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Fashion Sakala : « Je partais seul pour chasser l’impala »

Propos recueillis par Adel Bentaha
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Au moment d’entamer son sprint final dans la course à l’Europe et de défier Beerschot, l’un de ses concurrents, le KV Oostende peut compter sur un élément de poids : Fashion Sakala, actuellement meilleur buteur de son club avec treize réalisations, porte en effet en lui les espoirs des Côtiers. De la chasse dans le bush zambien aux pelouses européennes, celui que l’on surnomme « Captain » raconte son parcours. Sourire aux lèvres, et plus fashion que jamais.

Tu es actuellement le meilleur buteur d’Oostende et le sixième du championnat belge, c’est une saison exceptionnelle ou surprenante ?Les deux, j’ai bien commencé ma saison et j’ai tout fait pour rester constant. Je suis vraiment en confiance et surtout, je sens que mes coéquipiers me donnent des responsabilités. Pour un attaquant, il n’y a que cela qui peut vous pousser vers l’avant. Bien qu’en ce moment, je sois un peu plus dans le dur avec mon retour de blessure.

J’avais quelques flèches, un harpon et je fabriquais des pièges.

L’an dernier, Oostende s’est maintenu in extremis. Mais cette saison, vous luttez pour une qualification européenne. Comment on l’explique, au sein du club ?La saison dernière, nous étions beaucoup trop complexés. Nous avions mal commencé notre saison, et on a tout de suite joué petit bras. Ça nous a été préjudiciable, on a frôlé de peu la relégation. Cette saison, nous avons compris que jouer défensif n’apportait rien et qu’il fallait surtout marquer des buts pour gagner. Débile, mais efficace !

En arrivant de ta Zambie natale, tu aurais cru un jour jouer les premiers rôles en Europe ?Pas du tout. Je suis né dans le petit village de Kawele, dans la province de Chipata, tout près de la frontière avec le Malawi. Tout ce que je vis actuellement était, à l’époque, de l’ordre de l’impossible. J’ai grandi dans un milieu extrêmement rural, et surtout extrêmement pauvre. Je suis issu d’une famille nombreuse de sept frères et sœurs et j’étais le cinquième, mais le garçon aîné. Nous avons grandi avec notre père, qui nous a tout de suite responsabilisés. Notre village était isolé de tout, il fallait donc se débrouiller pour trouver à manger.

En quoi consistait cette débrouillardise ?Moi, j’étais chasseur pour famille. C’était une pratique importante, dans mon village. Non pas dans le sens traditionnel, mais vraiment pour survivre. Mon père comptait énormément sur moi, je partais donc souvent seul dans le bush en quête de gibier.

Comment tu procédais, et quels animaux chassais-tu ?Je partais avec des chiens qui me permettaient de me repérer, ça me facilitait la tâche. Concernant le matériel, c’étaient toujours des armes artisanales. J’avais quelques flèches, un harpon et je fabriquais des pièges. Le bush regorge d’animaux de « proximité » , qui s’aventurent souvent loin de leur groupe. Je chassais, en priorité, l’impala et le lapin. L’impala ressemble un peu à une gazelle et est un animal assez craintif, donc il fallait y aller en douceur. Durant les saisons des pluies, je passais à la pêche. Les animaux terrestres se cachaient, et il fallait avoir un plan B.

Tu as fait ça toute ton enfance ?Quasiment, oui. J’ai commencé vers l’âge de huit ou neuf ans, dès que j’ai su courir vite en fait. Je le faisais environ deux fois par semaine, jusqu’à mes seize ans. D’ailleurs, c’est pour cela que je n’ai aucune sélection chez les moins de dix-sept ans de la Zambie. J’ai été découvert sur le tard, car je vivais encore dans mon village à l’âge de dix-huit ans. Il fallait que je reste auprès des miens, pour pouvoir m’occuper d’eux et me joindre à mon père. Pour l’anecdote, mes qualités de chasseur m’ont valu le surnom de « Captain » au village : celui qui prend toujours soin de sa famille !

Mon père avait une radio, qui ne captait que la station nationale. Donc les seuls moments où j’avais accès au monde extérieur ou au football, c’était à travers la radio.

« Captain », c’est ton surnom. Mais Fashion est un prénom assez fascinant, quelle est son histoire ?
(Rires.) C’est une longue histoire. Mon prénom « officiel » est Timothy, puisque mon père s’appelle également Timothy. Mais durant sa carrière de jeune footballeur au village, on le surnommait « Fashion », car il était très élégant balle au pied. Le jour de ma naissance, tous ses amis lui ont donc demandé de me prénommer « Fashion », et il a obéi. Donc désormais, sur ma carte d’identité, il y a bien écrit « Fashion Sakala Junior » en référence à son surnom.

En dehors des parties avec les copains, tu suivais le football à la télévision ?Absolument pas. Nous avons eu notre première télévision en 2008, et je n’avais jamais vu un tel objet auparavant. En fait, je ne faisais qu’imiter mon père en jouant et je ne savais même pas que des matchs pouvaient être diffusés.

Vous n’aviez aucun objet ou outil technologique ?Mon père avait une radio, qui ne captait que la station nationale. Donc les seuls moments où j’avais accès au monde extérieur ou au football, c’était à travers la radio. Seuls les matchs de l’équipe nationale étaient retransmis, il y en avait peut-être quatre ou cinq par an. Donc pour moi, c’était l’événement à ne pas rater. J’imaginais les actions comme dans un livre. Chez nous, en Zambie, les commentateurs sont très expressifs. Donc ils me faisaient encore plus vivre le match. Je ne comprenais pas très bien ce qu’ils disaient, mais j’essayais de me faire un film dans ma tête.

C’est assez paradoxal, car aujourd’hui, nous vivons dans un monde hyperconnecté où les écrans prennent une place importante.Totalement. Je suis né à la fin des années 1990, donc c’était un peu le boom technologique avant le nouveau millénaire. Tout cela, je ne l’ai compris que plus tard. Dans mon village, on a grandi sans et c’est pour cela que je n’arrive peut-être pas à me rendre compte de toutes les technologies qui nous entourent. On vit en « retrait » , comme diraient les occidentaux.

Il faut savoir que je suis un fan de Rainford Kalaba, des frères Katongo et d’Emmanuel Mayuka. Donc porter le même maillot que ces légendes, c’était indescriptible.

Quel est ton rapport à cet objet, désormais ?Pour beaucoup de personnes, c’est une simple radio. Mais pour moi, c’est l’objet de toute mon enfance. Quand les gens évoquent la radio, c’est toujours comme un objet démodé. Mais ils ne savent pas à quel point ça aide, à quel point ça peut faire évoluer une passion.

Quelle a été ta réaction, en découvrant un match de foot à la télévision ?Waouh ! Voir ces couleurs, entendre ces sons… C’était comme être au stade pour de vrai. Je me souviens que c’était une rencontre de Manchester United, je ne saurais plus dire l’adversaire. Incroyable ! Toute mon enfance, je voyais des gens passer avec des maillots floqués « Ronaldo » ou « Rooney » sans jamais savoir qui c’était.

La véritable passion était née ?Vous rigolez ou quoi ? Je suis immédiatement tombé amoureux de Cristiano Ronaldo. Sa façon de courir, sa coupe de cheveux, sa vitesse, ses dribbles fous… Jusqu’à aujourd’hui, c’est mon modèle. Pour dire la vérité, je me souviens avoir collé mes yeux sur l’écran, car je ne savais pas ce qu’il fallait faire devant une télévision. (Rires.) Elle fonctionnait avec une sorte de batterie, ce qui fait qu’elle s’éteignait dès qu’elle était déchargée. Je n’ai jamais pu finir un seul match, durant mon adolescence. Dehors, nous jouions avec une chimphombwa, une petite balle faite de déchets plastiques. Mon père fabriquait toujours la mienne.

En t’écoutant, tu sembles à des années-lumière d’une carrière de footballeur.Encore une fois, merci la radio. Mon père a entendu parler d’une académie, la Kum’mawa Stars, qui faisait passer des tests pour les jeunes. Nous avions une vieille bicyclette à la maison et c’est avec cela que nous y sommes allés, nous avons roulé près de huit heures ! Au moment de commencer, ils m’ont dit qu’il fallait des chaussures. Moi, je n’avais pas de crampon. Heureusement, un candidat m’a gentiment offert une paire de rechange. Depuis, c’est devenu l’un de mes meilleurs amis.

Il s’agissait d’une belle entrée en matière.Exactement. Nous avons fait un tournoi interprovincial dans la ville de Livingstone, j’ai joué six matchs et marqué neuf buts. Il y avait d’ailleurs Patson Daka (actuellement au RB Salzbourg, NDLR), dans une autre équipe. À la suite de ce tournoi, les Nchanga Rangers, club de deuxième division, m’ont signé. J’étais en partie heureux de rendre fier mon père, mais c’était assez difficile : je n’avais que dix-huit ans, et je quittais le seul endroit que je connaissais. Ma famille me manquait énormément, surtout mon père. J’étais payé au lance-pierre, on se moquait toujours de moi à cause de ma façon de m’habiller et de mon accent, car je ne parlais pas très bien l’anglais. Je parlais une langue locale, le nyanja, et c’était un peu mal vu. Dans mon village, nous n’avions accès à l’anglais qu’à travers l’école, et c’était difficile de suivre un rythme scolaire régulier. Donc forcément, aucun habitant ne maîtrisait cette langue. Personnellement, je l’ai apprise au fil du temps.

Je fais beaucoup de rêves prémonitoires, depuis tout jeune. Avant d’aller à la chasse, je pouvais rêver de la météo.

Le Zanaco, l’un des meilleurs clubs du pays, te donne ensuite ta chance.Une longue histoire, également. J’ai fait le tour de toutes mes connaissances pour trouver le numéro de téléphone de Numba Mumamba, l’entraîneur du Zanaco, en 2015. Je n’avais ni agent ni document, il fallait donc que je me débrouille tout seul. Je n’ai cessé de prier avant de décrocher mon téléphone, et il était très surpris que je le démarche de cette manière. Mais à force de lui laver le cerveau, il a fini par accepter de me faire passer un essai.

Ton parcours est alors définitivement lancé. L’ultime récompense, c’est ta sélection en équipe de Zambie ?C’était le 2 septembre 2017, contre l’Algérie. Il faut savoir que je suis un fan de Rainford Kalaba, des frères Katongo et d’Emmanuel Mayuka. Donc porter le même maillot que ces légendes, c’était indescriptible. Au moment de l’hymne, j’ai commencé à trembler d’émotion. J’ai cru mourir, j’étais comme compressé de l’intérieur. Je repensais à tous ces moments passés à chercher de la nourriture, à essayer de survivre.

De l’émotion, tu en as justement au moment de ton expulsion ?La honte ! Je prends un premier carton jaune juste avant la mi-temps pour une faute grossière et dès le retour des vestiaires, je commets une autre faute. Je vois l’arbitre arriver vers moi, je me dis qu’il va me réprimander. Et là, je le vois sortir un deuxième carton. J’ai quitté le terrain en larmes, j’étais effondré avec l’impression d’avoir tout gâché et en pensant que je ne remettrais jamais les pieds en sélection. Heureusement, en fin de match, le sélectionneur est venu me voir et m’a tout de suite consolé. Et puis, même Lionel Messi a pris un carton rouge pour sa première avec l’Argentine !

Ton arrivée en sélection coïncide avec ta découverte de l’Europe, au Spartak Moscou. Tu ne joues cependant que pour l’équipe réserve…Le Spartak me repère en début d’année 2017, par le biais d’un recruteur basé en Afrique du Sud qui assistait à des tournois dans tous les pays alentours. Je n’ai, cependant, jamais eu ma chance en équipe première. J’ai pourtant joué 35 matchs, et marqué dix buts. C’est le choix du coach, comme disent les joueurs. Je savais que tôt ou tard, on remarquerait mes qualités, et Oostende l’a fait. J’ai énormément travaillé, et beaucoup communiqué avec mon agent Adrián Calviño. Il m’a toujours aidé, et surtout demandé de garder mon calme. Parfois, les gens ont une image particulière de ce métier. L’argent, tout ce que ça engendre… Mais quand tu tombes sur des personnes qui ne veulent que ton bien, il faut juste remercier la vie. Sans leur aide, je n’aurais jamais su ce qu’était un préparateur physique ou un nutritionniste. La Russie reste tout de même une excellente expérience, ma toute première en Europe.

Je prie trois fois par jour, depuis tout jeune. La foi me permet de relativiser beaucoup de choses, et de comprendre qu’une force supérieure nous guide.

Tu dis qu’il faut « remercier la vie », c’est spirituel.
Disons que la foi m’aide à relativiser. Je fais beaucoup de rêves prémonitoires, depuis tout jeune. Avant d’aller à la chasse, je pouvais rêver de la météo. Je sais que ça peut surprendre les gens. L’an dernier, à Oostende, j’avais une blessure au genou et je devais me faire opérer. La veille de mon intervention, j’ai fait un rêve incroyable. Je sentais qu’une main passait sur ma jambe plusieurs fois, et qu’une voix me disait :« Tu es guéri, cette opération risque de gâcher ta carrière. » J’ai repris mon calme, et directement téléphoné à mon club. Je les ai suppliés d’annuler le rendez-vous, en leur disant que ma jambe allait beaucoup mieux. Le lendemain, le médecin est venu m’examiner et a constaté que mon genou était vraiment soigné.

La foi est indissociable de ton parcours ?Je prie trois fois par jour, depuis tout jeune. La foi me permet de relativiser beaucoup de choses, et de comprendre qu’une force supérieure nous guide. D’ailleurs, de nombreux footballeurs expriment la même chose. Encore une fois, c’est quelque chose de personnel, car beaucoup de gens ont des croyances différentes. Ce que j’aime chez l’être humain, c’est cette fine spiritualité qui fait en réalité le lien entre nous.

Quel souvenir retiendrais-tu de ton début de carrière ?Sans hésiter, un match contre le Mali avec les U20 de la Zambie. C’était pendant la CAN, à domicile, et mon père venait me voir au stade pour la première fois. J’ai marqué un doublé, nos regards se sont croisés, et j’ai pratiquement fondu en larmes à la fin du match. Toutes les galères que l’on a connues sont ressorties, et cerise sur le gâteau, nous avons gagné le tournoi. Quel souvenir !

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Propos recueillis par Adel Bentaha

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