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Football Leaks : le scandale, et après ?

Par Nicolas Kssis-Martov
Football Leaks : le scandale, et après ?

Les Football Leaks viennent d'éclater. Encore ! Après les Panama Papers qui concernaient déjà quelques footeux, dont notre Michel Platini national, c'est au tour, de manière plus ciblée, du football de voir exposer ses mœurs douteuses en matière d'exil fiscal et dissimulation de revenus. Avec, en tête de gondole, Cristiano Ronaldo, qui se transforme en Goldman Sachs gominé. L'ampleur des documents, avec l'habituelle tactique d'étaler les révélations sur plusieurs jours, laisse entrevoir qu'à l'instar du dopage, nous allons voir émerger bien davantage que quelques cas exceptionnels de délinquants financiers. C'est bel et bien un système qui transparaît. Ou plutôt la façon dont l'économie du foot professionnel participe aux flux financiers internationaux et favorise une véritable culture de « classe ». Et après, que fait-on si, paraît-il, la vérité est toujours révolutionnaire ?

Certaines vérités ne sont pas bonnes à entendre. Au même titre qu’il est usuel d’affirmer que le football ne s’avère pas pire que le reste de la société, il n’est certainement pas meilleur. Et pour ce qui nous intéresse depuis vendredi, il ne se démarque malheureusement pas de la course, ou la fuite, de nos élites économiques pour échapper à « l’oppression fiscale » de cet État « providence » – pour ce qu’il en reste – jugé un brin trop redistributif. Nos stars à crampons étaient inévitablement conduits, à un moment quelconque, à choisir l’évitement de la feuille d’imposition ? L’ensemble de l’économie du foot – clubs, propriétaires, sponsors, etc. – correspond désormais clairement aux schémas des multinationales. Le niveau de rémunération pour les plus fortunés (les éléments qui ont filtré se chiffrent en centaines de millions d’euros), surtout les formes de ces revenus (primes, droits à l’image, contrats marketing, etc.), s’apparentent ainsi aux prébendes habituelles accordées aux « cadres seniors » des géants transnationaux du capitalisme florissant. Les Football Leaks révèlent d’abord juste que les performances de CR7 en la matière n’ont rien à envier à celle d’un membre du CA de la Société générale. Et comme ses pairs, il pense les mériter « seul » et que cet argent « ex-nihilo » ne provient que du fruit de son « travail » .

Moins d’impôts, plus d’exil…

Le second enseignement tient au débat habituel qu’on nous assène sur les moyens d’attirer les meilleurs joueurs dans nos championnats, en l’occurrence la L1. Toutes les solutions proposées ou suggérées – statut d’ « impatrié » (dont bénéficia Zlatan) ou droit à l’image collectif – ne seront, semble-t-il, jamais la solution. Il paraît évident qu’en la matière, les plus fortunés préféreront toujours tendre vers le 0%. L’Espagne a eu beau accorder une vaste dérogation, taillée sur mesure pour que la Liga reste attractive et dominante en Europe, elle a aussi contemplé les maigres fruits de sa « gentillesse » s’envoler ailleurs. Le moins que l’on puisse dire, c’est que Jorge Mendes n’en avait cure et inventa le moyen, avec ses avocats, d’exfiltrer les véritables bénéfices de ses poulains – bien supérieurs à leurs salaires – sous des cieux encore plus amicaux. Il en va de même concernant la grande et traditionnelle mansuétude anglaise pour le bien-être fiscal des possédants, envers qui ce brave Mourinho se montra fort peu reconnaissant.

Égoïsme de classe ?

Bien sûr, les arguments et les petits ressorts démagogiques vont sûrement fleurir pour réduire cette pratique à l’égoïsme de vedettes hors sol déconnectées du réel. Elles sont en fait parfaitement incrustées dans leur réalité de classe. Si l’on prend encore le temps d’étudier en tant que tels les milieux populaires, étrangement, plus grand monde ne paraît vouloir penser les « riches » comme une catégorie sociale qui partagerait nombre de traits, voire de codes communs. Au moins, les Football Leaks permettent de souligner ce petit point sociologique. Nous ne partons pas à la chasse de quelques brebis galeuses, nous admirons une situation globale fabriquée par la stratégie d’indulgence de nos États envers les paradis ou îlots fiscaux – y compris au sein de l’UE comme Monaco ou l’Irlande –, dont les acteurs du foot, comme les autres, ont su tirer profit.

Footballeurs, les brebis galeuses idéales ?

Les footballeurs ont toutefois une faiblesse que ne possèdent pas leurs homologues en costards sombres. Riches mais sans puissance – c’est-à-dire disposant de fort peu de réseaux d’influence politiques ou économiques pour les couvrir –, leur popularité, leur visibilité médiatique, ainsi que leur stature « sportive » couplée au sempiternel chantage à l’exemplarité, les exposent davantage que les autres « coupables » de la City ou du CAC 40. Faites éclater un scandale sur l’exil fiscal au Panama, et tout le monde ne citera que les noms de sportifs ou d’artistes. Mais qui est réellement capable de recracher un seul patronyme des hommes ou femmes impliqués ? Ou même celui d’un haut responsable de la Société générale ? Finalement, le choix d’ouvrir le bal avec Ronaldo est emblématique de cette pente glissante.

Le véritable danger est éthique et, donc, se répercute en matière d’image. Mais, évidemment, qui poussera la réflexion au-delà ? Pourquoi nos footeux considèrent à ce point qu’ils ne doivent rien aux sociétés et aux pays qui leur permettent d’être si « privilégiés » . Peu de chance que les termes soient posés ainsi. Un journaliste de Mediapart se demandait sur un plateau télé quelle mouche avait piqué Mendes de choisir une telle option, uniquement pour que Ronaldo conserve deux millions d’euros supplémentaires, une broutille pour l’avant-centre du Real. Voilà peut-être la bonne question. Le fait même de donner « aussi peu » à une Espagne étranglée paraissait « anormal » . On ne prend pas de si mauvaises habitudes sans que quelqu’un, voire tout le monde, vous explique que c’est comme cela qu’il faut faire.

No justice, no Leak ?

Enfin, reste ouverte une dernière interrogation : quelles suites judiciaires, voire même conséquences sportives ? Pour résumer : même si l’Espagne promet d’ouvrir une enquête et la France de suivre le mouvement quand les noms bien de chez nous surgiront, la manifestation de la « vérité » , de l’infraction et de la culpabilité dans ce genre de dossier est longue, lente, et soumise à de nombreux aléas – sachant que des avocats talentueux s’en sont fait une spécialité. Et on peut surtout légitimement douter du désir de poursuite de nos puissances régaliennes en ce domaine (Panama avait été retiré de la liste des paradis fiscaux, Monaco et l’Irlande sont bien en Europe…). Dans l’Hexagone, en matière d’évasion fiscale, Bercy prend toujours le pas sur le ministère de la Justice. Un peu comme si la Santé décidait des poursuites pour trafic de drogues…

Quelle sera la réaction des instances du foot, UEFA et FIFA, dont la moralité sur ce chapitre ne se révéla pas toujours exemplaire ? Des seconds couteaux comme le FC Twente ont pu payer par le passé pour nettoyer un peu les écuries d’Augias, notamment concernant la tierce propriété. Toutefois, s’attaquer au cœur d’un fonctionnement qui fait manger tout le monde exige un peu plus de conviction. Bref, s’en prendre à Madrid ou à Manchester United ne constitue pas le même enjeu pour l’avenir de cette très ronde poule aux œufs d’or que de taper sur les doigts de quelques lampistes.

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