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Et Nantes clama son amour pour Emiliano Sala…
Hier soir dans le centre de Nantes, plus d'un millier de Nantais avaient décidé de venir clamer leur amour pour Emiliano Sala et essayer de surmonter cette épreuve collectivement. Récit d'une soirée émouvante.
Dans la capitale du 44, la mythique place Royale accompagne depuis des dizaines d’années les chavirements de la cité des ducs pour le ballon rond. Elle a été assiégée lors des derniers titres des Canaris en 1995 et 2001, réinvestie lors de la montée dans l’élite en 2013, et était encore noire de monde en juillet dernier au moment où Mbappé & co ont brodé une deuxième étoile sur le maillot bleu. Ce 22 janvier, c’est encore dans ce lieu que bon nombre de Nantais ont rendez-vous, mais malheureusement pas pour vibrer de la même façon. En ce mardi maudit, c’est l’esprit meurtri et les yeux embués que des centaines de supporters se rejoignent dans l’épicentre de leur ville, pour y affronter ensemble la disparition d’un être cher : l’unique Emiliano Sala.
Tulipe orange et drapeau argentin
À 18h30, un constat donne du baume au cœur : le peuple a répondu à l’appel improvisé et collectif né sur Internet et est déjà bien massé devant l’imposante fontaine (on dépasse les mille personnes), même si tous n’ont pas pu se déplacer. Cette fois, l’ambiance est bien plus pesante que le 15 juillet 2018 et les chants viennent encore plus du fond du cœur. Les « Emiliano, Emiliano, Emiliano Sala ! » résonnent au milieu du cercle d’immeubles, comme ils ont résonné cette saison dans les travées de la Beaujoire après chacun des neuf buts inscrits à domicile par le goleador. Symbole de l’hommage, les tulipes jaunes sont quasiment dans chaque paire de mains, à tel point que le fleuriste du coin a été pris de court. « Il n’y avait plus de jaunes, on a dû prendre des orange, raconte Zafer, venu se recueillir avec son fils Karan et qui refuse encore d’utiliser l’imparfait pour parler de l’attaquant. On est venus en soutien à lui et à sa famille. Emiliano est avant tout quelqu’un de très humble, un exemple pour les enfants. Il a créé beaucoup d’émotion à la Beaujoire, il a fait bouger les foules. »
Maxime, lui, s’est déplacé avec son toutou, qu’il a même affublé d’une tunique jaune et vert. « Sala a marqué le club de son empreinte, quoi qu’il arrive, on ne l’oubliera pas, déclare-t-il. Emiliano, on t’aime ! » Au sein d’une foule diverse, compacte et unie, quelques courageux n’ont pas hésité à faire tomber le manteau pour exhiber fièrement leur maillot floqué du nom du numéro 9. Chacun leur tour, les gens se fraient un passage pour venir déposer leurs fleurs sur un monticule d’écharpes, dessins, drapeaux – dont celui de l’Argentine, évidemment – et cierges, provoquant à chaque fois des salves d’applaudissements.
Cafard et fumigène
Pour beaucoup, cette étrange journée a été longue et improductive, alors il y a un besoin de se livrer, d’échanger.
Franck, la soixantaine quasi atteinte, partage son chagrin avec un inconnu qui s’est retrouvé à côté de lui. « Ça me touche, il a l’âge de mon fils, lâche-t-il d’un ton résigné alors qu’un craquage de fumigène (jaune) a lieu au même moment. C’était un homme admirable. Il était irréprochable sur le terrain et en dehors, il véhiculait une image positive du club, il nous a tellement apporté… Ce transfert, c’était le bon moment pour lui, c’était une récompense. Finir comme ça… J’ai envie de dire « pas lui ! » Trop gentil, trop exemplaire. Comme l’a dit Vahid, il était attachant. J’en ai gros sur le cœur. »
Quelques larmes viennent trahir chez certains un attachement qui dépasse le football. Incognito, quelques membres du club sont présents, renforçant la symbolique de ce rassemblement. Et Laurent Gomis, éternel ambianceur de la Tribune Erdre, est également là, mais son tambour et son habituelle joie de vivre manquent à l’appel : « Ça fait mal, j’ai appris la nouvelle après le travail par ma voisine : ça me choque. Il donnait tout, jusqu’à la fin. » Deux tours d’horloge sont passés, et la place a commencé à se vider, conservant au pied de son bassin la marque d’un émoi sincère. Parmi celles et ceux ayant du mal à quitter les lieux, Maryline raconte son Salagol : « Il ne demandait rien, mouillait le maillot. Un guerrier accessible, simple et gentil. » Pour beaucoup, le cafard sera difficile à surpasser. Alors désormais, et avant des prochaines échéances sportives qui s’annoncent glaçantes pour le FCN, ce sera l’heure de trinquer à la mémoire d’un joueur rare : de la trempe de ceux qui deviennent des membres de la famille.
Photographie : JB
Par Jérémie Baron, à Nantes