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Un carton sinon rien

Par Mathieu Rollinger

Opposés à la sympathique délégation de Gibraltar ce samedi à Nice, les Bleus auront à faire valoir leur statut pour empocher les deux points qui leur manquent pour être tête de série au prochain Euro, mais aussi d'emballer ce match déséquilibré. Et ça, ce n'est pas gagné.

Un carton sinon rien

Première question, et pas des moindres : qu’est-ce qu’un carton ? Au risque de perdre tous les adorateurs de Cyril Rool, il ne sera pas question ici de rouge, ni même de jaune. Les fans de Xavier Gravelaine et ses 17 déménagements en carrière pourront aussi être déçus. Non, ce qui nous intéresse ici, c’est le carton au sens forain du terme. « Faire un carton », c’est briller au stand de tir, carabine à la main et plombs au bout du canon. Une expression qui sonne très jeune « chébran » des années 1980 et qui désigne par extension une performance « sensass ». Pour revenir à ce mois de novembre 2023, si Kevin De Bruyne a réfuté ce vendredi être à l’origine des futurs cartons de Drake, c’est précisément un hit que doivent ambitionner de réaliser les Bleus – 2es au classement FIFA – face à la 198e nation mondiale, Gibraltar. Ni plus, ni moins.

Il reste à établir la marque qui ferait qu’une simple victoire se transforme en carton. Pour qu’il soit validé, il nous faudrait un score qui décolle la rétine, sans appel, et forcément inhabituel. Un 4-1 comme la dernière sortie contre l’Écosse suffirait-il ? Trop répandu. Un bon 5-0 comme face à l’Afrique du Sud en mars 2022 ? Appelons ça tout simplement une manita. À partir de là, entendons-nous sur le fait qu’un carton est valable à partir de 6-0 (ou 6-1, ne soyons pas pingre). D’ailleurs, la FFF elle-même semble être en accord avec cette définition, puisque, dans son dossier de presse, elle appuie sur le fait – en tentant désespérément de mettre en garde – que Gibraltar n’a plus encaissé plus de cinq buts au cours d’un même match depuis deux ans. Comme si cet écart figeait une limite entre une équipe faible et une équipe de gros nullards. Et tant pis si les hommes de l’autre Rocher n’ont pas marqué le moindre pion en cette année civile.

Plus sac en papier kraft que boîte en carton

C’est peu dire que le suspense ne devrait pas s’éterniser, et ce n’est pas Didier Deschamps qui va l’entretenir bien longtemps. « On a un objectif qui est atteint, celui d’être qualifié (pour l’Euro 2024) ; on en a un second qui est d’être dans les cinq meilleurs qualifiés pour être tête de série, délimitait le sélectionneur lundi. Avec tout le respect qu’on peut avoir pour Gibraltar, il n’y a personne qui peut penser qu’ils vont nous créer des difficultés et on ne va pas s’en créer non plus. » À l’aller, dans l’enceinte clairsemée de Faro (Portugal), les Bleus s’étaient contentés d’un 3-0, bien que les poteaux n’aient pas aidé. Reste à savoir à quel point les spectateurs niçois en auront cette fois pour leur argent, dans un stade où la sélection nationale n’a jamais perdu en cinq représentations. Alors pourquoi vouloir exhorter les Tricolores à creuser un score fleuve ? Notamment parce que ce n’est pas une tradition française et encore moins deschampienne, loin de là. Dans la liste des 96 victoires (sur 146 matchs) de Didier Deschamps à la tête des Bleus, on ne peut surligner « que » quatre cartons. Un 6-0 contre l’Australie au Parc des Princes en octobre 2013, un 8-0 contre la Jamaïque à Villeneuve-d’Ascq en juin 2014, un 7-1 contre l’Ukraine à Saint-Denis en octobre 2020, un 8-0 contre le Kazakhstan encore au Parc en novembre 2021. Seul ce dernier était un match officiel. Sur la même période, soit depuis août 2012, l’Espagne en a claqué sept, l’Angleterre sept également (en remerciant bien bas Saint-Marin au passage), l’Allemagne huit (merci aussi Saint-Marin), tout comme le Portugal.

On a beau alerter, j’ai été joueur aussi, on sait que le conscient ou l’inconscient font que… Voilà, on va faire le job, quoi.

Didier Deschamps, enthousiaste

Si cela ne présage en rien de futurs trophées, bien au contraire, cela traduit une certaine forme d’état d’esprit dans ces affiches à l’adversité limitée. Quand certaines sélections prennent un malin plaisir à rouler sur la carcasse de joueurs qui sont douaniers ou comptables dans le civil, les Français sont la plupart du temps dans le contrôle pour faire le service minium dans le temps imparti. L’héritage des 35 heures de Martine Aubry, qui sait ? La preuve par les mots avant ce France-Gibraltar des extrêmes. « C’est un match où on est condamné à gagner. Ça peut amener un peu de déconcentration ou de relâchement, lâche un Deschamps mollasson avant l’heure. On a beau alerter, j’ai été joueur aussi, on sait que le conscient ou l’inconscient font que… (Il souffle) Voilà, on va faire le job, quoi. » Même ton du côté d’un Upamecano bien peu conquérant : « Ils ont une défense à cinq, ce n’est jamais facile d’aller marquer un but, ça demande beaucoup de mouvements. » Bref, il semble déjà bien trop mouillé, ce carton, pour pouvoir transporter des buts à la pelle.

Emballez, c’est pesant

Ce ne sont pourtant pas les arguments qui manquent à l’heure de faire les présentations. Certes privé de deux de ses milieux sûrs (Aurélien Tchouaméni et Eduardo Camavinga, blessés) et du double buteur de la balade écossaise (Benjamin Pavard), Didier Deschamps peut tout de même compter sur une armada à faire frémir n’importe quel Roy Chipolina. Sont à disposition les redoutables Mbappé, Griezmann et Giroud : le meilleur buteur de Ligue 1 (13), le deuxième buteur d’Espagne (8) et le deuxième buteur d’Italie (7). Pas rien quand on sait que ce trio totalise 141 des 1620 buts inscrits par l’équipe de France depuis 1904, soit la bagatelle de 8,70%. Dans les seconds couteaux, Marcus Thuram devrait avoir une carte à jouer pour le poste de numéro 9, et aurait bon goût de profiter de cette soirée pour marquer quelques buts et les esprits. Randal Kolo Muani et Ousmane Dembélé pourraient aussi être amenés à se rassurer comme ils peuvent, et retrouver le chemin des filets qu’ils peinent à trouver avec le PSG. Même Warren Zaïre-Emery, après des semaines de storytelling, serait bien inspiré de continuer à nourrir les médias en marquant un but lors de sa première sélection comme les illustres Just Fontaine, Michel Platini, Zinédine Zidane et Jonathan Ikoné, entre autres. Voilà pourquoi la France doit pousser pour un spectacle de haute volée et des buts en pagaille. Et ça sera toujours ça de pris dans une saison où les tableaux de marque de Ligue 1 n’ont jamais été aussi peu sollicités.

Par Mathieu Rollinger

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