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Euro 2016, football et Front national

Par Nicolas Jucha
Euro 2016, football et Front national

Qui dit Euro 2016 dit drapeaux dans les stades, fierté nationale en cas de victoire, et surtout, tout un pays ou presque devant son écran de télévision. Un phénomène auquel n'échappent pas les militants et sympathisants du Front national, lesquels ont une vision bien à eux du monde du ballon rond.

« Je me retrouve avec celles et ceux de nos compatriotes qui savent mettre leurs justes critiques de côté quand l’enjeu et la nation sont en première ligne. L’Euro, tout comme la Coupe du monde et les grandes compétitions sportives auxquelles notre pays participe, doit être l’occasion d’un moment de communion patriotique et de fierté nationale. » François Hollande, Nicolas Sarkozy ou Jacques Chirac en son temps n’ont jamais hésité à associer leur image à l’équipe de France de football. Se voulant leader d’un parti politique populaire et patriotique, il était donc logique que Marine Le Pen se prenne au jeu et lâche un billet à propos des Bleus sur son blog personnel. Une stratégie tout sauf anodine dans laquelle son conseiller personnel Eric Domard, fan de football et du Sporting Club de Bastia, joue un rôle crucial. « Dès 2012, on a souhaité donner un éclairage à toutes les thématiques qui pouvaient intéresser les Français. Économie, social, immigration… On partait du principe que le sport, même si c’était moins important, avait quand même son rôle à jouer. On a toujours estimé qu’un parti politique devait donner son avis sur un sujet qui intéresse les Français. » Et donc l’existence d’un CAP – comité d’actions programmatiques – consacrés aux questions sportives. Parce que le Front national a des idées bien précises par rapport au football, et aussi des postures mises en lumière par la vision FN de l’équipe de France.

Idée 1 : au FN, on n’a rien contre les gens de couleur, bien au contraire

« C’est un peu artificiel de faire venir des joueurs de l’étranger et de les baptiser équipe de France » , disait à qui voulait l’entendre Jean-Marie Le Pen en 1996. Six ans plus tard, Bruno Gollnisch se réjouissait de l’élimination de la France contre le Danemark en phase de poules du Mondial 2002, par solidarité pour l’équipe la plus « européenne. » Cette posture radicale, Eric Domard en dissocie le FN de 2016. « Les propos de Jean-Marie Le Pen et Bruno Gollnisch n’engagent que Jean-Marie Le Pen et Bruno Gollnisch. Est-ce que les journalistes vont chaque semaine rue de Solférino pour demander aux dirigeants du Parti socialiste ce qu’ils pensent des propos de Georges Frêche sur l’équipe de France ? (Propos datant de 2006, ndlr.) » Cela voudrait donc dire que le parti d’extrême droite et ses sympathisants se reconnaissent totalement dans l’effectif de Didier Deschamps, N’Golo Kanté et Samuel Umtiti compris ? « Mais pourquoi cette question… Par rapport à quoi ? » Pour le conseiller de Marine Le Pen, les militants FN ne regardent pas à la couleur de peau. « Ce que l’on demande, c’est que tous les joueurs sélectionnés respectent des valeurs et fassent preuve de patriotisme. L’origine des joueurs ne nous intéressent absolument pas. Nous, nous neracialisonspas le débat, mais je trouve cela malsain de voir des gens qui comptabilisent le nombre de joueurs d’origine africaine ou nord-africaine. C’est une vision racialiste qui est parfaitement anti-républicaine. » Eric Domard, lui, peut s’émouvoir en voyant « Blaise Matuidi fêter la victoire en chantantLa Marseillaiseet courant avec le drapeau au vent » .

Conseiller départemental de l’Eure-et-Loir, Aleksandar Nikolić l’assure, ce n’est pas le FN, mais bien les « républicains et socialistes qui comptent les gens avec la peau noire, qui ramènent les gens à leur origine en permanence en parlant de diversité et qui comptent combien il y a de gens dans les assemblées, dans les médias… Pour moi, c’est ça, stigmatiser les gens, les ramener perpétuellement à leurs origines. Quand on est content de l’élection d’Obama parce qu’il est noir, pour moi, c’est méprisant. » Il n’a donc pas spécialement aimé que Bacary Sagna se présente « comme noir, plutôt que comme français » , parce que pour lui, « black, cela ne veut rien dire, c’est horrible de tout ramener à un modèle racialiste » . La preuve par lui-même : « Je suis fils d’immigrés, ma mère est venue sans papier, ma fiancée a la peau noire… On se considère issus de Gaulois, comme une nation unie. On ne peut pas espérer un vivre-ensemble avec des gens qui se revendiquent d’un ailleurs, d’une histoire différente, qui ramène leur identité à leur origine ou à leur couleur de peau. » D’où le problème Benzema ?

Idée 2 : au FN, on n’aime absolument pas Karim Benzema

Marion Maréchal-Le Pen a suggéré face caméra à Karim Benzema de jouer pour l’Algérie. Il faut dire que l’attaquant du Real Madrid, même sans l’affaire de la sex-tape pour aggraver son cas, cristallise tout ce que le FN n’aime pas chez les footballeurs de haut niveau français. « Déjà en 2010, il n’avait pas été sélectionné parce qu’on estimait que sa mentalité ne collait pas au groupe » , se souvient Aleksandar Nikolić, qui était favorable à la mise à l’écart de la Benz même sans sex-tape. « Il a déjà fait part qu’il se sentait plus algérien que français. Et puis sportivement, je ne pense pas qu’il soit indispensable. Il a établi un record de minutes passées sans marquer pour un attaquant en équipe de France. Cette affaire Benzema est assez symbolique. » Eric Domard va plus loin : « Le scandale aurait été qu’il soit sélectionné. Même s’il est encore innocent vu qu’il n’a pas été reconnu coupable, il est quand même mis en cause dans une affaire grave. Tant que la justice n’est pas passée, monsieur Benzema ne pouvait pas revenir sur un terrain de football, cela me paraît évident. » Surtout qu’il ne chante pas La Marseillaise, le point 3.

Idée 3 : pas de Marseillaise, pas de chocolat

Eric Domard : « M. Benzema, de toute façon, ne pourrait pas être sélectionné en équipe de France pour nous, car il refuse de chanterLa Marseillaise. Si les Français nous confient la responsabilité des affaires, nous ferons adopter une charte, des valeurs qui imposeront aux joueurs sélectionnés – pas seulement en football – de respecter les valeurs de la République. Parmi ces valeurs, il y a l’hymne national, qui fait partie de l’article 2 de la Constitution. Nous demandons aux joueurs, pendant 1min30, de faire l’effort de chanter l’hymne national. Je rappelle à M. Benzema qu’il y a des jeunes de 19 ou 20 ans qui sont morts à Verdun pour que l’on puisse chanter l’hymne national. C’est valable pour n’importe quel joueur quelle que soit l’origine. On me dit souvent : « Mais M. Platini ne chantait pas La Marseillaise« , eh bien je pense que M. Platini n’aurait pas dû avoir sa place en équipe de France. » Cristiano Ronaldo serait alors le seul recordman du nombre de buts en phase finale de l’Euro, en attendant de se faire doubler par Antoine Griezmann.

Idée 4 : on n’aime pas les Qataris, et on n’est pas trop chauds pour les investisseurs étrangers

« J’ai toujours été supporter du PSG, un peu moins ces dernières années, surtout depuis l’arrivée des Qatariens. » Aleksandar Nikolić est raccord avec la position du parti. D’ailleurs, Eric Domard l’affirme clairement, avec Marine Le Pen au pouvoir, le rachat d’un club français par un fonds souverain étranger ne sera plus possible. « Nous interdirons la possibilité pour un État étranger de posséder 51% des parts d’un club. Qatar ou autre, ça c’est inacceptable. Ce ne sera plus possible, nous ne souhaitons pas brader le patrimoine sportif français, qui plus est à un État aussi sulfureux que le Qatar. » L’idée derrière tout cela, c’est de revenir aux vraies belles valeurs régionales : « QSI au PSG, de manière minoritaire. Ce serait calqué sur le modèle allemand, limité à 49,99%. Mais nous souhaitons aussi que les clubs soient la vitrine de la région dans laquelle ils sont. Les subventions doivent aussi être accordées en fonction du nombre de joueurs originaires de la région qui sont formés par le club. Bordeaux doit refléter l’excellence du football aquitain. Idem pour les autres. On n’investit plus beaucoup dans la formation, l’Olympique lyonnais est l’un des rares à le faire. Mais si on veut pérenniser l’équipe de France, on a intérêt à travailler de manière consistante là-dessus. »

Idée 5 : on est pas trop chaud pour les binationaux. Ou ailleurs…

« Cela pose problème. Cette législation qui permet aux joueurs de choisir une sélection tant qu’ils n’ont pas joué en A. C’est profondément malsain, car la nationalité, ce n’est pas un pass Navigo, c’est un choix important. Choisir la nationalité en fonction des opportunités de jouer en sélection, c’est dévaloriser le pays. Nous sommes opposés au principe de la double nationalité, donc le problème se réglerait de lui-même si les Français nous installaient aux affaires » , promet Eric Domard. Selon le conseiller de Marine Le Pen, si on n’est pas favorable aux binationaux au FN, c’est aussi pour le bien du reste du monde. « Je crois qu’on ne peut pas se satisfaire de ne voir dans chaque Coupe du monde que des équipes européennes à partir des quarts de finale. On a tout intérêt à ce que les équipes africaines et asiatiques intègrent le dernier carré. Cela ne nous empêche pas de les former, aucun souci, mais ils ont le devoir de mettre leur talent au profit de leur pays d’origine. Parce qu’un jour, on sera peut-être content de voir un quart de finale Argentine-Congo. » Ce qui inspire un cas bien précis au dirigeant FN : « Je pense à M. Mandanda, qui a fait preuve de patriotisme, qui se sent français. Il le montre. Mais c’est dommage qu’il ne fasse pas bénéficier le Congo de ses talents. Il va dire : « Je me sens français. » Soit, dans l’absolu. Mais je trouve cela regrettable. Cela ne l’empêcherait pas de jouer en France, de faire sa vie en France, mais cela prive le Congo du talent indéniable de Mandanda. » Que les nostalgiques de France 98 et les supporters de la Juventus des années 2000 se le disent, dans une France FN, certaines histoires du football français n’auraient pu s’écrire. Comme celle de David Trezeguet : « Cela m’aurait posé problème en tant que sélectionneur en 1998. Il aurait pu faire une très grande carrière en équipe d’Argentine. » Zidane avec l’Algérie et Kopa avec la Pologne.

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Tous propos recueillis par NJ, à l'exception de ceux de Jean-Marie Le Pen

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