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Florent Sinama-Pongolle : « À Liverpool, j’ai couru derrière le bus »

Propos recueillis par Quentin Müller
Florent Sinama-Pongolle : «<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>À Liverpool, j&rsquo;ai couru derrière le bus<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>»

Meurtri par des blessures récurrentes aux genoux et par une sale réputation de père instable, Florent Sinama-Pongolle a souhaité revenir sur quelques points qui l'ont affecté. Dans un premier temps, il évoque calmement ses années à Liverpool passées aux côtés de son pote Anthony Le Tallec et son opportunité à Madrid, avant de découper avec justesse ceux qui ont eu peur de lui tendre la main.

Tu gardes quel souvenir du Havre ?

Des éducateurs importants, que du positif.

La formation havraise, c’est quoi ?

C’est le deuxième club formateur en Europe. Donc le meilleur club formateur en France. Après, les manques de moyens financiers font que les jeunes partent.

Débarquer jeune de la Réunion pour aller au Havre, c’est pas trop traumatisant ?

Je suis arrivé à 11 ans. Ça m’a fait un choc, c’est vrai. Je suis arrivé au mois d’août et pour te dire, je fais mon premier match en mars. J’ai enchaîné les blessures, les claquages. Le changement de nourriture, de climat tout ça… Mais ça m’a permis de passer un cap mentalement et d’être plus fort. Dès la première année, j’habite chez les Le Tallec. Ça remonte à un match contre Le Havre chez moi à la Réunion. C’était pour un tournoi. On a joué l’un contre l’autre, et c’est comme ça que nos deux familles ont sympathisé. On a tout de suite été très proches. Y avait une réelle complicité. On a tout fait ensemble ; l’école, notre formation, les parties de Super Nintendo… Puis j’étais tout le temps avec ses frères. Comme Damien (lui aussi joueur maintenant ndlr) était plus petit, on l’écrasait un petit peu. Il prenait cher. C’était le plus petit de ses deux frères donc… On lui volait son vélo etc.

Tu es toujours en contact avec lui ?

Toujours.

Y avait une compétition entre vous ?

Jamais. Lui jouait 10 à la Platini. Aujourd’hui, il joue attaquant parce que le poste n’existe plus. Moi, j’étais attaquant-attaquant.

Tu as suivi un peu ce qu’il s’est passé au Havre ces derniers temps, avec notamment le feuilleton Maillol ?

J’y étais encore fin janvier. Le président Louvel, c’est comme mon deuxième père. On a discuté et on a un peu fait le tour de l’affaire. Monsieur Louvel le vit très bien. Il est la tête de tant de choses dans le milieu, tu sais. C’est un homme d’affaires. À eux, ça leur coûtait rien. Il n’a pas dépensé un sou au final. Heureusement, j’ai envie de dire.

Tu te rappelles ton premier contact avec Liverpool avant de quitter le Havre ?

Tout passait via mon agent. D’ailleurs, Anthony signe quelques jours avant moi à LFC. Moi, je me rappelle une première approche d’Arsenal. Mais bon, le fait qu’Anthony signe là-bas, ça a un peu influencé mon choix. À 16 ans, t’as peur de l’aventure.

Quelle est ta première impression lors de ton arrivée à Liverpool ?

Moi, je ne venais pas pour la ville. Liverpool, c’est une ville industrielle, comme Le Havre. Aujourd’hui, ça a changé, c’est sûr. En 2008, elle avait été élue capitale culturelle européenne. Non, c’est pas tellement le changement d’environnement qui m’a marqué, mais mon premier entraînement. Il y a plus de chocs physiques, d’intensité, d’état d’esprit, d’engagement.
Gerrard, il arrivait sur les terrains d’entraînement et il frappait, frappait…

Et Owen, Gerrard, Carragher, ils vous traitent comment ?

Ils mettent à l’aise sans nous mettre à part. Nous, l’objectif, c’est de ne pas se faire remarquer autrement que par nos performances. Je me rappelle que le premier rassemblement a lieu dans un bus pour partir en tournée aux États-Unis. Anthony et moi, on arrive en retard. Au final, on s’est perdus. On a été forcés de prendre le bus en cours de route. On s’est tous fait applaudir par tout le monde à notre montée à bord.

Steven Gerrard joue sa dernière saison à Liverpool. T’as un souvenir précis du monument ?

C’est l’exemple à suivre à tout niveau. Il arrivait sur les terrains d’entraînement et il frappait, frappait. Tu sais, les Anglais, ils débarquent à l’entraînement sans se chauffer, ils se font des passes, des frappes, ça commence de suite par du jeu, y a moins de travail technique. On fait beaucoup de passes-contrôles. On imprime un rythme. C’est la marque de fabrique des joueurs anglais. Il était tellement professionnel, discret. Tout était impressionnant que c’est dur de trouver une anecdote chez ce genre de joueurs.

Tu peux nous raconter ta finale de Ligue des champions ?

J’étais blessé, je m’étais fait les croisés. J’étais avec ma compagne à Istanbul. On sentait que l’équipe, les supporters, tout pouvait se passer. Un feeling. Tu sais, c’est très étrange… Un jour, deux années après, je rencontre Thierry Gilardi, lors d’un tournoi de Playstation dans le Sud. Sur le retour, à l’aéroport, on discute de cette fameuse finale. Il m’a confié qu’à la mi-temps où Liverpool perdait 0-3, l’audimat a doublé. Normalement, quand lors d’une finale y a 3-0, à la mi-temps, tu t’attends à une baisse. Mais là, ce jour-là, ça a doublé. C’est fou, non ?

Tu y croyais toi, encore, à 3-0 ?

Je me disais : « Faut d’abord les réveiller » et surtout marquer pour l’honneur, histoire de donner une bonne réponse aux supporters qui faisaient du bruit. Puis, il y avait surtout Gattuso dans le couloir qui se foutait de notre gueule. Je crois que c’est principalement ce qui a donné aux gars l’envie d’y croire. Puis à 3-1, quand Gerrard marque de la tête, je me dis que ça y est, c’est parti. Puis Benítez fait entrer Smicer qui n’a pas joué un seul match de la saison. Je me demande ce que le coach fout. Puis « boum » , il marque. C’est ça le foot, c’est dingue.

Et quand tu touches cette coupe, tu ressens quoi ?

C’est quelque chose qu’on ne peut pas exprimer ou expliquer. Souvent mes potes me disent : « Je ne serais jamais jaloux des voyages que tu as faits ou de l’argent que tu as gagné grâce au foot, mais plutôt des émotions que peuvent te procurer un but devant 50 000 personnes ou une victoire en finale. » Après, cette émotion, je l’ai aussi vécue lors d’un maintien avec Huelva en Liga contre Valladolid.

Tu pars ensuite en prêt à Blackburn sous les ordres de Mark Hughes. T’en gardes quel souvenir ?

Fallait que je rejoue. Mais cette saison-là, y a Craig Bellamy qui fait une saison énorme et signe la saison d’après à Liverpool. C’est-à-dire que moi, je me retrouve derrière Craig à Blackburn, puis je retrouve le gars à Liverpool la saison suivante.

Mark Hughes, c’est quel type de coach ?

C’est très british : à fond dans la communication à l’anglaise. C’est autre chose : du fighting spirit, la bagarre sur tous les ballons. Dans le vestiaire, on se dit tout, droit dans les yeux. Avec lui, personne ne retenait ses efforts.

À côté, la Liga, c’est du gâteau, non ?

J’ai eu la chance d’avoir ce cheminement : France-Angleterre-Espagne. Quand j’arrive dans le championnat espagnol, j’ai la chance d’avoir l’enseignement anglais de la rigueur et de l’engagement physique. Je peux te dire que les défenseurs espagnols détestent ça. Après selon moi, aujourd’hui, la Ligue 1, c’est le championnat le plus dur en Europe. Quand j’y étais en 2001, ça n’était pas la Ligue 1 de maintenant, mais en ce moment, c’est quelque chose. Il y a une telle rigueur tactique, et puis toutes les équipes sont physiques.
Pendant les derniers mercatos, mon agent m’appelait et me disait « Flo’, les clubs ont peur »

Ce début de saison magnifique avec l’Atlético Madrid te permet de faire ta première sélection avec les Bleus. C’est le retour de Forlán qui plombe le délire, non ?

Il revient de blessure après 5 journées où je suis meilleur buteur du club et dans les meilleurs buteurs du championnat. Mon coach me dit : « Forlán revient, tu vas pas jouer ce week-end, mais tu joueras le week-end prochain. » Sauf que pour son retour, il met un triplé. Après, je fais des bouts de match, je me blesse et quand je joue, je ne marque pas. Au final, comme ils étaient très endettés et qu’ils avaient donc besoin de liquidités, ils ont décidé de me vendre, car je gardais une bonne cote. Si y a un truc que je regrette dans ma carrière, c’est ce départ de l’Atlético. Parce que quand je pars au Sporting, Madrid rappelle un autre joueur de prêt… C’est Diego Costa. La saison qui suit, Forlán part, et Diego Costa est second attaquant. On connaît après sa réussite. Moi, j’aurais largement pu être ce second.

Pendant la période du Sporting, tu as pensé à arrêter à la suite de ça et d’un problème personnel ?

T’es fou. J’aime trop le foot pour arrêter.

Au Sporting, c’est dur, non ?

C’est le plus gros transfert de l’histoire du club. On veut me donner de l’importance, mais je me sens pas au top. C’est le fait de ne pas être bien en dehors hein, mais au fil du temps, je n’ai pas été mis dans les meilleures conditions. J’ai un certain statut. Du coup, y a une attente. Mais j’ai mal au genou, et mon retour tarde. À la trêve, il y a un changement de président. Le nouveau veut démontrer que l’ancien a fait n’importe quoi, donc il m’a ouvertement montré du doigt. Du jour au lendemain, il fallait que je parte en prêt et je ne pouvais plus venir lors des préparations avec eux. C’est le « football système » . Qu’importent les valeurs du joueur et de l’homme.

Après Saint-Étienne, pourquoi le choix de Rostov ?

Là, je tire un trait sur l’équipe de France. Mais si je pars en Russie, c’est parce que je suis déçu par Saint-Étienne. Ils n’ont pas voulu lever l’option d’achat. Franchement, Saint-Étienne… Tu veux que je t’explique ? Je me fais un deuxième claquage au mois de février. La presse dit que c’est parce que j’ai deux enfants dans deux pays différents, que je suis instable… Si je suis en Suisse sincèrement… à Lausanne… Pour te dire, des clubs en France n’ont même pas voulu me prendre à l’essai parce qu’ils avaient peur de moi. On n’est même plus dans le milieu du football-là, on est dans de la paranoïa. On juge des gens sans connaître les personnes. J’ai même eu un écho d’un club dont je ne citerai pas le nom. Je propose mes services, et ils me balancent : « Nous avons besoin d’un joueur de suite. » Ils m’ont même pas testé, ils savent rien de ma condition.

Ce départ à Rostov, c’est une fuite donc ?

Moi, le football, c’est ma passion. Pourquoi Rostov ? Parce que ma femme est russe. Puis ça m’a fait du bien de sortir de toute cette pression, là. De cette fausse image qu’on me collait à la peau. Moi, je voulais m’éclater dans un club et dans une ville lointaine. Découvrir aussi une culture que je ne connais pas. D’ailleurs, je retrouve David Bentley là-bas. Mais manque de pot, mes dernières années niveau stats c’est… Tu vois, c’est typiquement ce qu’un club basique regarde : tes stats. Il ne regarde pas autre chose. Mais c’est plus complexe que ça. À Rostov, j’ai signé pour deux ans. De août à fin novembre, je joue et je mets un but. On part en préparation mi-janvier pour reprendre fin mars (le championnat russe commence en mars et finit en novembre, ndlr). En 8 matchs de prépa, je marque 6 buts. J’ai super hâte de débuter la saison. Je me sens bien et j’apprends le russe. C’est nickel, quoi. Parce qu’en Russie, on te reçoit pas de la même manière que dans d’autres pays, hein. Le problème, c’est que je me fais les croisés au deuxième entraînement de la saison. 6 mois d’arrêt. Ça te fait reprendre en octobre-novembre. À la fin du championnat quoi. T’as plus qu’un match pour prouver quelque chose, quoi. Bah les gars sont pas fous, ils te proposent pas une prolongation. En réalité, ça fait deux ans et demi que je cours derrière un calendrier. C’est ça, la réalité ! Aujourd’hui, les clubs, ils sont dans cette optique de « il a joué combien de minutes ? » À Chicago, ça s’est passé de la même manière.

Tu n’es pas fatigué par le « football système » , comme tu dis ?

Non, sinon j’aurais arrêté depuis longtemps. Lausanne, en venant me chercher, a compris ça. Avec un entraîneur qui a envie de me voir, de me connaître. La deuxième division en Suisse, j’en ai rien à foutre. Au contraire, c’est un challenge supplémentaire. Moi, je veux jouer, qu’on puisse me laisser tranquille. J’ai jamais eu un souci avec n’importe quel staf. Aujourd’hui, n’importe où où je vais, on m’ouvre la porte. Mais tu vois, pendant les derniers mercatos, mon agent m’appelait et me disait « Flo’, les clubs ont peur. »

La MLS, tu la recommanderais à un pote ?

C’est bien. Le niveau est bon. Après, le problème, c’est qu’il n’y a pas toujours la garantie d’avoir du taf sur le long terme. C’est le même système que la NBA. Du jour au lendemain, tu peux partir. C’est mieux d’arriver en tant que joueur désigné.

Un retour au HAC a été envisagé et reste envisageable ?

On en a parlé avec le président Louvel. Mais à Lausanne, j’ai beaucoup d’affection. Je marche beaucoup à l’affection, j’ai besoin de ça pour être bon. Je suis quelqu’un qui est parti tôt de chez moi. J’ai besoin de me sentir aimé et doit être convaincu de ce que je peux apporter. Les gens pensaient que c’était une blague, que Florent Sinama-Pongolle n’allait pas venir à Lausanne. Mais quand les gens me veulent vraiment, je tiens parole.

Propos recueillis par Quentin Müller

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