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Formiga : « J’ai arraché la tête de la poupée pour en faire une balle »

Propos recueillis par Flavien Bories et Brieux Férot
Formiga : «<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>J’ai arraché la tête de la poupée pour en faire une balle<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>»

Malgré sept Coupes du monde, six tournois olympiques, un âge canonique et une carrière qui l’a menée du Brésil à la France en passant par la Suède et les États-Unis, la Fourmi court toujours. Miraildes Maciel Mota, surnommée Formiga, revient sur un parcours qui, en trente ans, l’a vue passer de matchs en cachette à des retransmissions sur Canal +.

D’où vient votre surnom, « Formiga » , la Fourmi ?On me l’a donné quand je jouais dans le championnat baiano. J’avais douze, treize ans, je courais partout et j’étais la plus petite. Du coup, un vieux supporter m’a surnommée « Formiga » . Au départ, ça ne m’a pas trop plu, mais maintenant, je l’aime bien, même si c’est un surnom qui ne correspond pas vraiment à ce que je suis.

Je devais me cacher pour jouer, car mes deux frères ne l’acceptaient pas et me frappaient.

On dit au Brésil que les fourmis aiment le sucre, or moi, pas du tout… En revanche, depuis toute petite, j’ai toujours été une bosseuse, et on dit aussi que les fourmis travaillent bien… Ça OK, c’est cohérent. Je n’ai pas la flemme de courir, de bosser. J’ai toujours fait de mon mieux pour aider ma mère à la maison. Je m’occupais des tâches ménagères comme je l’ai dit, mais j’ai aussi travaillé pour la soulager financièrement. Quand j’ai quitté le Brésil pour aller à Malmö, en 2004, c’était un rêve devenu réalité pour ma mère. Et pour moi aussi, parce que j’avais l’opportunité de montrer mon football à l’étranger. Ça a été un peu difficile à vivre, parce que je suis la seule fille et la seule du foyer qui vivait très loin d’elle, mais il fallait que je parte pour le bien de la famille…

Vous êtes née à Salvador de Bahia. Dans votre quartier, vous étiez beaucoup de filles à jouer au foot ?Nous n’étions que quatre ou cinq à y jouer. Je me souviens que mes parrains m’avaient offert une poupée le jour de la Fête des enfants. J’avais sept ou huit ans, et mon frère avait eu un ballon. Moi, je ne voulais pas de la poupée, je voulais son ballon. Comme il ne me le donnait pas, j’ai arraché la tête de la poupée pour m’en servir comme d’une balle… Après ça, on ne m’a plus jamais offert de poupée. Malgré tout, je devais me cacher pour jouer, car mes deux frères, qui sont beaucoup plus âgés que moi, ne l’acceptaient pas. Quand ils étaient dans le coin, on venait me prévenir, parce que s’ils me voyaient taper le ballon avec les autres garçons, ils me frappaient. Vraiment fort. En même temps, je jouais mieux qu’eux. Leurs potes n’arrêtaient pas de se moquer d’eux à cause de ça. Du coup, beaucoup d’amis m’aidaient à dissimuler cette passion, parce qu’ils savaient combien je me faisais battre après… Aujourd’hui que je suis la fierté de la famille, mes frères me respectent beaucoup plus. Ils se sont même excusés de m’avoir autant tapée.

Votre mère les laissait faire ?Non, pas ma mère. Elle a toujours été compréhensive, m’a toujours soutenue. À aucun moment, elle ne m’a dit que le foot n’était pas pour moi, bien au contraire. Elle savait que j’aimais ça, que j’étais douée et que je jouais mieux que mes frères. Le problème, c’est quand elle partait travailler… Tout le monde était censé aider aux tâches domestiques, mais ça tombait souvent sur moi : personne ne faisait la vaisselle, personne ne nettoyait la maison… Alors je devais un peu tout faire. Quand ce n’était pas mon tour et que je voulais jouer, je ne pouvais pas. Le pire, c’est que j’ai un frère qui ne comprend rien au football. Ça ne l’empêche pas de se prendre pour un véritable entraîneur quand il regarde un match : « Lui, il faut qu’il se mette là ! » Je lui explique les rudiments des postes, du placement et des fonctions, mais il ne comprend pas. Parfois, avant un match de la Seleção, il me coache : « Dis à l’ailière de faire ci et ça quand le ballon est à tel endroit. » C’est très drôle qu’il pense savoir ce qu’on doit faire…

Vous avez perdu votre père très jeune. Ça a été difficile de se construire sans une figure paternelle ?J’ai surmonté cette absence avec le temps, j’en ai beaucoup parlé avec mes copines du club où je jouais. Parfois, elles me prêtaient leurs pères. (Rires.)

Le Brésil et la France sont des pays qui n’ont rien à voir. Le Brésil, c’est le tiers-monde.

Enfin, c’est la vie. Moi, malheureusement, je n’ai pas eu l’occasion de le rencontrer, j’étais un bébé. Quand j’étais curieuse, je posais des questions à mon frère aîné, à qui il a manqué encore plus. Je lui demandais comment il était, j’essayais de me l’imaginer… Et comme il aimait le foot, je me disais : « Où qu’il soit, il doit être fier de moi. »

Le Brésil n’est pas épargné par le racisme. En avez-vous souffert ?J’en ai été victime pour la première fois à l’âge de 17 ans. On était allés jouer dans le Sud du pays, à Santa Catarina. Là, deux supporters se sont mis à nous insulter, une collègue et moi. Un Blanc et un Noir… Comme notre équipe était en train de gagner, je pense que c’était un moyen pour eux de nous déconcentrer. Nous avons gagné le match, mais ils sont restés dans les gradins : « Vous êtes des singes ! »

En France, j’ai la sensation que les lois sont réellement appliquées pour toutes et tous.

Ça, c’était le Blanc qui le disait. Le plus fou, c’est que le Noir est venu me demander de faire une photo avec lui à la sortie du stade… C’était très drôle parce que je l’ai regardé bien droit dans les yeux : « Mon vieux, pourquoi tu l’aides, ce mec, à faire ça ? Pourquoi tu l’aides à nous insulter ? » Il s’est excusé, il avait honte, et j’ai accepté de me prendre en photo avec lui, tout en le mettant en garde : « Tu l’imprimeras et l’afficheras chez toi pour que tu n’oublies plus jamais ce que tu viens de faire, que tu n’oublies pas que tu as aidé un homme blanc à insulter des femmes noires. »

Vous êtes arrivée à Paris en 2017. Comment s’est passée votre adaptation ?Le Brésil et la France sont des pays qui n’ont rien à voir. Le Brésil, c’est le tiers-monde. Ici, en France, on est dans le « premier monde » . Les gens sont différents, l’éducation également. Je ne dis pas que nous, les Brésiliens, ne sommes pas éduqués, nous sommes très chaleureux, mais il y a malheureusement beaucoup d’inégalités sociales au Brésil. La différence entre les classes est flagrante, c’est affreux. Ici, je vois moins ça… Je n’aime pas particulièrement la politique, mais on ne peut pas comparer la façon dont les choses fonctionnent ici. En France, j’ai la sensation que les lois sont réellement appliquées pour toutes et tous.

Vous avez 41 ans. Sentez-vous l’écart entre les générations ? Adoptez-vous un comportement de « maman » vis-à-vis des plus jeunes ?J’essaie de les diriger un peu, étant donné mon expérience.

Je sais qu’aujourd’hui les jeunes sont plus têtues, elles acceptent moins facilement les consignes.

Mais je n’impose rien, je ne suis meilleure que personne, bien au contraire : je suis une pièce qui compose un ensemble. Je sais qu’aujourd’hui les jeunes sont plus têtues, elles acceptent moins facilement les consignes : « Ah ouais, d’accord, t’es plus âgée, et alors ? » J’essaie tout de même, je leur dis que c’est pour les aider. Si elles n’acceptent pas, je les laisse tranquilles et j’attends qu’elles le constatent elles-mêmes. Elles reconnaissent parfois qu’elles ont eu tort : « Si seulement je t’avais écoutée… » C’est la voix de l’expérience, comme on dit.

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Propos recueillis par Flavien Bories et Brieux Férot

L'intégralité de l'interview est à retrouver dans le numéro de So Foot actuellement en kiosques.

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