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France 2002 : un crash final en mondovision

Par Chérif Ghemmour
France 2002 : un crash final en mondovision

Pour le match de la dernière chance, le Danemark s’est appliqué à achever la bête. Les Bleus battus 2-0 sont é-li-mi-nés ! Sensation mondiale absolue : la France, favorite numéro 1, a prématurément pris l’avion pour Roissy... Victime du péché d’orgueil, la génération dorée a subi son premier coup d’arrêt qui, au regard du rang des Bleus en 2002, s’inscrit jusque-là comme le plus grand fiasco de leur histoire.

« Il nous reste une chance d’entrer dans l’histoire. » Ce 11 juin, les premiers mots solennels de la causerie d’avant France-Danemark prononcés par Roger Lemerre laissent vite place à une harangue enflammée : « Partez rassurés : c’est vous les champions du monde ! Vous trouverez la solution ! Vous l’avez trouvée à 10 contre 11 contre l’Uruguay ! » Mais un silence pesant lui répond dans le vaste salon privé du complexe des LG Cheetahs de Séoul, devenu QG des Bleus.

Danish dynamite façon puzzle !

Puis Roger donne les onze titulaires écrits au paperboard : Barthez, Candela, Thuram (qui glisse axe droit à la place de Lebœuf, blessé), Desailly, Lizarazu, Makélélé (pour Petit, suspendu), Vieira, puis Wiltord, Zidane et Dugarry (pour Henry, suspendu) et enfin Trezeguet. Un 4-3-1-2 aurait constitué un bon compromis entre Roger et ses gars, avec enfin une ligne de trois récupérateurs en soutien de Zidane forcément diminué. Mais le Major veut aller au bout de ses idées. La tête un peu ailleurs, Roger conclut à la hâte :« Être dans le moment ! Y a pas un moment où il faut être spectateur. Être dans le moment… Allez ! »Il est 15h30 au Munhak Stadium ensoleillé d’Incheon quand commence la rencontre entre Bleus en blanc et Danois rouge sang. Il est 8h30 du matin en France où cet horaire inhabituel est annonciateur de fin du monde ou d’aube glorieuse. Durant La Marseillaise, l’image TV fugitive d’Aimé Jacquet, raide et inquiet dans la tribune officielle du Munhak, semble déjà acter la dilapidation de son héritage. Même le gros bandage qui enserre la cuisse gauche de Zidane indique qu’il n’est de toute façon pas à 100%. Et le miracle n’aura pas lieu… Les Danois défensifs, qui n’ont besoin que d’un nul pour aller en 8es après leur 1-1 face au Sénégal, vont à l’essentiel : isoler Zidane dans une prise à trois geôliers, Töfting, Poulsen et Gravesen ! Après avoir manqué quelques demi-occasions, comme ce tir trop précipité de Wiltord, les Bleus se font cueillir à la 22e minute.

Sur leur première vraie offensive, les Danois inscrivent un but venu d’un centre de Töfting côté droit pour Rommedahl, surgissant derrière une défense française mal alignée : 1-0 et trois buts à inscrire désormais ! Les Bleus avec un Zidane juste valeureux vont dès lors s’épuiser face au bloc scandinave. À la mi-temps, Lemerre, extatique, donne des consignes tactiques lunaires à Duga, Liza et Vincent que personne ne semble capter. Il conclut en faisant semblant d’y croire à mort : « Première chose : remonter un but ! Après, on sait pas… Dans les cinq dernières minutes, une équipe peut exploser, ça peut être aussi eux… À un-un, c’est possible ! Y a la place pour deux autres ! » Au moment d’y retourner comme on va à l’abattoir, un cri fuse :« Manchester-Bayern, les gars ! » Mais en seconde période, comme un scénario cata pré-écrit, la tête de Desailly sur corner de Zidane s’écrase évidemment sur la barre, et à la 67e, sur un contre forcément « assassin » , Tomasson plante un épieu dans le cœur tricolore : 2-0 ! Là, il faut marquer quatre buts pour passer. Mission impossible. Le banc français est abattu. Isolé, pétrifié, Roger a pris 20 ans de rides sur le visage. Et puis, allez : bing ! La reprise à bout portant de Trezeguet est bien sûr repoussée par la barre. Cinquième fois sur les montants… Alors David en sourit, fataliste. Les entrées de Cissé (54e), Micoud (71e) et Djorkaeff (83e) n’apporteront rien. Le match s’achève sur la victoire sans feeling du Danemark (2-0), premier du groupe A et qualifié avec le Sénégal, auteur d’un 3-3 face à l’Uruguay. Vers 10h30, en autre pays du matin calme, la France part au boulot sans un mot : ses Bleus tant chéris ont été éliminés.

Le retour de la french lose !

Le caractère inhabituel de ce Mondial disputé en matinée accentue aussitôt le dérèglement sensoriel causé par le trauma de l’élimination. Les après-midi et soirées sans adrénaline foot créent un cruel état de manque. Éliminés et derniers du groupe avec un point et zéro but, les Tricolores tenants du titre créent une sensation mondiale. Pire que le Brésil 1966, champion du monde sortant et sorti aussi au premier tour ! La puissance de feu de Henry-Cissé-Trezeguet-Wiltord n’a pas incendié les stades… « La fin d’une histoire » , titre L’Équipe du lendemain au-dessus d’une grande photo de Marcel Desailly vaincu, bras ballants, et Zinédine en arrière-plan, tête baissée. Déboussolés par cette sortie de route précoce, les médias français se rabattent alors sur les Lions de la Téranga, rebaptisés à la hâte les « Sénégaulois ». Ils ambianceront le public français jusqu’à leur fin de parcours en quarts face à la Turquie… Si cette élimination n’a pas la violence sèche du France-Bulgarie de Kostadinov, elle charrie les mêmes reproches de suffisance, d’arrogance et d’aveuglement que le souvenir de « L’Amérique » de Joe Dassin diffusée sur la sono du Parc en novembre 1993. Incorrigibles Français, partis dans le rêve d’un fabuleux triplé Mondial-Euro-Mondial en bafouant la « vérité du terrain » , celle qui indiquait depuis l’automne 2001 que la Coupe du monde en Asie ne serait pas le glorieux aboutissement promis, mais le triste épilogue d’une longue séquence antérieure en forme de chronique d’une mort (symbolique) annoncée.

Le grand public le visualisera pleinement le 7 septembre 2002, lors de la diffusion en clair sur Canal + du documentaire Les Yeux dans les Bleus 3 – La désillusion. Tout semblait écrit d’avance… Le foot français renoue soudainement avec cette lose grossière ante-France 1998 qu’elle croyait avoir éradiquée pour de bon ! La fameuse jurisprudence Jacquet qui avait épargné Roger Lemerre avait fini par déteindre sur les joueurs eux-mêmes, oscillant entre parfaite lucidité et déni du réel. Le coup d’arrêt brutal d’Incheon pousse ainsi Djorkaeff, Lebœuf et Dugarry à mettre officiellement fin à leur carrière internationale. Roger et ses Bleus étaient devenus intouchables, comme le déplorait Arsène Wenger dans L’Équipe du 13 mai 2002 : « Je prétends qu’on ne rend pas service à l’équipe de France en n’osant plus élever la moindre critique. » Avec l’élimination conjointe au premier tour du Portugal et surtout de l’Argentine, autre méga favori, les Bleus peuvent se prévaloir de l’excuse recevable d’avoir disputé cette Coupe du monde vite rebaptisée « le Mondial de la fatigue ».« Nous sommes des déracinés », confesse en pleurs Gabriel Batistuta dans France Footballau nom de l’Albiceleste. Tous ses joueurs (sauf Ariel Ortega) déjà soumis, comme les Bleus, à l’ultracompétitivité des grands clubs européens, ont en outre payé très cher les nombreux allers-retours entre leur pays et le Vieux Continent. Pointant la surcharge du calendrier international, Franz Beckenbauer s’en était déjà alarmé dans L’Équipe du 8 juin 2002 : « Cette Coupe du monde est le bon moment pour dire stop. Il faut que les instances mondiales se réunissent. »

La maldonne, d’Incheon à Lisbonne…

À Paris, la classe politique prend acte de cet échec prématuré qui froisse quelque peu le prestige français à l’international et qui afflige la nation d’une sacrée gueule de bois. Un retour à la réalité sans doute salutaire. Car, non ! L’équipe de France ne peut pas remédier à tous les maux de la société française à grands coups de « Zizou président ! » et de « I Will Survive ! ». Elle n’a pas empêché le Front national d’arriver au second tour le 26 avril, pas plus qu’elle n’empêchera les émeutes de banlieue de novembre 2005. L’élimination brutale provoquera bien quelques commentaires politiques acides, tels ceux de Jean-Yves Le Gallou, ex-FN : « La contre-performance humiliante et ridicule de l’équipe de France sonne le glas de la propagande immigrationniste qui s’était déchaînée lors du Mondial 1998 ». Le fiasco coréen inaugurera aussi le récit répété des débauches supposées des Bleus lors de leurs virées au Siroco, le casino night-club du Sheraton de Séoul. Mais les vrais règlements de comptes convergent très vite vers le bouc émissaire tout trouvé : Roger Lemerre. La FFF attend qu’il démissionne de lui-même. Sauf que Roger ne veut pas ! Déconnecté des réalités – ses Bleus ne l’ont même pas soutenu après le crash d’Incheon –, il estime qu’il est en mesure de poursuivre sa mission jusqu’à son terme contractuel fixé à l’Euro 2004 et dont les qualifs commencent le 7 septembre à Chypre…

Le 6 juillet, Claude Simonet prononce son éviction ubuesque. Roger Lemerre n’est ni limogé ni licencié. Il a tout simplement « accepté d’être déchargé de sa mission »! Roger prendra une belle revanche de double champion continental en offrant la CAN 2004 à la Tunisie… Après France-Bulgarie 1993, Jean Fournet-Fayard avait eu la décence de démissionner de la présidence de la 3F. Claude Simonet giclera en 2005 de la présidence, avant d’être condamné en 2007 en correctionnelle pour avoir maquillé en 2003 le déficit de la fédé de 14 millions d’euros ramené frauduleusement à 63 000. Le scandale de la bouteille de vin romanée-conti à 4800 euros dégustée avec ses pontes au Sheraton de Séoul apportera la touche finale pathétique au grand n’importe quoi de l’aventure coréenne de 2002. Entre-temps, Jacques Santini, 50 ans, entraîneur de l’OL champion de France, a été nommé sélectionneur le 20 juillet 2002. Il qualifiera pour l’Euro 2004 des Bleus auteurs d’une année 2003 remarquable : 13 victoires consécutives, un record de buts marqués (40 en 14 matchs) et 11 matchs consécutifs sans en encaisser un. Mais Jacquot, vexé de ne pas avoir été prolongé avant le tournoi, a signé à Tottenham, bazardant d’office son autorité sur une équipe en autogestion. Il a reconduit au Portugal neuf rescapés de 1998, dont les dinosaures en bout de course Desailly (35 ans) et surtout Lizarazu (34 ans) dont les propos en 2003 ( « Je suis paramétré pour l’Euro » ) trahissent la croyance tenace de certains héros de France 1998 à se croire éternels en sélection. La veille du quart de finale à l’Estadio José Alvalade de Lisbonne contre une Grèce évidemment sous-estimée, L’Équipe, trop confiante, titre à la Une : « L’Olympe en vue ». À la 64e minute, Angelos « Bouba Diop » Charisteas ramènera les Bleus pourtant favoris de ce quart au terminus des prétentieux.

Revivez le fiasco de l’équipe de France lors de la Coupe du monde 2002 :

Partie 1 : Comment les Bleus ont foiré la période 2000-2002 Partie 2 : Un problème nommé Roger Lemerre Partie 3 : Pourquoi la publicité et les contrats ont fait perdre la boule aux Bleus Partie 4 : La défaite contre le Sénégal et une phase de poules catastrophique
Dans cet article :
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Par Chérif Ghemmour

Sources consultées : Histoire secrète des Bleus 1993-2002 de Karim Nedjari et Eric Maitrot (Flammarion), documentaires Les yeux dans les Bleus 2 et 3 de Stéphane Meunier (Canal+).

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