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  • Lev Yachine
  • 22.10.1929 – 20.03.1990

Et Yachine déchira le rideau

Par Maxime Brigand
Et Yachine déchira le rideau

Le final est devenu un marqueur de l'histoire. C'était il y a maintenant quarante-cinq ans, au cœur du stade Central Lénine de Moscou, devant plus de 100 000 regards. Le 27 mai 1971, Lev Yachine porta pour la dernière fois son costume. Sur une dernière toile.

Lev Yachine aimait les vapeurs. Celles de ses cigarettes, celles qui se dégageaient de sa liqueur. Lev Yachine aimait aussi respirer. Sentir le souffle de l’histoire, l’écrire à sa façon et la changer à sa manière. C’était une panthère pour les uns, une araignée pour les autres. Un révolutionnaire de l’avis de tous. Un enfant des années trente, un apôtre du style et un précurseur. Celui de la relance rapide, des ballons boxés et des angles fermés. Pour beaucoup, il deviendra par la suite un modèle. Un guide spirituel pour toucher à sa façon la postérité. Des discussions et analyses historiques, une conclusion : personne n’aura autant influencé un poste et, encore à ce jour, personne n’aura autant impressionné que lui sur une ligne blanche. Lev Yachine était simplement le plus grand. Peut-être aussi le plus beau. Salinger l’a clairement exprimé dans L’Attrape-cœurs : « Je déteste ça. L’adieu, je veux bien qu’il soit triste ou pas réussi, mais au moins, je veux savoir que je m’en vais. Sinon c’est encore pire. » Alors Yachine avait décidé d’un dernier rassemblement avant de baisser le voile. De soulever une dernière fois son peuple, un jour de mai, en 1971, dans le bois du stade Central Lénine de Moscou. Sur une dernière larme.

Le rideau de fer et le sombrero de Peña

Il faut prendre le poids de l’événement. En 1918, Vassili Rozanov avait dessiné dans L’Apocalypse de notre temps une barrière impénétrable : « En cliquetant, en craquant et en grinçant, un rideau de fer descend sur l’histoire de la Russie. » Le terme de « rideau de fer » sera décliné, repris et tordu dans tous les sens. Jusqu’aux lèvres de Winston Churchill, il y a soixante ans. Au début des années 70, l’URSS est encore un monde fermé. « Pour nous tous, c’était un événement. On allait jouer plus qu’un jubilé, on allait à Moscou, pose Jean Djorkaeff, alors capitaine de l’équipe de France. On était dans un hôtel juste à côté de la place Rouge. C’était la première fois que j’allais en URSS, donc j’avais demandé à venir avec ma femme. » C’est aussi une partie de son passé que Tchouki va embrasser à l’occasion de ce voyage, lui dont le père était un Kalmouk, une ethnie mongole vivant dans le sud de la Russie. Il explique : « Je connaissais Lev Yachine de par sa renommée. Bien sûr, tout le monde connaissait le footballeur, mais on ne se connaissait pas personnellement. Il avait décidé de réunir les capitaines des grandes sélections nationales pour affronter son équipe composée de joueurs issus de la génération Dinamo. Rejoindre Moscou était incroyable, mais pour un match de foot, c’était encore plus beau. »

Jean Djorkaeff a reçu sa convocation quelques semaines plus tôt au siège du PSG dont il reste le premier joueur licencié de l’histoire. Dans le même temps, les étoiles s’alignent. Car dans cette sélection mondiale débarque l’éternel Giacinto Facchetti, Bobby Charlton, Bonev, Müller, Mazurkiewicz ou encore Dumitrache et Gustavo Peña. Le capitaine mexicain est d’ailleurs dans l’avion pour Moscou avec le couple Djorkaeff. « Il avait gardé son large sombrero sur la tête pendant le vol. C’était assez drôle et il voulait l’offrir à Yachine » , se souvient Jean Djorkaeff. Le défenseur français, lui, optera pour un service pour prendre le café. Histoire de préparer la retraite de Yachine. L’ensemble des convoqués se retrouve donc dans un hôtel moscovite, apprend à se connaître et prépare tranquillement la rencontre du lendemain dans un stade Central Lénine qui dégueule depuis plusieurs jours face aux quelque 700 000 demandes de billets. Ils seront finalement plus de 100 000. Pour dire au revoir au grand Lev.

« Rien de mieux qu’une bonne cigarette »

La rencontre ne restera qu’une anecdote et se terminera sur un nul (2-2). Lev Yachine, lui, jouera cinquante et une minutes avant d’être remplacé par Vladimir Pilguy dans ce qui ressemble alors à une passation de pouvoir. Djorkaeff : « C’était fantastique. Tout le monde s’est levé d’un coup. Il faut comprendre que plus que le joueur, Lev Yachine, c’était surtout un homme simple, qui ne se plaçait jamais au-dessus des autres. Il était hyper attachant. » Les témoins de l’époque parlent des larmes coulant sur les joues de la légende du Dynamo Moscou, mais Jean Djorkaeff se souvient davantage de l’after. Car Yachine a la réputation d’être avant tout un bon vivant résumé par ses propres mots : « Rien de mieux avant un match important qu’une bonne cigarette et qu’un coup de liqueur pour se vivifier les muscles. »

Après la rencontre, un repas est organisé à l’hôtel avec quelque quatre-vingt personnes. « Le truc, c’est qu’en Russie, les discours sont nombreux et la tradition veut qu’après chaque prise de parole, on passe à la vodka. Donc oui, la fête a été belle » , se marre Djorkaeff, qui prendra sa retraite trois ans plus tard. Sur des derniers shots en l’honneur de l’araignée. Rien n’est plus beau qu’une gueule de bois, et Yachine le sait. Ce qu’il ne sait pas encore, c’est que plus rien ne sera plus comme avant. Car à l’aube de son demi-siècle, Lev va développer une gangrène de la jambe. Le gardien sera amputé, avant de s’éteindre le 21 mars 1990. Soit trois jours après avoir été nommé héros du travail socialiste. Soit un peu de moins de vingt ans après sa dernière parade. Une dernière envolée pour l’éternité.

Lev Yachine, au-dessus des têtes

Par Maxime Brigand

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