l’autre d’une morsure de requin.

Outre-Manche, on surveille déjà le bonhomme. L’académie d’Arsenal a mis son meilleur scout sur le coup : Bobby Arber. Corde de plus à leur arc : « Wojtek » est à la tête du fan club polak de David Seaman et supporte les Gunners. Pour le grand prospect, la transition se fait donc naturellement. Promu en équipe réserve en 2008, Szczęsny junior est pourtant fauché dans son développement personnel. « Sa progression était fulgurante, et il s’approchait à grands pas de l’équipe première. Sauf qu’un jour, à la gym, son côté maboul ressort : il fait le con avec des poids. Il faisait des squats avec. Soudain, il perd l’équilibre, les poids lui retombent dessus, et il se pète les deux avant-bras. La convalescence a été assez longue, mais il a continué à rêver et à croire en ses capacités pour devenir un grand gardien », raconte Johan Djourou, son coéquipier à Arsenal et en jeunes jusqu’en 2013. « Autour de moi, dans le gymnase, plusieurs personnes étaient en train de rire. Et puis elles ont vu que mes bras n’étaient plus droits, on pouvait limite les voir prendre la forme de mes initiales : W et S. Quand on me demande d’où viennent les cicatrices, je réponds que l’une vient de la guerre, et l’autre d’une morsure de requin », narre de manière burlesque le principal intéressé à Przegląd Sportowy. Au lieu de s’apitoyer sur son sort, il fait fi des plaques de métal insérées dans sa chair et se motive à dévaler les kilomètres avec son gars Jack Wilshere, du côté d’East Barnet.

Après cinq mois de rééducation, il toque de nouveau à la porte des grands, lorsqu’il regarde le large succès face à Stoke City depuis le banc (4-1, en mai 2009). Wenger voit en lui « le futur numéro un d’Arsenal », et l’envoie se faire les dents à Brentford, en League One. Très apprécié par le manager Andy Scott, qui ne comprend pas vraiment ce qu’un tel monstre fait en troisième division, il sera d’ailleurs nommé portier de la décennie par les fidèles des Bees, en 2015. De retour à London Colney, Wojtek prend le meilleur sur son compatriote Fabiański et Manuel Almunia, tous les deux amoindris par des blessures récurrentes. Dans une équipe qui joue encore le titre, Woj rime désormais avec cage inviolée. Mais le numéro 53 explose pour de vrai lors de la partie de football total entre Arsenal et le Barça, en Ligue des champions, qui aura converti certains à l’Arshavinisme, en 2011. Avec ses sorties dans les pieds, dans le bon timing, et son allonge, il gêne considérablement un Leo Messi au visage encore poupon, et soigne ses premiers pas dans la reine des compétitions européennes. « Il avait été énorme et nous avait donné confiance de par son assurance, ressasse Djourou, également titulaire ce soir-là en défense centrale. On gagne 2-1 face à Xavi, Messi, Iniesta, Villa. Depuis les catégories de jeunes, on avait l’impression qu’il était né pour faire corps avec la pression. Il adorait ça, et il en a souvent joué avec de l’autodérision, comme quand il a déclaré qu’il était le meilleur gardien au monde, il y a quelques années. »

 Quelqu’un m’a vu fumer dans les vestiaires, alors que les autres joueurs étaient encore sur le terrain à saluer le public, et l’a raconté à Wenger. Je fumais pas mal à l’époque, alors je m’en suis grillé une caché dans une douche, à cause du déroulé du match, pour faire retomber la pression.

Woj bomb

Ainsi, au-delà du terrain, c’est sa personnalité qui tranche avec un milieu que l’on dit parfois aseptisé et professionnalisé à l’extrême, jusque dans les relations humaines. Pour le commun des mortels, son aîné Artur Boruc passe pour un « fou » auprès de la police écossaise, mais Wojciech Szczęsny en a aussi sous le capot, dans un registre plus fin. « J’aime jouer au foot, en étant bien payé pour le faire, et je sais que c’est un privilège. Mais quand j’ai l’opportunité de m’amuser et d’amuser la galerie, je n’hésite pas. Je suis un mec normal qui essaie d’être heureux », se plait-il à dire. « Il était parfois déconnecté de la réalité, mais ce n’était qu’un trait de sa personnalité, quelque chose d’inné, abonde Johan Djourou. Avec son grain de folie, il faisait souvent des choses hors du commun, mais c’était de bonne guerre, pour faire rire, décontracter l’atmosphère. Finalement, il avait un influx vraiment positif sur la vie de groupe. C’était unentertainer, un grand clown chaleureux. Le plus important, c’est qu’il savait faire la part des choses, et quand on revenait au terrain, c’était le plus grand des professionnels. » Tantôt chef cuistot dans un vlog du club, tantôt déguisé en Papa Noël pour la beauté du geste, commentateur de match en duo avec Per Mertesacker, ou encore leader de karaoké sur une reprise dans les graves de Call me maybe, le hit de Carly Rae Jepsen, le Woj ne calcule rien.

À la Roma, il aura même le droit à son propre talkshow, jouant un vrai rôle d’animateur d’émission à la bonne franquette, face à des coéquipiers médusés et happés par l’univers foldingo du personnage. Avec The Szczęsny show, il fait passer sur le gril Kevin Strootman, Radja Nainggolan ou encore le plus discret Mohamed Salah. En se lâchant sur tous les terrains, il fait aussi oublier son départ précipité d’Arsenal, après un écart de conduite. Golden glove de Premier League en 2013-2014, Wojtek est pris en flagrant délit après une défaite à Southampton. « Quelqu’un m’a vu fumer dans les vestiaires, alors que les autres joueurs étaient encore sur le terrain à saluer le public, et l’a raconté à Wenger. Je fumais pas mal à l’époque, alors je m’en suis grillé une caché dans une douche, à cause du déroulé du match, pour faire retomber la pression », confesse-t-il dans un podcast avec des fidèles du club, après une performance que la presse anglaise qualifie de « cauchemar », voire même de « pire match sous les couleurs d’Arsenal ». Écarté quelque temps, il se fait doubler par David Ospina et se voit contraint de trouver un point de chute, d’autant qu’un Petr Čech en pleine bourre débarque à l’été 2015.

Wojciech a été mis sur le devant de la scène très jeune, et malgré tout, il y a eu une vraie forme de constance dans ses performances, ainsi qu’une progression ascendante. Aujourd’hui, c’est devenu un portier de grande classe, et c’est tout sauf une surprise.

Également pointé du doigt pour ses errements aériens pénalisants ou ses sorties toujours plus confuses et incontrôlées, il a épuisé son crédit. Johan Djourou, lui, tempère : « Même Hugo Lloris et les meilleurs de Premier League ont eu leur période sujette aux erreurs. À ce poste extrêmement scruté, la moindre perte de balle est considérée comme une bourde, et efface trop souvent le reste. Wojciech a été mis sur le devant de la scène très jeune, et malgré tout, il y a eu une vraie forme de constance dans ses performances, ainsi qu’une progression ascendante. Aujourd’hui, c’est devenu un portier de grande classe, et c’est tout sauf une surprise. » Szczęsny va en effet retrouver son mordant du côté de la Botte, chez les Giallorossi, puis à la Juve, glanant au passage trois Scudetto, et signant un record de quatorze clean sheets avec la Roma sur la saison 2016-2017. Luciano Spalletti, notamment, fait évoluer son jeu au pied.

La Gloire de mon père

« Je devais à l’équipe de me rattraper sur cette Coupe du monde », c’est en ces termes que Wojtek s’est exprimé à l’issue de la défaite face à l’Argentine, qui permet toutefois à la Reprezentacja de renouer avec les huitièmes après 36 ans d’errance. Car au-delà de jouer à qui sera le plus visionnaire avec La Pulga, le portier polonais avait une vraie revanche à prendre. À 32 ans, il a globalement toujours été contesté avec les Biało-czerwoni, oscillant le très chaud en qualifications avec le très froid en compétition, quand bien même ses qualités étaient connues de tous. Lors du match d’ouverture de l’Euro 2012, disputé chez lui à Varsovie, à dix minutes de sa tour d’immeuble, il pénalise ses coéquipiers sur l’égalisation grecque, avant de se faire expulser pour avoir fauché Dimitris Salpingidis dans la surface. Encore plus rageant sur le plan personnel, puisque Szczęsny regardera les deux autres matchs de poule en tribunes puis sur le banc, la faute aux performances de Przemysław Tytoń, premier gardien à arrêter un penalty dans la minute de son entrée en jeu. En France, en 2016, les Aigles s’arrêtent en quarts face au futur vainqueur, le Portugal. Titulaire face à l’Irlande du Nord, il passe là aussi au second plan à la suite d’une blessure à la cuisse. Fabiański recueille les lauriers contre l’Allemagne, l’Ukraine et surtout la Suisse. Cohérente et qualitative sous Adam Nawałka, la Pologne paraît capable de vaincre le signe indien en Coupe du monde 2018.

Face au Sénégal, Wojciech a titubé comme s’il était parti se réapprovisionner en alcool.

Encore raté, avec deux non-matchs contre le Sénégal et la Colombie. Cette fois, même Maciej Szczęsny, devenu consultant pour la chaîne publique TVP, se paie son rejeton : « Face au Sénégal, Wojciech a titubé comme s’il était parti se réapprovisionner en alcool. Ce match, c’est une honte et un scandale. Pour les Sénégalais, c’était du petit lait, beaucoup trop facile de marquer dans le but vide. » Mais Wojtek, toujours avec du Carlos Santana dans les oreilles, le sait : « Les critiques de mon père me font avancer. Il est toujours honnête avec moi, peu importe le contexte. » Reparti au charbon, armé de cette assurance qui ne l’a jamais quitté, le voilà à son apogée sur la scène internationale, tant le Mondial 2022 est – à ce jour – sa chasse gardée. Portier de la phase de poules selon Opta, il aura arrêté deux penaltys cruciaux face à Salem Al-Dawsari et Lionel Messi. La Pologne lui doit sa qualification au goal-average et le fait de ne pas repartir en quinconce, puisqu’il cumule presque 20 arrêts décisifs sur les trois rencontres (4 contre le Mexique, 5 contre l’Arabie saoudite et 9 contre l’Argentine).

Enfin respecté par tous, enfin craint, enfin une référence sur tous les plans. Un mur, qui n’a encaissé que deux pions, face à l’Argentine, en dépit d’une tornade d’expected goals concédés (6,3 pour être précis). De plus, jusqu’à cette échéance, la réussite de Wojciech Szczęsny sur penalty n’a presque pas été mise en avant. Sur 87 subis, il en a pourtant stoppé 26 en carrière, soit un tiers, ce qui le place devant Iker Casillas ou Manuel Neuer au palmarès mondial. Des stats encore plus parlantes sur l’année 2022, où il a fermé les portes une fois sur deux dans l’exercice (4 arrêtés sur 9). Le fruit d’une analyse méticuleuse coordonnée par Claudio Filippi, son entraîneur des gardiens du côté de la Vieille Dame, qui a notamment amélioré sa capacité à partir vite au sol et à se redresser en un temps record. L’instinct fait le reste. Peu spectaculaire, mais diablement efficace, Szczęsny s’est imprégné de la rigueur italienne et sait que la survie de la Pologne face à l’armada des Bleus ne tient qu’à un fil de son cuir chevelu. « La clé pour stopper Kylian Mbappé ? Moi-même », une petite phrase qui fait le sel de l’avant-match et ressemble à 110% à celui qui est, depuis septembre, le gardien polonais le plus capé en sélection. L’équipe de France sait très bien à quoi s’attendre, mais gare à ne pas trop faire briller le Varsovien, au risque de le voir bâtir sa résidence secondaire dans des esprits bien confus.

Kylian Mbappé, hors des sunlights des tropiques
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Par Alexandre Lazar

Propos de Johan Djourou recueillis par AL.

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