- Arabie saoudite
« Tu as le droit de dire que tu vas en Arabie saoudite pour le côté financier »
Ronaldo, Benzema, Kanté, Koulibaly, Mendy, Neves... La course à l'armement en Arabie saoudite n'en est qu'à son commencement. De quoi chambouler la planète foot. Avec une nouvelle ère qui commence. Présents en D1 saoudienne depuis un an, Fayçal Fajr (34 ans, milieu de Al-Wehda) et Marcel Tisserand (30 ans, défenseur d'Al-Ittifaq) débattent du changement de dimension du foot là-bas.
Si on vous demande de nous résumer ce qu’il se passe en Arabie saoudite en un seul mot ?
Marcel Tisserand : Exception.
Faycal Fajr : Extraordinaire !
MT : Il y a beaucoup de rumeurs. Mais tu as déjà Cristiano Ronaldo, Karim Benzema, N’Golo Kanté… Ce sont des joueurs d’exception. Pour un pays comme l’Arabie saoudite, c’est exceptionnel d’accueillir des joueurs de ce talent-là. Benzema… On parle quand même du dernier Ballon d’or. Ce mercato va être croustillant !
FF : L’Arabie saoudite aimerait organiser la Coupe du monde. Ils sont en train d’essayer de ramener un maximum de grands joueurs pour faire parler du championnat, que les gens aient un œil dessus et sur le pays. Moi, je me dis que c’est parfait, que j’ai choisi la bonne destination. J’ai été satisfait de ma première saison, et là, ça va amener un peu plus de compétitivité.
MT : C’est sûr qu’on va porter un peu plus d’attention que d’habitude à la préparation d’avant-saison. On va être amené à jouer contre des joueurs de haut niveau. Il va donc falloir être au niveau. Mais c’est fou et surtout tout nouveau. Avec une politique totalement différente de la part du ministère des Sports et des instances. Avant, ils ne portaient pas vraiment d’intérêt à l’arrivée de joueurs de renom. On voit qu’ils sont dans un tournant, déjà d’un point de vue culturel, au niveau des infrastructures dans le pays, de la manière dont ils sont en train de voir le sport.
Ces derniers mois, aviez-vous imaginé toute cette folie ?
MT : Quand on voit Cristiano Ronaldo arriver (à Al-Nassr), ça met tout de suite un coup de boost au pays. Ça et la performance de l’Arabie saoudite d’Hervé Renard à la Coupe du monde, avec la victoire face à l’Argentine (2-1) qui deviendra championne du monde. Ce n’est pas passé inaperçu. Ça a permis de situer l’Arabie saoudite sur la carte. Beaucoup de monde se demandait si on jouait au football là-bas. Ça a attisé la curiosité.
FF : Quand Cristiano Ronaldo est arrivé, on en discutait entre joueurs. Et on se disait : « Si lui a réussi à venir… Tout le reste, du bon joueur au joueur normal, ils vont tous venir à un moment donné ! » Avant, ce n’était pas un championnat lambda. Dans les grands clubs, Al-Hilal, Al-Ittihad, Al-Nassr et Al-Shabab, tu avais des joueurs comme (Ever) Banega, (Moussa) Marega, mais ce n’était pas des top joueurs, sans manquer de respect. Je me doutais que des joueurs pouvaient arriver, mais pas au point d’amener (Karim) Benzema et (N’Golo) Kanté après Ronaldo.
Quels changements majeurs avez-vous constatés depuis l’arrivée de Cristiano Ronaldo ?
MT : Déjà, j’ai vu que les gens regardaient les matchs depuis l’Europe. Avant, ce n’était pas le cas, les matchs n’étaient pas diffusés en France, en Angleterre… Pas mal d’amis m’ont écrit : « Ah, on a regardé le match. » Donc cet effet média m’a surpris. Ensuite, c’est au niveau de la concentration. On voit des joueurs plus appliqués à l’idée de bien faire face à des individualités de grande qualité, de se jauger, de voir à quel niveau ils peuvent arriver. Ça pousse les joueurs à se donner un peu plus. Tout ça n’est que du positif.
Quel est le vrai niveau de la D1 saoudienne ?
FF : Je vais vous dire la vérité : c’est très technique ! Là où il y a une vraie différence par rapport aux grands championnats européens, et je l’ai aussi remarqué en Turquie, c’est que tu n’as pas ce côté tactique, où on reste en place à 1-0. Le fait que ça coulisse en bloc… Tu as aussi la finition, les trente derniers mètres : en Europe, c’est un peu plus cruel, tu sens que le haut niveau est là. Ici, tout le monde attaque, tout le monde défend. Après, attention, physiquement, avec la chaleur, ce n’est pas facile !
MT : Je n’ai pas envie de te donner un niveau aujourd’hui quand, dans deux mois, il sera peut-être totalement différent. (Sourire.) Mais jusqu’ici, je suis arrivé dans un club qui a l’équivalent d’une bonne équipe de Ligue 2 française. Les 3-4 grandes équipes du pays, on va dire que c’est du niveau milieu de tableau de Ligue 1.
FF : Tu as désormais le droit à huit joueurs étrangers par équipe sur la feuille de match la saison prochaine ! Oui, c’est le championnat saoudien, mais le niveau est là ! Si tu viens et que tu négliges le championnat, à la fin, tu ne feras rien.
Dans quels domaines l’Arabie saoudite a-t-elle encore beaucoup de travail ?
MT : En arrivant, ce qui m’a un peu surpris, c’est au niveau des infrastructures : avec les moyens qu’ils ont, ils peuvent se permettre de faire ce qu’ils veulent, construire six terrains, avoir un centre flambant neuf, avec des spas, etc. Et ce qui m’a un peu « chagriné », c’est se dire : « Ok ils achètent des joueurs de haut niveau, avec des gros salaires, mais les infrastructures sont un peu amateurs. » Ça m’avait un peu déçu. Mais là, je vois qu’ils avancent à vitesse grand V. Nous, on a un stade qui est déjà bientôt terminé. D’autres sont en construction. Comme on dit, step by step. Ils démarrent un nouveau processus. Avant, tout ceci n’était pas leur priorité. Ils ont vu le Qatar organiser une Coupe du monde, ça les a un peu secoués. Ils se sont dit : « Pourquoi pas nous en 2030 ou 2034 ? » Ils ne sont pas trop mal partis.
FF : Moi, je dirais que c’est l’organisation des clubs. Mais, franchement, ils n’ont rien à envier aux autres… Les pelouses sont magnifiques, l’amour que les Saoudiens ont pour le football me fait penser au côté marocain.
MT : C’est vrai qu’il ne faut pas oublier qu’il y a des fans de football en Arabie saoudite. J’ai été très surpris d’arriver dans des clubs au fin fond du pays avec une base de fans déjà sur place. Dans chaque club, il y a des supporters ! Ils sont passionnés de foot, ils aiment ça.
En Europe, certaines voix dénoncent « la mort du foot », que l’Arabie saoudite est en train de « tuer le football ». Vous en dites quoi ?
MT : Ils ont toujours eu beaucoup de moyens, ça ne date pas d’aujourd’hui. Je ne pense pas que ça disparaîtra. J’apprends leur fonctionnement. On va déjà voir comment ils gèrent l’arrivée de tous ces nouveaux joueurs. Je suis assez curieux.
FF : Ils ont envie d’investir, de montrer que certains pays sont capables. « Tuer le football »… C’est dur d’entendre ça. C’est bien de voir que d’autres pays peuvent parvenir à faire venir des grands joueurs comme ça. Il faut le prendre positivement !
MT : La fuite des talents a toujours dérangé. Qu’est-ce que ça va être s’ils décident d’acheter des joueurs un peu plus jeunes… Ça va créer la polémique. Pourquoi pas avoir un continent qui puisse concurrencer l’Europe ? On voit bien que le foot est universel et ne se joue pas seulement sur un continent. Voyons voir ce que ça va donner !
FF : Le côté financier ne se refuse pas… Un joueur travaille pour essayer, chaque année, d’avoir un salaire plus élevé. La seule destination, aujourd’hui, pour avoir un salaire plus élevé, c’est d’aller en Arabie saoudite. Automatiquement, les gens feront le rapprochement à l’argent. Je devais prolonger en Turquie (à Sivasspor), mais quand on arrive et qu’on te dit : « Tiens, tu vas gagner le double. » J’y ai réfléchi… Je discute avec les gens en France, je me rends compte que c’est difficile, avec les impôts, les taxes, etc. Ici, tu n’en as pas… Celui qui va te dire « J’ai été là-bas pour le championnat », il a le droit. Mais tu as aussi le droit de dire que tu y as été pour le côté financier. En Arabie saoudite, c’est du net. Il ne faut pas avoir honte de le dire !
Kalidou Koulibaly a un peu levé le tabou, mais quand vous êtes footballeur, musulman, et qu’on vous explique que vous allez jouer en Arabie saoudite, tout proche de La Mecque, ça aussi, ça compte.
FF : Je remercie ce que le foot européen m’a donné. Mais quand tu arrives à un certain âge, tu grandis, et si tu es pratiquant, c’est la meilleure des destinations. Pour certaines personnes que je côtoie en France, c’est leur rêve ! J’ai souvent ma maman au téléphone. Quand j’ai des problèmes, elle me dit : « Mon fils, ce n’est pas grave, ça va aller. Tu es sur Mecca. Imagine la chance que tu as, pour nous, musulmans ? »
MT : Je ne suis pas musulman mais, oui, c’est la Terre sainte. Et si en plus on peut y pratiquer son métier et bien gagner sa vie…
Propos recueillis par Timothé Crépin