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Fabian Casas : « Messi est sans intérêt »

Propos recueillis par Pierre Boisson
Fabian Casas : «<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>Messi est sans intérêt<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>»

Tête d'affiche de la nouvelle littérature argentine, philosophe, essayiste, poète et écrivain, Fabian Casas aime autant les stades que les bibliothèques et parle d'abord de foot, ensuite de Tolstoï. Installé dans un vieux café de Buenos Aires, il fait tomber ses fausses Ray-ban, commande une eau gazeuse et parle vite : Fabian Casas a des choses à dire, et des têtes à faire tomber. À commencer par celle de Lionel Messi.

Avant d’être romancier et poète, tu as travaillé comme journaliste sportif. Quel souvenir en gardes-tu ?J’ai travaillé pour Olé (équivalent argentin de l’Équipe, ndlr) au moment de son lancement. J’ai beaucoup souffert là-bas. Les journalistes sportifs sont les pires personnes au monde. Un véritable fléau. Ils ne réfléchissent pas, ne cherchent pas à s’instruire, n’ont jamais d’incertitudes. Ils sont compétitifs, agressifs, mégalomanes. Ils deviennent amis avec les joueurs, ils ne sont pas objectifs. Je n’ai jamais vu une telle paresse intellectuelle : même lorsqu’il faut trouver des surnoms aux joueurs, ils sont feignants. Ces gens pensent tous les jours football, football, football. Je ne supporte pas ça.

Pourtant, tu revendiques un certain fanatisme pour ton club, San Lorenzo.Mon vieux m’a amené voir deux choses qui ont marqué ma vie : la mer et le stade de San Lorenzo. Quand j’ai vu la mer, on se promenait sur la côte, près de Mar del Plata, et je mangeais des raisins en tenant la main de mon père. Et tout d’un coup, elle était là, toute bleue. Et ce fut la même chose quand je suis allé pour la première fois au stade de San Lorenzo. Avant, je regardais le football en noir et blanc à la télé et tout d’un coup j’ai vu toutes les couleurs. La couleur du maillot du Ciclón, les cheveux blonds de Ricardo Rezza, l’azur du maillot de Juventud Antoniana et du ciel. Depuis, je n’ai jamais cessé de venir supporter San Lorenzo.

Pourquoi est-ce que tu continues à aller au stade aujourd’hui ?Aller voir du football, c’est comme être dans une rave ou faire du karaté. Ce sont des moments où tu peux contrôler la mélancolie, arrêter la machine à penser, stopper ce dialogue interne qui fait de nous des esclaves, qui nous détruit. Là-bas, tu arrêtes de songer à toi-même, tu penses au club, aux autres, car le football est avant tout une construction collective. J’aime la simplicité d’avoir des rituels et des coutumes qui te permettent de supporter la vie. Aller au stade, voir tes amis, discuter. Des trucs de quartier.

On peut donc étudier la philosophie et écrire des poèmes la semaine et aller au stade le dimanche ?Albert Camus était gardien et disait que tout ce qu’il avait appris sur l’éthique, il le devait au football. Pour moi, la culture de masse permet de comprendre la culture élitiste et inversement. J’ai grandi à Boedo, un quartier périphérique, avec beaucoup de personnalités, où les gens vivent dehors, parlent entre eux. Un quartier de réalisme social, avec très peu d’immeubles et beaucoup de ciel. Gamin, je passais mon temps à lire et à être dans la rue : les choses les plus aristocratiques et les plus populaires s’entrecroisent toujours. C’est comme cette vidéo hallucinante de Heidegger qui explique comment jouait Beckenbauer, établissant une analogie entre le Kaiser et l’être soi. Génial. Cela dit, je crois que le football est indéfendable intellectuellement. Quand quelqu’un me dit : « Je ne comprends pas comment tu peux aimer le football » et qu’il veut engager le débat, je ne discute pas. Il y a une chanson qu’on chante qui dit : « C’est un sentiment, ça ne s’explique pas, ça se porte bien à l’intérieur » . C’est exactement ça. La semaine dernière, je regardais un vieux match de San Lorenzo en coupe Mercosur, où on se fait éliminer aux penaltys. J’étais au stade ce jour là. Et pourtant, des années après, j’ai vécu ce match avec autant d’émotion et de passion que s’il était en direct. Il n’y a pas de justification rationnelle à l’amour pour le football.

« Si ton existence se résume au match du samedi, c’est que tu as une vie de merde »

En Argentine, la ferveur dans les stades est irrémédiablement associée à la brutalité des « barras bravas » (hooligans argentins, ndlr). La passion peut-elle exister sans violence ? Le football n’est pas responsable de la violence dans les stades, c’est la société qui en porte la responsabilité. Le football ne fait que répéter les conduites mafieuses des politiques. S’ils voulaient vraiment désarticuler les barras bravas, ils le feraient sur le champ. Mais en réalité, ils les payent pour qu’il y ait du monde aux manifs. Les politiques, comme les dirigeants du football, utilisent la tristesse des gens pour gouverner. Si la seule chose que tu as dans ta vie est de pouvoir aller supporter un club de football et que ton existence se résume au samedi, c’est que tu as une vie de merde. C’est tragique, ça me rend profondément triste.

Il y a de la poésie dans le foot ? Bien sûr. Quand on me demande quel est le meilleur début de littérature de tous les temps, je réponds toujours que ce sont les premières minutes d’Allemagne / Pays-Bas en 74. C’est de la poésie pure. Les Hollandais utilisent une forme de jeu circulaire où aucun joueur n’a une place fixe. Ils tournent tous autour de Cruijff. Le football total. Je crois qu’ils ont pu faire ça parce que, comme l’écrivait Borges, ils appartenaient à une culture périphérique qui ne subissait pas le poids de la tradition. Ici, en Argentine, cela aurait été impossible. Le 3 joue 3 et le 4 joue 4, ça ne se discute pas. Bref, les Hollandais perdent cette finale, mais sur la première action, ils touchent tous la balle et les Allemands ne la voient pas jusqu’à ce que le gardien aille la chercher au fond des filets après le penalty de Cruijff. C’est le meilleur début de tous les temps, dans quelque domaine que ce soit.

Vidéo

Tu as grandi avec Cruijff puis Maradona comme modèles. Qu’est-ce que t’inspirent Messi ou Ronaldo, les idoles des nouvelles générations ? Cristiano Ronaldo, c’est un type qui ressemble à une publicité de déodorant. Ou à une construction 3D, genre Avatar. Messi est un joueur sans commune mesure, avec un talent supérieur, mais qui n’a rien d’épique. Il est sans intérêt. Je ne m’imagine pas que quelqu’un veuille devenir Messi. Il ne se démarque jamais, ne dit rien, ne cherche rien et la chose la plus bizarre qu’il ait faite dans sa vie est de se mettre un smoking avec un nœud pap qu’aurait pu porter Bob Dylan. On dirait une machine envoyée par le futur. Au fond, c’est un cyborg, un homme qui aurait du être nain et qui a été construit par des laboratoires. Messi est au football ce qu’est Flaubert à la littérature. Flaubert est un écrivain incroyable. Tout est parfait, tu ne peux pas lui dire : « Eh, tu aurais dû changer la fin de Madame Bovary. » Pourtant, il y a chez Flaubert quelque chose de métallique, un peu comme quand tu goûtes un Coca light. À l’inverse, Tolstoï, comme Maradona, comporte un tas d’erreurs. Mais c’est terriblement épique, tu oublies tout et tu sais juste que tu es en train de lire un truc incroyable. Voilà, Maradona était un joueur épique. Messi n’est qu’un joueur extraordinaire.

Tu as pourtant écrit Le gordismo, un essai où tu détruisais Maradona… Maradona, politiquement, je le déteste. Quand on a perdu contre l’Allemagne, on a fait un asado avec mes amis sur la terrasse et on a fêté la défaite. Parce que je ne supporte pas le nationalisme, le maradonisme, tout ça. Mais j’aimerais lire sa vie, pas celle de Messi. Maradona est biblique. C’est un type qui est au bord de la mort et qui ressuscite. On a cru qu’il allait mourir au moins cinq ou six fois. Et soudain il revient avec les cheveux blonds, puis les cheveux oranges, puis gros, puis maigre, etc. C’est incroyable qu’un métabolisme puisse supporter autant de représentations. Aujourd’hui, il faut attendre de voir ce que fera Messi au Brésil. Si on gagne là-bas, ça va être une catastrophe pour les Brésiliens, mais surtout pour nous : la mégalomanie et le patriotisme vont être plus insupportables que jamais.

Le dernier So Foot consacré à Lionel Messi est sorti aujourd’hui en kiosques. Soyez sympas, le laissez pas mourir dans le froid !

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Propos recueillis par Pierre Boisson

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