- Euro 2024
- Allemagne
Tom Geißler, adepte du café-Klopp
Dans les années 2000, Tom Geißler a connu la Bundesliga et des matchs européens avec Mayence, sous les ordres de Jürgen Klopp. Aujourd’hui, l’ancien footballeur professionnel a laissé le ballon rond de côté pour se consacrer à sa nouvelle passion : le café. Le vrai, le bon, le pur. On l’a rencontré au Franz Morish, son établissement basé à Leipzig.
Dans une rue calme de Leipzig, un peu à l’écart du centre animé par la population venue pour l’Euro, le Franz Morish ressemble à un café comme un autre. Ils sont plusieurs à déguster leur breuvage sur les bancs collés à la devanture, face à des palettes en bois transformées en tables. Un lieu pour les « bobos », diraient certains, comme il en existe des tonnes dans le Marais à Paris et un peu partout ailleurs en France. À l’intérieur, l’ambiance boisée s’accompagne de gros sacs de café en toile et d’un torréfacteur visible de tous. Il faut monter les escaliers pour trouver le propriétaire des lieux, en pleine discussion. Tom Geißler est un monsieur tout le monde : il porte un short en jean, un tee-shirt blanc, une casquette et une barbe plutôt fournie. Il est souriant, avenant, et passe incognito. On ne le reconnaît pas dans la rue, mais celui dont le visage est représenté sur le logo de l’établissement n’a pas toujours évolué dans le coffee game. Dans une autre vie, Tom Geißler rêvait de Ligue des champions, de la Mannschaft et de s’installer en Bundesliga, où il a disputé une quinzaine de matchs avec Mayence.
Made in Leipzig
L’ancien milieu de terrain a désormais laissé le foot derrière lui, dix ans après avoir mis un point final à sa carrière. Il regarde les matchs de l’Euro quand il peut, même s’il n’est pas le plus grand fan de Julian Nagelsmann et de son côté « professeur ». Aujourd’hui, il n’a plus l’occasion de toucher le ballon qu’une ou deux fois par an. Il ne rate jamais le tournoi annuel organisé pour une fondation qui vient en aide aux enfants souffrant du cancer. « Je suis toujours aussi bon, se marre-t-il. Mon esprit est toujours aussi vif, mais mon corps est très lent ! » Geißler n’a jamais été Toni Kroos ou Bastian Schweinsteiger, il ne se prend d’ailleurs pas pour un autre. Cet enfant de l’ex-RDA, né à Oschatz six ans avant la chute du mur de Berlin, était un amoureux du Dynamo Dresden plus jeune. Sa chambre était entièrement décorée des couleurs du club, auquel il préférera finalement le VfB Leipzig (avant de rejoindre le Sachsen au début des années 2000) lors de son adolescence, pour la bonne raison que les éducateurs de Dresden lui avaient posé un lapin. « Ils sont venus au deuxième rendez-vous, mais c’était trop tard, rejoue-t-il. À Leipzig, ils me voulaient vraiment. »
Il se décrit maintenant comme un « Leipziger », triste de voir la montée de l’AfD, l’extrême droite allemande, dans la région, même s’il présente la ville comme « une oasis » dans l’ancienne Allemagne de l’Est. Son aspect multiculturel saute aux yeux, c’est vrai. La présence d’une grande université joue un rôle dans ce melting-pot, estime Tom. Autre chose ? « Oui, le RB Leipzig, assure-t-il. Le club est de plus en plus populaire, il attire des gens de tous les horizons, ça permet aux habitants d’être ouverts. » Il connaît très bien le club de la marque aux taureaux pour y avoir joué pendant deux ans, quelques mois après sa création contestée par les fans des autres écuries historiques du coin (le Lokomotive ou le BSG Chemie, dont on croise encore les couleurs en se baladant à Leipzig). Geißler a porté la tunique du RB en quatrième division, à un moment où les millions ne coulaient pas à flots et où il fallait passer par un conteneur métallique pour arriver au terrain d’entraînement. « C’était le tout début, la naissance d’un club, développe Tom. C’est vraiment cool de l’avoir vu grandir. Je comprends qu’on puisse penser qu’il y a trop d’argent, mais c’est une chance pour l’ex-RDA d’avoir un club ambitieux et professionnel à Leipzig. »
Post Instagram Voir sur instagram.com
Klopp, intoxication alimentaire et révélation islandaise
Une question reste en suspens : comment un footballeur se prend de passion pour le café après avoir fait tourner sa vie autour du ballon pendant près de 20 ans ? Le premier déclic intervient au début de la saison 2005-2006, celle qui voit Tom Geißler jouer en Bundesliga et participer à la Coupe de l’UEFA, sous les ordres d’un certain Jürgen Klopp, à Mayence. Il admire son évolution, mais n’a pas que des grands souvenirs du technicien allemand : « J’avais 21-22 ans, j’étais timide, j’avais des blessures et il fonctionnait avec un groupe resserré. J’aurais aimé qu’il vienne plus souvent vers moi, pour me rassurer en me disant que j’étais un bon joueur. Je pense que son expérience à Mayence l’a beaucoup fait changer dans son état d’esprit. C’est la clé de son succès. » Cet été-là, le jeune Geißler plante le seul but de sa carrière dans une compétition européenne, à la 85e minute d’une rencontre se déroulant sur la pelouse du club islandais de Keflavik (2-0, 2-0). À la passe, Marco Rose, aujourd’hui coach du RB Leipzig et accessoirement bon copain de Tom, qui l’accueille volontiers de temps en temps dans son café, comme d’autres joueurs du RasenBallsport. Il paraît qu’ils y apprécient le calme, la discrétion.
Au tour précédent, à Erevan en Arménie, les joueurs de Mayence étaient quasiment tous tombés malades après avoir englouti des pizzas ; cette fois, Tom vit une épiphanie en sirotant un café dans un établissement islandais, « le meilleur de sa vie ». Un moment crucial, sans doute plus que son élimination contre le Séville FC de Javier Saviola, Frédéric Kanouté et Dani Alves au tour suivant. « C’était mon premier café sans filtre, c’était vraiment différent de tout ce que j’avais pu boire. Un moment assez spécial, rembobine-t-il. Après ma carrière, je cherchais un autre challenge et le café est toujours resté dans un coin de ma tête. Le business du foot, ce n’était pas pour moi. Tu n’es pas maître de tes décisions, tu es une sorte de marionnette et tu n’es pas libre. » En 2017, il revient à Leipzig pour lancer le Franz Morish, après avoir suivi une formation et appris la torréfaction du côté de Vienne. Tom a mis les mains dans le cambouis et n’est pas un patron fantôme : on peut le trouver quasiment tous les jours dans son café, quand il n’est pas au Brésil ou au Vietnam pour rencontrer des producteurs. Récemment, l’ancien de Mayence a lancé sa marque de vêtements. Son nom ? Coffee Affairs, Au menu ? Des hoodies couleurs nespresso, lait d’avoine et autres éléments de son nouvel univers. Le foot ne lui manque pas, ou si peu. « Quelques personnes du milieu ont essayé de me faire revenir dans le foot, pose Geißler. Je préfère le café, c’est un milieu plus calme. »
Par Clément Gavard, à Leipzig