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Felice Mazzù, l’amour avant tout

Par Maxime Renaudet
Felice Mazzù, l’amour avant tout

En janvier 2020, à la suite de son éviction de Genk, Felice Mazzù songeait à reprendre sa carrière de prof d'EPS s'il ne retrouvait pas un club capable de lui offrir de la passion et de l'amour. Deux ans plus tard, le technicien de 55 ans a été désigné meilleur entraîneur belge de l'année pour la seconde fois de sa carrière, grâce à sa réussite sur le banc de l’Union saint-gilloise, actuel leader du championnat belge. L'Union, un club justement à son image : modeste, ambitieux et revanchard.

Quand le ballon du troisième but franchit la ligne, Felice Mazzù entre sur le terrain, serre les poings à genoux et se baisse pour embrasser la pelouse. Logique, l’Union saint-gilloise vient de retourner le Cercle Bruges (3-2). Après la victoire, avant de s’adresser aux journalistes, il se sert une Jupiler dans le frigo de la salle de presse. Histoire de savourer le fait que l’Union soit assurée de passer les fêtes dans le costume de leader. « Aujourd’hui, on a été menés 2-0. Ce que je veux mettre en évidence, c’est cette mentalité, cet état d’esprit, cette envie de gagner ce match dans la difficulté. C’est le mérite de mes joueurs. » Des louanges en apparence bateau, mais qui, dans la bouche du technicien de 55 ans, ne sont pas anodines tant il accorde de l’importance à « l’amour que chacun doit avoir dans le vestiaire ». Et dans ce registre-là, l’ancien coach carolo n’est pas le dernier, à en croire Maxime Chanot : « L’histoire de Felice c’est : je me bats pour vous, et je sais que vous allez vous battre pour moi. »

Si j’ai bien appris quelque chose avec lui, c’est qu’il est plus important de parler aux joueurs qui ne jouent pas plutôt qu’aux titulaires. Il avait vraiment conscience de l’importance du groupe.

Dithyrambique à l’égard de son ancien coach, Maxime Chanot n’était pourtant pas vraiment dans ses plans à son arrivée au White Star de Bruxelles en juillet 2011. « Il n’était pas forcément archi-chaud que je vienne, car c’est le président qui m’a un peu imposé. Mais j’ai compris plus tard qu’il avait une confiance et un respect énormes envers son groupe. Ses joueurs venaient de faire la montée de D3 en D2 et il ne voulait pas en trahir un seul. » Pour autant, l’actuel défenseur de New York à City ne va pas être laissé de côté par Mazzù. Au contraire, il devient un titulaire indiscutable, et ses dix-huit mois passés sous ses ordres l’ont marqué : « Si j’ai bien appris quelque chose avec lui, c’est qu’il est plus important de parler aux joueurs qui ne jouent pas plutôt qu’aux titulaires. Il avait vraiment conscience de l’importance du groupe. »

La modestie dans la peau

Comme Maxime Chanot, Cédric Fauré n’était pas forcément le premier choix de Mazzù quand il a accepté de quitter Guingamp pour Charleroi en janvier 2014. « Quand je l’ai eu au téléphone, sur le parking du Roudourou, il me dit qu’il est content de ma venue parce que je suis un joueur d’expérience, mais qu’il y a un jeune, Pino Rossini, qu’il a envie de relancer et qu’il a besoin de moi pour ça », rembobine Fauré. C’est mal connaître l’ancien goleador de Toulouse et Reims, qui va faire son trou en adhérant immédiatement à la philosophie Mazzù. « À la fin d’un stage en Hollande, on a fait une traditionnelle sortie d’effectif pour aller boire un verre. Il avait dit qu’on rentrerait à minuit parce qu’on avait footing à 8 heures. Mais à minuit moins dix, il a dit :« Rendez-vous à 2h au bus, ceux qui rentrent avant c’est des rigolos », rejoue Fauré. Sur le chemin du bus, on se serrait dans les bras, et il a dit :« Vous faites des câlins, mais quand ça n’ira pas, vous demanderez au président de me virer. » » Le lendemain, aucun joueur ne traînera des pieds au moment d’évacuer les surplus d’alcool. Et dans la continuité de ce stage, son groupe réalisera une saison de folie en jouant les playoffs 1 pour la première fois de l’histoire des Zèbres.

Finalement, à l’été 2019, après six saisons au cours desquelles il aura fait vaciller le cœur des supporters carolos, Mazzù quitte le Hainaut. Mais sans se faire virer puisqu’il cède aux sirènes de Genk, amené à jouer la C1 après son titre de Belgique acquis quelques semaines plus tôt. Une erreur puisqu’il prendra la porte après seulement quatre petits mois dans le Limbourg. La faute, semble-t-il, à son manque de maîtrise de la langue flamande. Et aussi, peut-être, un poil de naïveté dans sa communication. « C’est quelqu’un de très humble et modeste, mais malheureusement, à travers ça, il a parfois tendance à se dénigrer, tente d’expliquer Maxime Chanot, encore régulièrement en contact avec son ancien coach. À Genk, là où il a été mauvais dans sa communication, mais c’est Felice, c’est qu’il a été trop modeste. »

Je crois que Felice parle souvent de mon passé de mineur parce que ça l’a impressionné qu’un jeune garçon italien, pauvre, manœuvre, arrive en Belgique, s’adapte, travaille et construise une famille.

De prof d’EPS à meilleur coach de Belgique

Si cette modestie lui a joué des tours à Genk, elle apparaît pourtant comme une force dans le parcours de Felice Mazzù. Un trait de caractère hérité de ses parents, arrivés à Charleroi au début des années 1950 en provenance de Calabre. Son père, Pasquale, travaillait dans les mines, où il était préposé aux charbonnages de nuit, la seule façon d’obtenir un permis de travail. Une histoire partagée par de nombreux immigrés italiens de l’époque, et qui fait sens dans la carrière de Felice, toujours prompt à mettre en avant l’héritage légué par ses parents, chez qui il allait boire le café avant chaque rencontre à Charleroi. « Je crois que Felice parle souvent de mon passé de mineur parce que ça l’a impressionné qu’un jeune garçon italien, pauvre, manœuvre, arrive en Belgique, s’adapte, travaille et construise une famille », expliquait à la RTBF son père, Pasquale Mazzù. Un patriarche dont les sacrifices ont permis à ses enfants d’entreprendre des études universitaires. Que ce soit Felice, sa petite sœur Pasqualina ou son frère aîné Antonino, professeur de philosophie à l’université libre de Bruxelles. Contrairement à ce dernier, Felice était un élève abonné au strict minimum et plutôt du genre trublion. Comme la fois où « à 16 ou 17 ans, l’école a téléphoné pour qu’on vienne chercher Felice, car il avait trop bu », relatait son père cette fois à La Dernière Heure. Un manque de sérieux qui ne l’a pas empêché d’embrasser dès 1990 la carrière de professeur d’EPS, poste qu’il a occupé avec passion pendant 23 ans, et qui fait de lui aujourd’hui un ovni dans le monde du foot.

Modeste défenseur central de Charleroi, où il a fait ses classes sans parvenir à signer pro, il n’était en effet pas prédisposé à finir sur un banc de D1. Mais ses nombreuses aventures dans les divisions inférieures belges lui ont offert l’occasion d’apprendre à créer et à fédérer un groupe, quelle que soit la qualité des joueurs à sa disposition. C’est le cas également à l’Union, où il n’a pas hésité à rebondir en D2. « À Saint-Gilles comme à Charleroi, il a réussi à créer un groupe et une identité de jeu. Pourtant, les joueurs qui forment le noyau de Saint-Gilles, ce ne sont pas des superstars, mais ce sont des joueurs qui se battent pour lui et pour le maillot », concède Cédric Fauré, qui a terminé sa carrière à l’USG en 2017. Pour l’instant, depuis son arrivée à Saint-Gilles en mai 2020, force est de constater que la méthode Mazzù fonctionne à la perfection. Après être grimpée en D1 haut la main après 48 ans de disette, l’Union est leader surprise de Jupiler Pro League depuis la mi-octobre. Et peu importe l’issue de cette saison, et celle du match contre La Gantoise ce dimanche, son équipe a déjà prouvé qu’elle était aussi conquérante que soudée. Comme lors de la 5e journée contre Malines, le 22 août dernier, lorsqu’elle est entrée sur la pelouse avec un tee-shirt en hommage à la mère de leur coach, Anna, décédée quelques jours plus tôt. La preuve, s’il en fallait encore une, qu’avec l’Union, Felice Mazzu a retrouvé l’amour.

Par Maxime Renaudet

Propos de Maxime Chanot et Cédric Fauré recueillis par Maxime Renaudet. Ceux de Felice Mazzù par Florian Lefèvre et Andrea Chazy, à Saint-Gilles.

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