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« La fédération afghane est si corrompue que certains revendent des maillots volés »
Le 17 octobre dernier, avant un match décisif pour les qualifications à la Coupe du monde 2026 contre la Mongolie, la sélection afghane obtenait le renvoi de son sélectionneur Abdullah Al-Mutairi. Depuis, la quasi-totalité des joueurs ont annoncé boycotter la sélection nationale - battue jeudi par le Qatar 8-1 - pour protester contre la corruption de leur fédération. Entretien avec Farshad Noor, capitaine révolté.
Salut Farshad. Tu joues en sélection depuis mars 2017, tu es capitaine depuis 2019. Avais-tu déjà observé des problèmes de corruption par le passé ?
J’avais entendu des histoires sur Mohammad Yousef Kargar, mais je n’étais pas assez investi pour savoir ce qu’il se passait de l’intérieur. Il était sélectionneur (joueur international afghan de 1980 à 1993, il est nommé adjoint en juillet 2001 puis sélectionneur de juin 2008 à janvier 2015, NDLR), il est devenu président de la fédération (directeur technique national à partir de janvier 2017, nommé président en janvier 2020). Ces quatre dernières années, j’ai vu tellement de choses… Le problème n’est pas uniquement la corruption, mais aussi les nombreux mensonges qui l’entourent. La fédération nous prend l’argent des sponsors qui devrait revenir aux joueurs. Certains volent même des ballons et des maillots pour les revendre ! À tel point qu’on a souvent joué avec de faux maillots, où il fallait repasser l’écusson avant le match pour qu’il tienne. Il y a tellement de preuves de leur corruption. Cela fait des années que l’on joue en sélection à nos frais. Récemment, nous avons découvert qu’une facture envoyée à la FIFA pour nos billets d’avion était estimée à 60 000 dollars, alors qu’elle était en réalité de 40 000 dollars.
Que revendiquez-vous à travers ce boycott ?
Nous voulons juste que revienne aux joueurs ce qui leur appartient. Depuis de nombreuses années, nous jouons à nos frais pour la sélection. La FIFA a gelé les comptes de la fédération à la suite de la prise de pouvoir des talibans. Selon Kargar lui-même, l’Arabie saoudite envoie de l’argent à la fédération afghane, car ils ont besoin de leur vote pour obtenir l’organisation de la Coupe du monde. Nous avons donc envoyé un mail aux Saoudiens et à la FIFA pour que cela s’arrête.
Que s’est-il passé lors de la rencontre contre la Mongolie en octobre dernier ?
Nous avions joué un match aller au Tadjikistan avant d’aller en Mongolie. Entre les deux matchs, le coach Abdullah Al-Mutairi (depuis remplacé par Ashley Westwood, NDLR) m’annonce que les Saoudiens ont envoyé beaucoup d’argent que les joueurs toucheront prochainement. Je lui ai demandé de s’assurer qu’il nous arrive directement de l’ambassade afin d’éviter que Kargar puisse se servir. Et le même jour, devinez qui débarque avec l’argent ? Kargar, nous annonçant que nous avons 5000 dollars à nous partager. Face à notre réaction, il a voulu nous faire croire à une blague, que c’était en fait 10 000 dollars à aller chercher dans son bureau. Personne n’y est allé, je suis parti voir l’entraîneur, qui faisait semblant de dormir dans sa chambre. Il m’a dit qu’il allait appeler les Saoudiens, mais que je ne devais pas le suivre. Il est sorti de l’hôtel, je l’ai suivi, et il a appelé Kargar. L’entraîneur nous a ensuite montré l’enveloppe scellée, avec 20 000 dollars dedans. Il disait : « Dieu merci, les Saoudiens ont envoyé l’argent, Dieu merci… » Nous avons ensuite appris que la somme initiale qui devait nous être versée était de 30 000 dollars…
C’était avant d’arriver en Mongolie ?
Oui. Après cela, nous avons tout d’abord refusé de nous entraîner, puis Kargar a menacé les joueurs résidant en Afghanistan en leur disant que les talibans risquaient de s’occuper d’eux à leur retour. Comme le match à venir était décisif, nous avons accepté de nous entraîner, mais sans le coach, car nous ne voulions plus de lui. Le jour du match, Kargar disait qu’il serait préférable que l’on perde, et notre entraîneur a demandé que le responsable officiel du match mette la Mongolie vainqueur 3-0 sur la feuille de match, avant de refuser de quitter le terrain. Nous nous sommes dit que quoi qu’il arrive, nous ne pouvions pas perdre ce match. Avec plusieurs joueurs, nous avons choisi le onze de départ. Je me suis mis sur le banc, pour m’assurer que rien de malheureux n’arrive. Je suis entré à l’heure de jeu, nous avons marqué et gagné (victoire 1-0 de l’Afghanistan sur un but de Farshad Noor à la 71e minute, 2-0 sur l’ensemble des deux matchs, NDLR). La fédération a ensuite annoncé qu’elle avait décidé de renvoyer le sélectionneur…
Que s’est-il passé ensuite ?
Nous avons donné une dernière chance à la fédération. Deux semaines après, nous avons organisé une réunion sur Zoom. Les joueurs avaient choisi de ne pas revenir, mais nous voulions résoudre le problème. Il y avait Braham Siddiqi, le secrétaire général, et deux autres membres de la fédération, mais pas Kargar. On nous a dit qu’il avait un repas de famille, avant que l’on apprenne qu’il donnait une interview au même moment… Puis, comme les amateurs qu’ils sont, ils ont essayé d’enregistrer la réunion. Cela s’est affiché sur l’écran de tout le monde, et ils étaient surpris quand on leur a fait la remarque…
Toi, tu es né aux Pays-Bas et tu joues aujourd’hui à Singapour. Quels sont les risques pour les joueurs locaux ?
Pour eux, c’est le pire. Lors d’un rassemblement, ils étaient logés au sous-sol du stade où on leur a amené un mouton en guise de nourriture pour un mois… Certains m’ont dit qu’ils auraient eu plus à manger en prison qu’en sélection. Ils ne peuvent pas refuser d’aller en sélection, ils n’ont pas le choix, pas de voix. Ils peuvent être virés à tout moment de leur club, ils sont à la merci de la fédération. Le plus important est que l’Arabie saoudite arrête de verser de l’argent à la fédération, car ils salissent leur nom. Nous avons contacté la FIFA, les choses avancent. Nous faisons cela pour offrir un futur meilleur à la Fédération afghane.
Propos recueillis par Baptiste Brenot