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Foot et municipales : larmes à gauche

Par Adrien Candau et Mathias Edwards.
Foot et municipales : larmes à gauche

Ce dimanche, les citoyens français assez courageux pour braver le confinement auront tout le temps d'examiner les listes, avant de glisser leur bulletin dans l'urne. Et bien souvent, les fans de football découvriront un nom familier. Il sont en effet une petite trentaine de joueurs, actifs ou retraités, à se présenter. Avec un point commun : à l'exception de Vikash Dhorasoo, tous ont opté pour un candidat représentant la droite républicaine et libérale. Preuve que le football est définitivement de droite ?

La liste est non exhaustive : Patrick Revelli (LREM), Hervé Revelli (LR), Fabien Audard (UDI), Mamadou Niang (LREM), Rudy Mater (UDI), Pierrick Capelle (divers droites), Ladislas Lozano (LR), José Cobos (LR), Thierry Uvenard (LREM), Josuha Guilavogui (LR), Patrick Cubaynes (LR), Olivier Rouyer (divers droites), Patrick Barul (LR)… Autant de footballeurs, à la retraite comme en activité, qu’on retrouve sur des listes aux municipales, affiliées à la République en Marche, aux Républicains ou encore à des candidats divers droite. Et à gauche ? Le néant ou presque. Seul Vikash Dhorasoo se retrouve tête de liste de La France insoumise, dans le 18e arrondissement de Paris. Drôle de bazar, alors que le footballeur moderne, le plus souvent autoproclamé apolitique, répugne généralement à choisir son camp.

Once upon a time in Manchester

Pour tenter de comprendre le phénomène, il faut comme souvent zieuter très en arrière dans le temps. Si le footballeur professionnel est parfois schématiquement décrit comme ayant « le cœur à gauche, le portefeuille à droite » , l’histoire raconte autre chose : « L’engagement des footballeurs, notamment sur des questions marquées à gauche a existé, relève Mickael Correia, journaliste indépendant et auteur de Une histoire populaire du football. La première grève des footballeurs et le premier syndicat de footballeurs se créent dans les années 1907-1909 et ça se passe à Manchester. À l’époque, Manchester, c’est la grosse cité industrielle cotonnière, et toutes les grandes centrales syndicales s’y créent… On est en pleine ébullition du mouvement ouvrier, tout le monde se syndicalise. Les footballeurs de United protestent alors contre leurs conditions de travail et veulent être considérés comme des travailleurs à part entière…. Sinon, en France, on a quand même eu Raymond Kopa qui a dénoncé les statuts des footballeurs en 1963, alors qu’on leur imposait le contrat à vie… Kopa il a été mineur, il a perdu un de ses doigts dans les mines, on sent que cette expérience l’a politisé. »

Moralité ? « Les footballeurs sont comme tout le monde, ancrés dans le contexte social et politique de leur temps, continue Correia. Le football n’est pas un champ autonome pour moi, il est traversé par ce qui se passe au sein de la société. Depuis dix, vingt ans, on vit dans une société plus droitisée, plus individualiste, avec moins de structures collectives et ça se répercute aussi dans le foot. »

Pas de parti, pas d’ennuis

Reste qu’une grande partie des footeux inscrits aux municipales refusent d’être catalogués politiquement. « La politique, ce n’est pas spécialement mon truc, pose l’ex-portier merlu Fabien Audard, soutien du candidat Fabrice Loher (centre droit), à Lorient. Si je me lance, c’est parce que j’ai envie de m’investir pour toutes les associations du milieu amateur, de tous les sports, et que j’ai eu une rencontre avec Fabrice Loher qui s’est bien passée. » « Pour moi, il y a de bonnes idées à gauche, à droite et au centre, expliquait dernièrement à So Foot Ludovic Obraniak, présent sur la liste du sénateur LR Marc-Philippe Daubresse à Lille. Mais je crois que les gens sont focalisés sur le personnage et ce qu’il dégage, même s’ils commencent à regarder les programmes. »

François Modesto, qui s’est engagé sur la liste nationaliste corse de Pierre Savelli à Bastia, semble plus ou moins sur la même longueur d’onde : « Je suis corse, c’est mon île, mon pays… Un nationaliste de droite ou de gauche, tant qu’il protège son pays, sa terre, c’est l’essentiel. L’important, c’est les gens, je ne suis pas dans une logique de parti. Je pense que ce n’est plus comme il y a vingt ou trente ans, où on se déterminait de droite ou de gauche. L’essentiel, c’est d’évaluer le projet et la personne que vous avez en face de vous, pour tenter d’améliorer les choses. Et puis, pour les municipales, on vote davantage pour une personne à l’échelle locale, pour les présidentielles, c’est différent. » Un discours auquel Vikash Dhorasoo n’adhère pas : « Quand on dit qu’on n’est ni de droite ni de gauche, on est de droite. Être de gauche, ça se revendique, ça s’affirme. » La tendance massive qui voit des joueurs qui ne se revendiquent « ni de droite ni de gauche » , tout en soutenant des personnalités de droite, tendrait-elle à donner raison au candidat de la France insoumise ? Obraniak, encore : « À l’époque, Sarkozy impressionnait et faisait déjà beaucoup parler. Il captivait l’attention. C’est pour ça qu’on s’intéresse à lui : on n’a pas retrouvé une personnalité aussi forte, clivante. Il a été battu, il s’est retiré, mais on y revient toujours parce que c’est un personnage. Le fait qu’il soit passionné de foot, sa relation avec le PSG, ça m’a aussi beaucoup plu. »

Deux perdants et Anne Hidalgo.

« L’amour du foot est plus assumé à droite »

Si la droite marque significativement plus de points auprès des footballeurs, c’est peut-être aussi parce qu’une bonne partie de la gauche a eu historiquement longtemps du mal à bien considérer le football. « Un des premiers présidents qui affiche son amour du foot, c’est Sarkozy, déroule Mickael Correia. On a eu Chirac aussi un peu, même si c’est plus du registre de la blague… Bref, l’amour du foot est plus assumé à droite. En France, on n’a pas eu de grande figure intellectuelle de gauche, de grand homme qui va vraiment l’afficher. On a juste eu Camus, un peu. Quand, au début des années 1980, Georges Marchais, le patron du PCF, dit : « J’ouvre L’Équipe avant d’ouvrir l’Humanité« , il se fait détruire par rapport à ça, quoi. Au sein de la gauche, le foot a longtemps eu cette image-là : c’est le sport du beauf un peu communiste, vieillissant, plus que le sport du peuple dans son ensemble… Marchais va incarner ça, cette idée d’une gauche vieillissante, un peu has been. »

Longtemps méprisé par une bonne partie de la gauche de gouvernement, le football et le footballeur, notamment professionnel, regardent alors peut-être naturellement ailleurs : « C’est vrai que la question du sport business, du sport spectacle, elle est plus facile – si on peut dire – à utiliser à droite, observe Marion Fontaine, historienne française spécialiste des mouvements ouvriers, et auteure d’un ouvrage de référence sur l’identité ouvrière du RC Lens. Il semble aujourd’hui que la dimension apolitique que revendiquent la plupart des joueurs est elle aussi plus facile à utiliser à droite ou au centre, que sur des listes plutôt militantes. »

Une théorie à laquelle adhère Dhorasoo, tout en revendiquant qu’il existe encore un football marqué à gauche. « J’affirme qu’il y a un sport de droite, et un sport de gauche. La FSGT (Fédération sportive et gymnique du travail, qui possède son propre championnat), c’est un foot de gauche, comme ce que propose Tatane. Personnellement, je pense aussi que ces joueurs-là (N.D.L.R., ceux qui sont engagés sur une liste de droite aux municipales),qui sont pour la plupart issus de milieux populaires, ils ont aussi eu besoin d’un système social français très fort, pour devenir professionnels. De terrains subventionnés, ou encore de l’école publique chère à la gauche. Leur ascension sociale devrait les inciter à défendre les classes populaires, à renvoyer l’ascenseur… Moi, je me bats pour la classe sociale dont je suis issu, c’est tout… Donc, à mes yeux, mes ex-collègues inscrits sur des listes de droite se trompent, même si je respecte leur engagement politique. »

La loi du marché

Si le footballeur penche plus à droite, c’est peut-être aussi parce que son milieu, celui du monde professionnel, est notoirement conservateur et économiquement libéral dans son fonctionnement et ses valeurs fondamentales. Souvent décrit comme l’un des produits les plus emblématiques du néolibéralisme mondialisé, le football de haut niveau, sauvagement sélectif (moins de 10% des joueurs sélectionnés en centre de formation deviennent professionnels), excessivement concurrentiel et de plus en plus élitiste (comme en atteste la dernière réforme de la C1) ne fait pas franchement dans la redistribution sociale. « Notez aussi que les joueurs professionnels sont incités à agir comme des auto-entrepreneurs de leur carrière, en gérant leur profil sur le marché, en prenant un agent…, observe le sociologue Julien Bertrand, auteur d’une thèse intitulée La fabrique des footballeurs, qui décrypte les dynamiques sociales à l’œuvre dans les centres de formation français. Donc, les valeurs du marché sont très prégnantes dans ce monde-là. »

Les structures du foot de haut niveau, comme la Fédération française de football, sont également réputées pour leur conservatisme : « Le centre de formation type à la française, c’est Georges Boulogne qui le met en place dans les années 1960, poursuit Correia.

C’est lui qui va créer la DTN par exemple. Boulogne, c’est un type façonné par le monde militaire, on le surnomme le Baron, parce qu’il est très conservateur. La FFF reste de nos jours un milieu très traditionaliste et je pense que ça se ressent dans le fonctionnement des centres de formation. » « Néanmoins, la FFF ne se positionnera jamais explicitement politiquement, nuance Marion Fontaine. Mais, pour des raisons d’intérêts et des raisons sociologiques, on peut dire que c’est un organisme davantage à droite, oui. Ces déclarations d’apolitisme, aussi bien de la part des footballeurs que des institutions, déguisent un positionnement plutôt conservateur, mais, encore une fois, toujours avec l’idée que ça ne peut pas s’afficher comme tel dans le football. »

Self-made men

La structure et le fonctionnement du football professionnel minent-ils dès lors au sein de ses propres lignes le pluralisme politique et le débat d’idées ? Alors que la plupart des joueurs déclarent bannir la politique des discussions de vestiaire, le fonctionnement des centres de formation peut légitimement interroger. « Dans ce qu’on leur enseigne dans les centres de formation, il peut y avoir un certain écho avec certains discours traditionnellement plus identifiés à droite, reprend Julien Bertrand. Ils sont menés à une lutte, à une concurrence très vive, très jeune. Il y a le sentiment qu’on se fait soi-même, que ce qu’on a est le fruit de ses efforts. Il y a toute une morale du travail, de l’effort, de la réussite individuelle, ce sont des choses fondamentales au cours de la formation. »

Cette fameuse bulle, ce cocon enveloppant qui préserve et conditionne les jeunes joueurs dans les centres de formation, pourrait aussi induire un certain formatage idéologique : « Ces formations sont assez cloisonnantes, à l’école ils se retrouvent souvent entre footballeurs et une grande partie de leur existence est prise en charge par le club, confirme Julien Bertrand. Or, les footballeurs, au sein de leur formation professionnelle, n’ont pas d’enseignements théoriques autour du football, type économie du football professionnel, histoire du football… Il y a une séparation, entre scolarité d’un côté, et apprentissage sportif de l’autre. Il n’y a pas d’ambition intellectuelle par rapport au football. On ne leur donne pas de repères pour prendre du recul, échanger, voir que le fonctionnement du foot pro peut être discuté… Bref, on n’outille pas leur discours pour défendre ou critiquer ce football-là, en fonction de leurs convictions… » Un ultime signe, s’il en fallait, que le football professionnel et ses acteurs ne sont, consciemment ou non, sans doute pas aussi apolitiques qu’ils aiment à le déclarer.

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Dans cet article :

Par Adrien Candau et Mathias Edwards.

Tous propos recueillis par AC et ME, sauf ceux de Fabien Audard issus de Ouest-France.

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