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Footballeuses pas vraiment professionnelles

Par Nicolas Jucha
Footballeuses pas vraiment professionnelles

Courant octobre, la footballeuse américaine Samantha Johnson publiait une lettre ouverte pour dénoncer sa situation à l'ASJ Soyaux, en D1 Arkema. Au-delà du conflit entre la défenseuse et son ancien employeur, une réalité incontestable : les conditions de travail des footballeuses de haut niveau en France sont dans leur globalité insuffisantes, si ce n'est dangereuses.

Cela a commencé avec une lettre ouverte de l’Américaine Samantha Johnson, envoyée à quelques contacts au sein du FifPro, puis publiée en intégralité sur le site Girls Soccer Network. Dans son écrit, celle qui était encore la nouvelle défenseuse de l’ASJ Soyaux y décrivait une situation à l’opposé de l’image d’Épinal du métier passion. « J’ai toujours eu l’habitude d’être nerveuse avant les matchs. Le plus important était toujours la première touche, la première passe et le premier tacle. Cela donnait le ton du match à venir pour moi. Maintenant, je ne suis plus nerveuse parce que je n’ai pas à m’inquiéter si ma prise de balle est mauvaise ou si mes passes ne sont pas précises, ou si j’ai fait un tacle dans le mauvais timing. Maintenant, je m’inquiète de savoir si je vais toucher mon salaire et dans le cas où je me blesserais, qui couvrirait le coût des soins médicaux… »

Depuis ce sac vidé courant octobre – il était également question d’un logement que la joueuse devait partager avec la fille de son président, avant d’en avoir été évincée -, la Nord-Américaine a plié bagage, et ses anciens employeurs ont répondu par voie de presse, le président de l’ASJ Soyaux Benoît Letapissier ayant évoqué sur le site L’équipière « une joueuse arrivée en surpoids », nié l’absence de tests et suivis médicaux, et affirmé que la fin de la collaboration était une décision de Johnson. « Elle a pris ses affaires et s’en est allée », alors que selon le dirigeant, tout aurait été fait pour trouver un nouveau logement. « On lui avait proposé de résider dans une maison où il y avait déjà une Américaine, mais elle ne voulait pas. Deux jours après, on a trouvé un logement à Angoulême. On a pris un rendez-vous avec une agence, mais elle n’a plus donné de nouvelles. » Fin de l’histoire ? Difficile aujourd’hui de tirer le vrai du faux dans les témoignages contradictoires de la footballeuse américaine et de son ancien club.

Si vous ne jouez pas à Lyon ou Paris, voire à Issy où la ville voit son club féminin comme une vitrine, les déplacements, c’est surtout en train Inoui, à des horaires tordus…

Néanmoins, en mettant les pieds dans le plat, Samantha Johnson a rappelé une réalité indiscutable : quand les hommes footballeurs de haut niveau en Ligue 1 sont reconnus comme professionnels et jouissent pour la plupart de conditions d’exercice optimisées, chez les femmes, même en D1, le témoignage de Johnson ne surprend pas. « On peut clairement distinguer la situation entre les clubs dits professionnels et les trois autres de la D1, dont fait partie Soyaux », explique Lucie* pour qui « beaucoup de clubs ont les capacités pour minimiser ce ressenti « amateur » par rapport à leurs équipes féminines, mais ne le font pas ». Lucie a évolué dans chacun des deux premiers échelons. La réalité qu’elle raconte « sans animosité » est celle d’un football où « dans la plupart des structures, même celles qui ont une équipe féminine en D1, les femmes ne sont pas prioritaires ». Pour les équipements, les terrains d’entraînement et le reste. « Donc si vous ne jouez pas à Lyon ou Paris, voire à Issy où la ville voit son club féminin comme une vitrine, vous vous entraînez sur des terrains de fortune, tard dans la journée. Vos équipements, régulièrement, ne sont pas à votre taille. Et pour les déplacements, c’est surtout en train Inoui, à des horaires tordus… » Et ça, ce ne sont que les désagréments bénins.

« On pensait que vous saviez déjà… »

Dans sa lettre ouverte, Samantha Johnson accusait son ancien club de ne pas assurer un suivi médical ou un accompagnement administratif digne de ce nom. Ce que Soyaux nie forcément, quand Lucie affirme avoir déjà eu vent de situations de cet ordre en D1 ou en D2. « En matière de suivi médical, il y a souvent des couacs. Beaucoup de filles blessées devraient bénéficier de l’assurance du sportif, qui dépend de la FFF, mais peu d’entre elles sont tenues au courant, et encore moins sont réellement accompagnées par leur club pour faire leurs déclarations. » Le suivi n’est pas calé, contrairement à l’excuse à sortir en cas de question indiscrète : « On pensait que vous saviez déjà… » En charge du développement du football féminin pour l’UNFP, Laurent Pionnier n’a pas envie « de faire des généralités ou de taper sur des clubs en particulier », mais il confirme la vérité du terrain. « Je déplore des anomalies qui ne devraient plus exister en France en 2021 pour du sport de haut niveau. Je suis réellement au chevet de certaines joueuses, qui traversent des situations dramatiques. Un métier pour lequel votre condition physique est essentielle, mais dans le cadre duquel vous n’êtes pas couverte médicalement, c’est difficile à assumer… »

 Si on pouvait construire une vraie convention collective, main dans la main avec les partenaires sociaux, ce serait un bon début.

Pas de joueuses professionnelles, des joueuses fédérales

À en croire l’ancien gardien de Montpellier, l’une des bases du problème, c’est le sous-développement du football féminin en France. « Les clubs bien staffés font les choses dans l’ordre, les clubs qui ont du mal sont ceux qui n’ont pas assez de personnes pour assumer toute la charge de travail. » Fabien Safanjon, vice-président de l’UNFP, regrette le fait que « l’élan de la Coupe du monde 2019 en France n’ait pas permis d’avancer plus vite et que la D1 Arkema reste très hétérogène sur cette question des conditions de travail ». Dans son esprit, les combats à mener sont nombreux, mais le prioritaire porte sur le statut des joueuses de haut niveau en France. Car contrairement à ce que l’on entend souvent, il n’y a pas de footballeuses professionnelles en France sur un plan purement juridique. « Celles que l’on nomme professionnelles sont en réalité en contrat fédéral. Et elles dépendent donc de la convention collective nationale du sport. On n’y trouve rien pour traiter de questions comme la maternité, le minimum salarial… » Et pourtant, ces joueuses « fédérales » sont déjà une élite sur le plan social, toutes ne bénéficiant pas de cette reconnaissance contractuelle. « Il y a des travaux lancés, comme la création d’une licence club, l’élaboration d’un statut de joueuse fédérale. Si on pouvait construire une vraie convention collective, main dans la main avec les partenaires sociaux, ce serait un bon début », imagine Safanjon, confiant quant à la bonne volonté globale des clubs.

 Des filles africaines ou haïtiennes se seraient vu attribuer des logements insalubres quand, dans le même vestiaire, on attribuait des logements de qualité aux filles européennes ou nord-américaines.

« Il ne faut pas qu’elle oublie d’où on l’a sortie celle-là »

Mais pour Lucie, avant même de parler d’amélioration contractuelle, conventionnelle ou salariale, il y a un long chemin, ne serait-ce que pour obtenir un simple respect des personnes, notamment des joueuses étrangères qui seraient originaires de pays plus pauvres. « On m’a plusieurs fois fait parvenir des récits de différences de traitement qui s’apparentent à du racisme décomplexé. Des filles africaines ou haïtiennes par exemple, qui se seraient vu attribuer des logements insalubres quand, dans le même vestiaire, on attribuait des logements de qualité aux filles européennes ou nord-américaines. Une fille aurait même entendu un membre de l’encadrement dire d’une coéquipière qui se plaignait : « Il ne faut pas qu’elle oublie d’où on l’a sortie celle-là. » C’est gratuit et c’est horrible. »

Laurent Pionner n’évoque aucune situation de racisme ou maltraitance explicite, il a néanmoins constaté les défauts de déclarations de certaines joueuses auprès de l’assurance maladie. Mais plutôt que de taper fort sur les clubs en tort, il préfère « miser sur le dialogue, ce qui jusqu’à maintenant donne de meilleurs résultats ». Le football féminin de haut niveau qu’il imagine dans plusieurs années, c’est un environnement « où l’on n’ergote pas sur le nom de leur statut, professionnel, pas professionnel. Si les filles passent 100% de leur temps sur cette activité en échange d’une rémunération, elles sont professionnelles et doivent être reconnues comme telles. On parle de simple respect basique du droit du travail. »

Un petit pas pour le droit social qui serait un saut qualitatif pour le football féminin français, devine Safanjon. « L’enjeu, c’est le niveau de notre football féminin, le fait de ne pas être distancé par d’autres pays européens. Pour que le niveau de performance augmente, il faut que les filles se sentent sécurisées sur le plan social, santé, financier… On a la chance d’avoir un club comme Lyon qui a très vite montré la voie, et qui en a obtenu des bénéfices concrets. Il faut en profiter pour tirer tout le monde vers le haut. » Lucie l’admet, ce qu’elle voit à Lyon, Paris « ou même à Bordeaux » donne envie à toute la corporation des footballeuses de haut niveau. Parce que celles qui n’ont pas la chance d’exercer dans un club bien structuré sont en réalité sur la corde raide en permanence. « Il y a un vrai sujet sur la santé mentale des femmes footballeuses, elles doivent gérer beaucoup plus de choses que leurs homologues masculins, c’est pesant. Beaucoup de joueuses tombent en dépression, c’est difficile de trouver une satisfaction personnelle, une gratification, une fierté à exercer vu que cette pratique ne permet pas d’acquérir une sécurité financière ou un bénéfice social. » Combien de Samantha Johnson et combien de lettres ouvertes avant que le football féminin français ne devienne totalement professionnel ?

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Par Nicolas Jucha

Tous propos recueillis par NJ

* le prénom a été modifié, la personne préférant rester anonyme

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