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Erwan Lannuzel (Bergerac) : « J’ai énormément fait l’éponge »

Propos recueillis par Maxime Brigand
Erwan Lannuzel (Bergerac) : «<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>J&rsquo;ai énormément fait l&rsquo;éponge<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>»

Tombeur du FC Metz au tour précédent, Bergerac, leader de son groupe de National 2, défie Créteil (National 1) lors des seizièmes de finale de la Coupe de France. À la tête de l'orchestre bergeracois : Erwan Lannuzel, 33 ans. Entretien avec l'un des jeunes visages du foot amateur français.

Comment vous sentez-vous avant de vous avancer vers un seizième de finale de Coupe de France ? Je suis forcément très heureux, mais je n’ai pas un sentiment de surexcitation, parce que je sais que ce n’est pas une finalité en soi. Quand on attaque une saison, on a évidemment envie de faire un parcours en Coupe de France, de gagner des matchs, d’offrir de la visibilité au club, aux joueurs, au travail que l’on fait au quotidien puisque le National 2 n’est pas vraiment mis en lumière, mais notre pain quotidien, ce qui nous permet de durer dans le métier ou au fil des saisons, c’est le championnat. Aujourd’hui, je suis très content, mais je suis aussi soucieux de ce qu’il peut se passer avant, pendant et après ce match contre Créteil. La Coupe de France, c’est surtout un bonus pour les joueurs, le club et les partenaires. Si ça peut permettre à une ou deux individualités de se dégager, je serai aussi très fier. Bien sûr que c’est plus agréable d’être sollicité par les médias et de jouer devant 4000 personnes, mais à titre personnel, le cœur du métier reste identique.

En tant qu’entraîneur, il peut d’ailleurs y avoir une forme de frustration derrière un exploit. Par exemple, Bergerac vient d’éliminer Metz aux tirs au but, mais on imagine que ce n’est pas face à une Ligue 1 que les observateurs extérieurs peuvent s’attarder sur vos idées, votre projet de jeu… Exactement, même si on a cherché à imposer ce qu’on fait en championnat. Le problème, c’est que dans ce genre de rencontres, tu dois rapidement t’adapter à un niveau de pratique de l’adversaire qui est largement supérieur au tien. Un journaliste m’a d’ailleurs posé la question après le match contre Metz et j’ai été honnête : sur le contenu, il y a quand même des choses où, à mon avis, on aurait pu mieux faire. Les scénarios Coupe de France ne représentent pas au mieux ce qu’on est capable de faire sur une année. On s’arrête aux 90 minutes et à la fin du match, tu es surtout content d’avoir passé un tour de plus. On a par exemple passé le sixième tour à La Rochelle en gagnant 1-0 mais où les scénarios auraient pu nous être contraires. Aujourd’hui, personne ne se rappelle à quel point on a galéré parce que la finalité, c’est de te qualifier, de pouvoir jouer ce match à émotions, ce match qui va te donner des frissons… Ce sont des one shot, mais je n’oublie pas que le 8 janvier, on joue Les Herbiers en championnat. C’est au moins aussi important.

Si je dois comparer : en 2018, Les Herbiers vont en finale face au PSG et sont dans le même temps relégués en National 2 alors que Chambly perd en demi-finales et est promu en Ligue 2 la saison suivante. Je préfère la deuxième option.

D’autant qu’en championnat, Bergerac cartonne, est en tête de son groupe, a la co-meilleure attaque, la meilleure défense et n’a plus perdu depuis septembre…Et c’est ce que je retiens avant tout : cette bonne première partie de saison, le super match qu’on a fait au Canet (3-0), d’autres bonnes performances collectives. Ce sont ces choses-là qui nous permettent d’avancer. La Coupe de France nous aide aussi dans ce sens puisqu’elle nous permet de surfer sur une dynamique positive qu’il ne faut pas renier, mais je mets la même exigence dans un seizième de finale de Coupe de France que dans un match de National 2. C’est peut-être d’ailleurs en évitant ce phénomène de surprise que j’arrive à passer des tours depuis quelques années. Si je dois comparer : en 2018, Les Herbiers vont en finale face au PSG et sont dans le même temps relégués en National 2 alors que Chambly perd en demi-finales et est promu en Ligue 2 la saison suivante. Je préfère la deuxième option, même si faire les deux est très bien (Rires.).

Avez-vous pu échanger un petit peu avec Frédéric Antonetti après la qualification contre Metz ? Je vais être très honnête. Ça s’est arrêté à un « bonjour, au revoir, bonne fin de saison ». Peut-être qu’il n’avait pas de temps à perdre, mais je ne cache pas que j’aurais aimé pouvoir échanger. Pour un jeune coach, rencontrer quelqu’un que tu as vu à la télé pendant 20 ans, qui était déjà entraîneur quand tu commençais à regarder le foot, c’est toujours une bonne opportunité. Après, ça ne s’est pas fait, ce n’est pas grave.

Il paraît que vous avez toujours voulu coacher. D’où ça vient ? Mes parents ne sont pas dans le sport, encore moins dans le foot. Je ne sais pas comment c’est arrivé, mais j’ai su très tôt que je voulais être sur un banc. À 16 ans, j’ai entraîné les benjamins dans mon club à Biarritz. À 18 ans, j’ai eu mon brevet d’État premier degré. Le club et le président de l’époque ont vu en moi un potentiel et m’ont fait un contrat de travail pour pouvoir entraîner une équipe de jeunes. Je me suis pris dedans parce que dès le départ, j’ai adoré ça.

Qu’est-ce qui vous a plu ? D’abord, la création de séances et d’arriver à donner du plaisir aux joueurs via ces séances. Puis, la compétition, parce que j’ai très vite compris que je vivrais plus d’émotions en tant qu’entraîneur que joueur. Je n’ai pas voulu perdre du temps, attendre 31 ou 32 ans pour arrêter de jouer en amateur et essayer de vivre en tant que coach. Je ne me suis pas dit que j’étais fait pour ça, mais j’ai décidé de me donner les moyens pour vivre de ma passion. Mon plaisir était dans le coaching.

C’était quoi ces moyens ? J’ai énormément fait l’éponge, même si sur le Pays basque, c’est assez difficile d’avoir du réseau à travers le football. J’ai d’abord eu la chance de rencontrer Xavier Legaz dans mon club, qui m’a vite donné la fibre du coaching et de la compétition. Puis, j’ai beaucoup échangé avec Alain Pochat, qui est aujourd’hui entraîneur de Bourg-en-Bresse, mais qui vient de Bayonne à la base. Ensuite, j’ai été voir les séances d’entraînement de club de CFA2, notamment à Anglet, et de clubs pros avec mon adjoint, Denis Stinat, qui m’a fait visiter le FC Nantes par l’intermédiaire de Pierre Aristouy. On a aussi été faire un tour à Toulouse grâce à Nicolas Sahnoun, à la Real Sociedad, à Bilbao… Aujourd’hui, j’ai ouvert ça à d’autres sports. J’ai notamment rencontré Christophe Urios pour parler management. Je suis un peu dans l’idée de faire l’éponge pour m’imprégner de plein de choses et construire mon idéal de management, mon idéal de projet de jeu, mon idéal de système d’entraînement.

Aujourd’hui, qu’est-ce qui ressort de toutes ces années d’éponge ? Je veux une équipe active, capable de décider de faire plein de choses à travers son match, d’attaquer en deux ou trois passes avec beaucoup de verticalité ou de mettre en place aussi une séquence de 45 passes avant de finir. Je veux aussi que mon équipe soit capable de défendre ensemble. Plus que tout, je veux une équipe qui soit, à un moment donné, capable de mettre son empreinte sur l’adversaire. On veut se dire à un instant T : « ok, on vous laisse le ballon pendant 5-10 minutes parce qu’on va vous faire mal en transitions » . Puis, à un instant T2 : « ok, maintenant, on va vous prendre le ballon et vous user psychologiquement » . Je crois beaucoup en l’addition de choix de jeu et de forces de l’effectif.

Lors du stage de présaison, on a créé une version d’Un dîner presque parfait sur les repas du stage. […] C’est en réussissant à unifier ton groupe que tu peux ensuite passer plus tard des situations de crise ou à faire des choses exceptionnelles.

On sent aussi qu’il y a une quête identitaire derrière votre approche, une volonté de redonner des couleurs à un coin de France qui n’est pas hyper représenté sur la carte du foot. Oui et je le revendique, parce que je suis très fier de ma région. Le projet qui m’a été présenté à Bergerac par le président Fauvel est aussi celui-là. Il y a le désir d’avoir une empreinte sur le territoire. Ça passe par le recrutement, le staff, des valeurs, plein de choses. Peut-être que je ne coacherais pas de la même façon dans une autre ville ou une autre région. Aujourd’hui, pour attirer un spectateur à Bergerac ou même dans le Sud-Ouest, il faut attirer quelqu’un qui a d’habitude envie d’aller au rugby. Il faut lui donner envie, toucher sa curiosité, qu’il puisse s’associer à ce qu’il voit. Ça, ça marche aussi pour les partenaires.

C’est quoi ces valeurs ? Il faut une équipe qui combat, qui court, qui est entreprenante, qui est active, qui a du caractère… Je pense que quand un entraîneur prend un poste, c’est important de faire aussi le diagnostic d’une région, d’un club, de son histoire, des bénévoles. Je ne dis pas qu’il faut leur donner exactement ce qu’ils veulent, mais il faut s’en rapprocher dans ce qu’on veut faire et aujourd’hui, quand un joueur signe à Bergerac, il doit être animé par ça aussi. En tout cas, il ne peut pas être à l’opposé. Il doit par exemple être capable de comprendre qu’il ne peut pas prendre son sac, y ranger ses crampons et partir sans un mot. C’est plein de petits détails, mais des détails essentiels qui t’aident à placer les bons acteurs au centre de ton projet.

Comment avez-vous réussi à créer ce lien ? Je suis arrivé en début de saison et ma première journée a été réservée à des olympiades avec du tir à la corde, plein de choses… Ce n’était pas pour faire quelque chose de différent, mais pour créer une unité dans un groupe qui voyait un nouveau staff et plusieurs nouveaux joueurs arriver. Avant d’être une histoire de foot, une équipe, c’est une histoire d’hommes. Il faut donc réussir à créer des moments d’échanges. C’est essentiel, tout comme rendre les joueurs acteurs du projet. Lors du stage de présaison, on a notamment créé une version d’Un dîner presque parfait sur les repas du stage où chaque groupe devait faire un repas, les courses, une animation et où les autres groupes faisaient une évaluation. C’est en réussissant à unifier ton groupe que tu peux ensuite passer plus tard des situations de crise ou à faire des choses exceptionnelles. La clé, c’est aussi de ne pas mentir aux joueurs. Quand un mec signe à Bergerac, je suis clair : il n’aura peut-être pas les meilleurs terrains d’entraînement, peut-être pas le meilleur salaire, il ne serait peut-être pas titulaire chaque semaine… Mais il aura d’autres choses.

Comment réussissez-vous à rendre également vos joueurs acteurs de leur projet de jeu ? Grâce à la Fédé, on peut avoir nos matchs en live, donc on travaille un peu avec de la vidéo. On en met deux fois dans la semaine. Sinon, c’est de l’échange et de la responsabilisation. J’estime notamment que ma colonne – mes centraux, mon 6, mes relayeurs – doit être actrice centrale du projet et qu’elle doit être en capacité de décider des choses. Je discute beaucoup avec les joueurs sur ce qu’ils ont envie de faire. Parfois, c’est en groupe, parfois en petits groupes, parfois entre cadres, parfois en individuel. À l’entraînement, on essaie aussi de mettre les joueurs dans des situations critiques pour les forcer à trouver des solutions à des problèmes donnés. Il arrive que le terrain soit coupé en octogones ou en hexagones et qu’on demande aux joueurs de ne jouer que dans une surface de jeu précise. En manipulant le terrain, on peut apprendre aux joueurs à vivre dans la densité, à en sortir, à s’en servir… Le week-end, forcément, ça aide à trouver de nouvelles portes de sortie. D’un coup, on peut par exemple demander aux latéraux de se mettre davantage dans des zones mortes. Je n’ai pas envie d’être directif, il y a des non négociables dans mon projet de jeu, mais dans certaines phases, les joueurs sont avec nous dans la réflexion. Je ne l’ai pas encore fait à Bergerac, mais à Bayonne, j’ai déjà fait à travers l’analyse vidéo réalisée par des joueurs. Parfois, ça t’aide à voir des choses que tu n’as pas vu et tu le complètes avec des choses que eux n’ont pas vu.

Il n’y a jamais eu de problèmes de management du fait de votre jeunesse ?J’ai la prétention de dire que ça ne m’est jamais arrivé. J’ai le sentiment qu’on n’a jamais vu mon âge avant de voir mon rôle. J’ai très vite essayé de mettre les ingrédients pour que ma compétence ressorte très vite et qu’on ne se pose pas la question de mon âge. Aujourd’hui, j’ai 33 ans, mais j’ai déjà 10 ans de coaching derrière moi. J’ai commencé à entraîner l’équipe réserve de Biarritz à 22 ans, c’était des potes… À 22 ans, tu as envie de faire la bringue hein, donc je devais additionner les casquettes tout en étant être hyper compétent sur le terrain pour ne pas qu’on me dise quelque chose à un moment donné. Chacun de mes choix a été sportif et je n’ai jamais eu le sentiment de rentrer dans une zone d’incertitude avec mon âge. On peut me tutoyer, on peut me vouvoyer, on peut m’appeler Erwan, on peut m’appeler coach, je ne rends rien obligatoire, ça ne m’a jamais dérangé parce que le respect est ailleurs.

Vous avez passé votre DES avec certains joueurs pros. Qu’est-ce que vous en gardez ?À l’époque, j’ai pas mal échangé avec Romain Pitau, mais j’ai surtout ressenti qu’il n’y avait aucune différence. Comme on dit souvent, on est tous dans la même dynamique, la même recherche, la même machine à laver. Après, pour un mec qui arrivait du monde amateur, j’avais une promo de dingue : Patrick Mboma, Steve Savidan, Cris, Abardonado, Govou, Giuly… Pendant le DES, quand tu es amateur, tu fais une présentation avec un professionnel et je me suis retrouvé avec Giuly. Pour un mec qui arrive du bas, c’est lunaire, mais très vite, il n’y a plus de pro, plus d’anonyme, on est tous pareil. C’était un super mélange, des échanges précieux dans les deux sens, une connexion hyper enrichissante.

J’envoie toujours le même message à ma copine avant de sortir du vestiaire. Je ne lis jamais sa réponse. Je vais être capable de m’habiller de la même manière pour un match si on a gagné le match précédent. Je n’ai pas de numéro 13 dans mon équipe. […] Je sais que c’est nul, mais ça me rassure et que ça me sécurise juste mentalement.

Il y a quand même le constat qu’en France, pour sauter la marche supérieure vers le BEPF, l’ouverture n’est plus la même, que le chemin est bien plus compliqué. Oui, mais moi, aujourd’hui, je ne peux pas me plaindre de ça. À 26 ans, j’ai été pris au DES avec une promo de malade en coachant Biarritz qui était en DH. Je n’ai pas ce sentiment d’un monde fermé. Je sais que je devrais peut-être patienter pour le BEPF, que je fasse d’autres choses, mais ce n’est pas grave. C’est mon chemin, il sera peut-être plus long que d’autres, mais ce n’est pas grave, ça donnera encore plus d’expérience. Je ne jalouse personne et j’essaie de maîtriser ce que je peux maîtriser. Ce que je peux maîtriser, c’est mon travail.

Avez-vous le temps de vous former à d’autres secteurs, que ce soit le management ou la data ? Je préfère le faire, là-aussi, à travers l’échange avec des personnes qui travaillent déjà dans un club. Si demain tu me proposes de faire une formation de manager sur six mois ou rencontrer un coach de haut niveau dont j’apprécie le management pendant deux mois, je vais sûrement préférer la deuxième option. L’idéal serait de faire les deux, mais j’aime bien être dans l’échange avec des gens du terrain. Après, une fois qu’on est lancé, on n’a pas forcément énormément de temps, donc j’échange avec des acteurs quand j’en ai l’occasion. À Bayonne, j’avais rencontré Yannick Bru, qui m’avait aussi permis de rencontrer Pascal Dupraz. La suite de ma formation se passe comme ça aujourd’hui.

Il se dit que vous êtes aussi très superstitieux. J’ai pas mal de tocs, oui. J’envoie toujours le même message à ma copine avant de sortir du vestiaire. Je ne lis jamais sa réponse. Je vais être capable de m’habiller de la même manière pour un match si on a gagné le match précédent. Je n’ai pas de numéro 13 dans mon équipe. En Coupe de France, c’est plus compliqué, mais contre Metz, on a eu de la chance, il y a eu un malade le matin du match. Je ne l’ai pas remplacé et on a pu sortir le 13. Je sais que c’est nul, mais ça me rassure et que ça me sécurise juste mentalement.

Comment avez-vous réussi à organiser la préparation de ce match contre Créteil avec les fêtes ? Ça n’a pas été compliqué, parce qu’il y a l’objectif. J’ai un seul joueur qui a pris un kilo. On voulait vraiment les faire souffler parce qu’encore une fois, notre saison ne s’arrête pas à Créteil, mais elle s’arrêtera le 25 mai. Il nous reste minimum une vingtaine de matchs à disputer. Comme contre Metz, je n’ai pas voulu changer les habitudes ou jouer sur l’émotionnel. J’ai considéré que c’était l’extérieur qui s’en chargerait : les médias, les potes, la famille… L’adrénaline vient naturellement. L’idée est de se concentrer sur ce qu’on est capable de faire.

Et vous, avez-vous réussi à couper ? Pas assez à mon goût. Ma copine dirait pas du tout. Après, j’ai l’impression que c’est la règle du jeu. On a voulu couper en partant à l’étranger, avec le dépaysement de la langue, mais avec la Covid, c’était compliqué. Finalement, tu penses ton temps à penser aux autres. Peut-être que la jeunesse fait que pour le moment, je suis encore 100% du temps à fond. Je sais que les joueurs le sont et le seront aussi. Maintenant qu’on a déjà fait un exploit, les joueurs savent ce que ça fait, ils sont peut-être un petit peu plus rodés.

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