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Fabrizio Romano, celui qui fait la pluie et le beau transfert

Par Adel Bentaha et Enzo Leanni

Considéré comme le gourou du marché des transferts depuis près d’une décennie, Fabrizio Romano fait la pluie et le beau temps auprès des joueurs et de leurs agents. Une folle déformation professionnelle, pour cet Italien qui ne se rêvait qu’en simple journaliste.

Fabrizio Romano, celui qui fait la pluie et le beau transfert

« Coglione », de l’italien « couillon », se dit d’une personne naïve ou cédant facilement. Cette expression, Fabrizio Romano a dû inlassablement la répéter au mois de juin dernier à propos de certains de ses clients. En effet, quelques jours après le départ de Kylian Mbappé au Real Madrid, le spécialiste des transferts a mis en vente une série de T-shirts, floqués de la publication Twitter dans laquelle l’Italien annonçait l’arrivée du Français en Espagne. Prix de l’arnaque : 39,99 euros, accompagnés d’un lien vers une boutique en ligne, proposant des produits similaires ainsi que des vidéos personnalisées. Ce stratagème lunaire a ainsi permis de mettre en lumière l’ampleur prise par Romano qui, en quelques années seulement, est passé du statut de journaliste anonyme à celui de gourou.

Guerre d’influence

Depuis près de cinq ans maintenant, pas une seule semaine ne passe sans voir apparaître le gimmick « Here we go ! » sur nos écrans. À traduire par « C’est parti ! », cette phrase est devenue la signature de Fabrizio Romano, placée à la fin de chacune de ses interventions sur ce qu’on appelait auparavant Twitter. Comme un tampon garantissant la qualité de l’information fournie. Il faut dire que le Transalpin s’est taillé une part de lion au sein du football-business. Pour faire simple : Romano est un monsieur météo. Au gré de ses rumeurs, la cote des joueurs monte et descend sur le marché, tandis que les supporters, agents, voire dirigeants s’en servent comme baromètre, au moment de juger la valeur d’un footballeur. Pour Sébastien Vidal, spécialiste mercato en France – insistant sur le fait de « ne pas faire le même métier » que l’Italien – tout est donc une question d’influence : « Romano ne se déclare jamais comme journaliste, c’est plus un insider et une machine des réseaux sociaux. Quand tu travailles pour un média, tu ne peux pas faire de la merde, tu es obligé de respecter une certaine éthique. Quand t’es indépendant, tu n’es pas obligé de suivre ça. »

Fabrizio Romano n’est pas un journaliste, c’est un influenceur, une fraude.

Gary Vanhooland, consultant pour un agent en France

Les médias, Fabrizio Romano a pourtant essayé d’en intégrer la sphère. Originaire de Naples, certaines sources disent qu’il y tenait un blog dont les articles étaient envoyés aux journaux régionaux pour gagner en visibilité. Sans succès. Sa chance arrive finalement par le biais d’une connaissance d’Abian Morano Santana. Ce dernier s’avère être un agent des Canaries, installé à Barcelone. Morano sollicite alors Romano (anagramme validé), pour promouvoir deux jeunes joueurs de la Masia : Gerard Deulofeu et Mauro Icardi. Le premier transfert que Fabrizio Romano va alors annoncer sur Twitter est celui d’Icardi à la Sampdoria, en janvier 2011. L’attaquant argentin et Romano sont issus de la même génération (1993) et, sans le savoir, lancent définitivement leur carrière respective.

Agent double

En effet, Romano, Morano, et Icardi se suivent pas à pas. Le premier cité a ainsi la priorité sur l’annonce du transfert du joueur à l’Inter à l’été 2013, et finit par taper dans l’œil d’une grande figure du journalisme italien : Gianluca Di Marzio, qui l’engage comme assistant à Sky Sports. Génie ou pistonné, Fabrizio Romano devient en tout cas une référence à seulement 20 ans, allant jusqu’à collaborer avec The Guardian ou CBS Sports, avant de commencer à travailler en indépendant. « On peut dire ce qu’on veut, sa réussite est exceptionnelle, pose Sacha Tavolieri, spécialiste transferts en Belgique. J’ai beaucoup de respect pour les mecs comme lui. Il est parti de rien, il a fait son réseau, puis il a vu qu’il n’avait pas forcément sa place dans une structure traditionnelle donc il a créé son empire. C’est un self made man et c’est inspirant. » Une inspiration au melon bien gonflé donc.

Ce mec est incroyable… Même ma femme n’était pas au courant pour Trabzonspor.

Maya Yoshida

Dans ce contexte, la viabilité des informations laisse vite la place à la quantité. Comprenez : l’important est de balancer autant d’informations que possible à ses plus de 20 millions d’abonnés et attendre que, dans le lot, l’une d’elle soit vraie. Tavolieri abonde : « Le problème quand tu as 20 millions de followers, c’est que si tu tweetes la même chose qu’un autre journaliste plus tard que lui, tu vas quand même être celui qui fait la plus grande audience. Il diligente tout et bouffe tout le monde. » Dans cette course à l’info, les joueurs eux-mêmes sont parfois pris de court par les relations nouées entre Romano et leurs agents. En janvier 2023 par exemple, le journaliste annonçait ainsi la signature de Maya Yoshida à Schalke 04, après avoir refusé une offre de Trabzonspor. Le Japonais a alors alpagué l’Italien par un message teinté de sarcasme : « Ce mec est incroyable… Même ma femme n’était pas au courant pour Trabzonspor ». Réponse de Romano : « Dis à ta femme de s’abonner à mon compte ». Surpuissant sur les réseaux sociaux, Fabrizio Romano a donc bâti son empire d’influence sur ses réseaux, réels ou virtuels. « Fabrizio Romano n’est pas un journaliste, c’est un influenceur, une fraude. Avant, il avait beaucoup d’infos transferts et tu te disais : “S’il le dit, c’est que c’est vrai.” Il a donc acquis l’étiquette de “Monsieur 100%” et peut se permettre de faire beaucoup d’erreurs. Le moindre post fait 20 millions de vues, donc c’est lui qui a raison et pas nous », enrage Gary Vanhooland, consultant pour un agent en France.

Des méthodes « monstrueuses »

Le merchandising autour de sa personne étaye la thèse. Si le T-shirt de Fabrizio Romano ne suffit pas, une vidéo peut-être ajoutée pour le voir souhaiter un bon anniversaire ou crier son légendaire « Here we go ! » pour la modique somme de 180 euros. Sur la plateforme Memmo, il était la personnalité footballistique dont l’image coûtait la plus chère, jusqu’en mars dernier et les révélations de Idrettspolitikk et Tipsbladet, médias norvégien et danois. En effet, le journaliste est accusé d’avoir demandé, via ce site de messages vidéos, au FC Copenhague et Vålerenga de lui fournir des informations de transfert contre une rétribution financière. L’idée était ainsi d’en faire la publicité sur ses réseaux sociaux, contre 1 000 euros pour un simple post et jusqu’à 5 500 euros pour une vidéo incarnée. « Au cours de mes sept années dans le football de haut niveau, j’ai reçu de nombreuses demandes spéciales, mais jamais rien de tel. (…) C’est complètement absurde, Fabrizio Romano est devenu un commercial plutôt qu’un journaliste », fustige Mehran Amundsen-Ansari, responsable marketing de Vålerenga au moment des faits. Des accusations mensongères d’après Romano, qui a intenté un procès contre Tipsbladet. De son côté, Memmo nous a indiqué ne plus travailler avec Romano, sans donner de détails.

Il est dans une guerre, il veut tout prendre. Il veut bouffer la moindre personne qui peut lui faire de l’ombre sur un dossier. Il est vraiment monstrueux dans sa manière de faire.

Sacha Tavolieri, surnommé « Le Romano belge »

Les liens entre Fabrizio Romano et les différentes entités du football paraissent donc opaques. « Son travail interroge », confie un journaliste spécialisé dans le mercato pour une rédaction française, qui avoue que son nom est souvent évoqué. « Beaucoup de journalistes ne voudront pas parler, il est surpuissant. Moi, je m’en fous, j’ai fondé mon média et il ne va pas m’en déloger », avertit également Sébastien Vidal. Sacha Tavolieri, souvent présenté comme le Romano belge pour ses infos distillées sur son compte Twitter plutôt que dans les colonnes d’un journal, ose prendre la parole et n’hésite pas à le charger : « Il est dans une guerre, il veut tout prendre. Il veut bouffer la moindre personne qui peut lui faire de l’ombre sur un dossier. Il est vraiment monstrueux dans sa manière de faire. » En août 2022, alors que le mercato estival battait son plein, Marcel van der Kraan, chef des sports du quotidien néerlandais De Telegraaf, lâchait dans le podcast Kick-off, que l’Italien « est le numéro un du copier-coller », en faisant référence au transfert d’Antony de l’Ajax Amsterdam vers Manchester United. Un an plus tard, Sacha Tavolieri se souvient aussi d’une passe d’armes publique à propos de l’arrivée de Jérémy Doku à City. « Il avait sorti en premier que Doku était dans la short-list de Manchester City, mais ce n’est rien de concret par rapport à ce que j’ai eu ensuite. Il m’a unfollow et je l’ai unfollow aussi. Je connais un peu sa méthode, ce n’est pas de l’exclu, il y a beaucoup de reprises. » Comme tout entrepreneur qui martèle s’être fait seul, Romano ne cite que très rarement ses sources ou alors seulement des fidèles comme Matteo Morato ou Sébastien Denis – aucun des deux n’a souhaité répondre à nos questions.

Celui qui jure être scotché à son téléphone 18 heures par jour possède sans aucun doute un carnet d’adresse long comme le bras et n’aurait donc pas besoin de plagier certaines informations pour en obtenir d’autres. « C’est une usine à infos, mais il a plein de gens qui bossent pour lui », confirme un autre journaliste préférant rester anonyme. Sébastien Vidal renchérit et assure que les agents sont « les premiers interlocuteurs » des journalistes avides de tuyaux sur les transferts. Beaucoup d’agents français n’ont pas donné suite pour parler de celui dont il ne faut pas prononcer le nom. De son côté, Abian Morano – vous savez, le premier agent d’Icardi – a accepté de parler du joueur argentin, avant de se refermer comme une huître à la simple évocation de Fabrizio Romano. En France, l’Italien a récemment fait parler en raison de ses liens étroits avec l’entourage de Jonathan David, dont il ne cesse de vanter les mérites sur les réseaux sociaux. « Cela montre à quel point il maîtrise la relation avec les agents. Celui de David joue sa carrière sur ce transfert, il a besoin qu’il parte en Premier League et a donc besoin de l’aide de Romano pour cela. C’est sûr qu’il est rémunéré », assure Gary Vanhooland. Ce dernier indique également que Romano possède des entrées à Marseille, tirant certaines ficelles concernant les rumeurs de départ de Jonathan Clauss ces derniers mois. Cible de toutes les critiques depuis de longues années, les agents ont décidé de refiler la patate chaude à un journaliste. « Chez lui, c’est le téléphone rose, tous les agents et directeurs sportifs les plus influents le contactent », conclut Vanhooland. Les informations viennent sans forcer jusqu’à Fabrizio Romano, qui continue d’en donner certaines sans citer ses sources. Tout le paradoxe d’un homme qui fait parler tout le monde, sauf ses concurrents.

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Par Adel Bentaha et Enzo Leanni

Tous propos recueillis par AB et EL, sauf mentions.

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