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Ferencváros, retour vers le passé

Par Valentin Lutz
Ferencváros, retour vers le passé

Après des années de disette et de difficultés financières abyssales, Ferencváros, géant hongrois endormi, a retrouvé la Coupe d'Europe cette saison. Le club le plus populaire de Hongrie, qui affronte Ludogorets ce jeudi, a su bénéficier de l'aide de Viktor Orbán, bien décidé à replacer son pays sur la carte du football et à renouer avec un glorieux passé européen.

Cela faisait quinze ans que l’on n’avait pas vu les maillots vert et blanc du Ferencvárosi Torna Club s’illustrer dans la phase de groupes d’une Coupe d’Europe. Depuis 2004 et une éphémère apparition en Coupe de l’UEFA, le mythique géant hongrois avait disparu des radars, bien qu’il soit auréolé d’un grand passé européen (deux coupes Mitropa en 1928 et 1937, une victoire en Coupe des villes de foire en 1965, une finale de C2 en 1975). Passé tout proche de la banqueroute au tournant des années 2010, Fradi est aujourd’hui piloté par un proche de Viktor Orbán, toujours soucieux de replacer la Hongrie sur la carte du football européen. Au même titre que la sélection nationale, Ferencváros bénéficie ainsi de l’aide du gouvernement hongrois, à tel point qu’il a retrouvé cette saison son terrain de jeu européen.

Un tournant appelé Viktor Orbán

Il y a une dizaine d’années pourtant, le club le plus titré de Hongrie était bien loin des joutes européennes. Malgré des résultats toujours aussi satisfaisants en championnat, Ferencváros est perclus de dettes : des joueurs sont impayés, et le téléphone ne fonctionnerait même plus dans les locaux du club. Dans l’incapacité de les rembourser sans revenus conséquents, l’écurie vert et blanc sombre finalement en 2006, deux ans seulement après son apparition en Coupe de l’UEFA : la Ligue hongroise décide de rétrograder administrativement Fradi. Pour la première fois de son histoire longue de 105 ans, l’écurie la plus populaire du pays va évoluer en deuxième division. Bien aidé par le gouvernement, réticent à l’idée de voir disparaître la plus grande équipe du pays, Ferencváros est racheté en 2008 par un investisseur anglais, Kevin McCabe, également propriétaire de Sheffield United. Ainsi une forme de stabilité, bien que nuancée par une situation financière toujours préoccupante, commence à poindre et Fradi retrouve l’élite du football hongrois en mai 2009, après trois années de purgatoire.

Mais le véritable tournant intervient l’année suivante. Dans un pays où le football et la politique ont souvent été liés, il ne faut en effet rien de plus qu’un changement de majorité pour infléchir le cours des événements. En 2010, le Fidesz, parti de droite, remporte les élections, et son leader, un certain Viktor Orbán, arrive au pouvoir : dans ses valises figure notamment un plan colossal de revitalisation du football national. Vecteur de puissance dans la rhétorique du Premier ministre hongrois, lui-même ancien joueur de Videoton, le ballon rond est destiné à redonner à la Hongrie son lustre d’antan. Pour la première fois depuis les années 1950 et le régime de Rákosi, le football retrouve une place centrale dans l’agenda politique : à l’image d’un certain nombre d’écuries (dont Videoton, devenu MOL Vidi), un proche de Vikor Orbán est nommé à la présidence de Fradi, en l’occurrence Gábor Kubatov, député et vice-président du parti majoritaire.

« Little money, little football ; big money, big football »

« Little money, little football ; big money, big football » , aimait affirmer Ferenc Puskás aux dirigeants communistes au cours des années 1950. En grand admirateur du Major galopant, Viktor Orbán sait donc qu’il faut se donner les moyens de ses ambitions : comme pour d’autres formations du pays, la renaissance de Fradi doit tout d’abord s’appuyer sur la construction d’un nouveau stade (d’ailleurs affublé du surnom Groupama Stadium), financé directement par le gouvernement à hauteur de 63 millions d’euros et achevé en 2014. Mais alors que Ferencváros peine en temps normal à attirer plus de 10 000 personnes par match, le géant hongrois se met en plus à dos ses ultras. Ceux-ci désertent en effet les travées depuis que la direction a décidé de mettre en place, à l’entrée du stade, un système d’analyse biométrique inédit permettant d’identifier les individus responsables de comportements délictuels. Kubatov, que des rumeurs tenaces affirment pourtant proche de ses cibles, cherche en effet à se débarrasser d’une frange particulièrement radicale (et politiquement influente) des supporters qui gangrène depuis longtemps le géant hongrois.

Bientôt, les revenus d’un stade vide ne seront d’ailleurs plus un problème. Car après quelques années d’austérité qui ont permis de résorber les dettes, Ferencváros est devenu l’un des principaux bénéficiaires des investissements et des innovations fiscales du gouvernement. La controversée méthode « TAO » , mise en place en 2011, permet par exemple à des entreprises de financer des clubs au lieu de s’acquitter de taxes sur l’ensemble de leurs bénéfices. Et bien qu’elles s’attirent les foudres de l’opposition pour leur envergure disproportionnée au regard des difficultés sociales du pays, les mesures commencent à porter leurs fruits sur le plan sportif : Fradi a ainsi renoué avec le succès en remportant en 2016 et en 2019 ses 29e et 30e championnats, les premiers depuis 2004. Surtout, le géant hongrois a retrouvé le goût des joutes européennes : plus de Flórián Albert à l’horizon, les stars sont désormais moins clinquantes et s’appellent Isael ou Blazic. Mais les tenaces hommes de Serhiy Rebrov ont malgré tout réussi leur entrée dans la compétition, en contenant de façon surprenante l’Espanyol Barcelone il y a deux semaines (1-1). Si Ferencváros aura probablement du mal à faire mieux face aux Bulgares de Ludogorets ce jeudi, et si d’immenses progrès restent encore à faire pour retrouver le lustre d’antan, le retour vers le passé est clairement engagé.

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