- Mondial 2022
- Gr. D
- France-Danemark (2-1)
Équipe de France : esprit de 2018, es-tu là ?
Toc, toc. En accrochant à son tableau de chasse l’Australie, puis le Danemark, l’équipe de France s’est ouvert le chemin des huitièmes de finale du Mondial qatari. Le temps a certes creusé un large sillon de différences entre la génération 2018 et celle de 2022, mais il reste un fil rouge qui s’étire : une force collective, des hommes forts et quelques clins d’œil malicieux du destin.
Il faudrait jeter un coup d’œil aux bulletins de notes du petit Didier Deschamps pour savoir si, à l’époque, l’art plastique était l’une de ses matières préférées. N’ayant pas ces documents sous la main, on peut juste constater que le sélectionneur des Bleus se balade avec un calque dans le cartable. Il y a un peu plus de quatre ans, entouré de 23 joueurs, il soulevait dans le ciel russe la Coupe du monde. Sur le papier, la recette était assez simple : un état d’esprit à toute épreuve, des hommes de base bien identifiés et forcément un brin de réussite. En grossissant le trait, un football qui va à l’essentiel, maximisant les forces et gommant les faiblesses. Le monde a eu le temps de changer quatre fois de calendrier, de traverser une épidémie mondiale, quelques guerres et des révolutions politiques, le voilà qui retrouve avec plaisir ce qui ressemble à une valeur cardinale : la France qui gagne à la sauce Deschamps.
Tout pareil, mais différent
L’idée n’est pas de dire que le doublé lui tend bras, mais cette promo 2022 semble prendre un malin plaisir à multiplier les parallèles avec la précédente. Comme en 2018, les Bleus se sont assuré de franchir la phase de poules dès leur deuxième match. Comme en 2018, ils ont dû ferrailler avec l’Australie et le Danemark, même si la rencontre avec ces derniers n’a en rien ressemblé au match barbant des coiffeurs de Moscou. Comme en 2018, ils pourraient recroiser l’Argentine de Lionel Messi au tour suivant. Comme en 2018, on a vu Kylian Mbappé casser des records de vitesse et jouer le rôle de facteur X de cette équipe. Comme en 2018, Antoine Griezmann a tenu son rôle de distributeur de bonbons. Comme en 2018, Hugo Lloris s’est offert – cette fois face à Braithwaite – un arrêt valant presque un but, rappelant l’horizontale claquée avant la pause contre l’Uruguay. Comme en 2018, Olivier Giroud abat un boulot monstre, et en plus, cette fois, il marque. Comme en 2018, c’est une équipe qui a tendance à marcher à réaction. Comme en 2018 règne dans cette équipe une forme d’unité, affichant dès qu’elle le peut l’image de belle colonie, loin des scènes de western de l’Euro 2020. « Je suis H24 ou presque avec les joueurs et, s’il y a des centres d’intérêt différents, on passe beaucoup de temps ensemble, constatait Didier Deschamps samedi soir. Les joueurs sont tous à l’écoute, personne ne rechigne, et les joueurs les plus expérimentés sont les garants de cette force collective. » La performance étant de recycler ces principes en ne comptant que dix champions du monde, les blessures, les trajectoires et les choix ayant fait leur effet.
Plus qu’un « copier-coller », duquel veut à tout prix se détacher le sélectionneur, c’est plutôt l’expérience qui a permis de contrecarrer cette malédiction du champion que beaucoup agitaient sous le nez des Bleus. Les forfaits de dernière minute de Benzema et Nkunku, la blessure de Lucas Hernandez, les absences lourdes de sens de Pogba et Kanté, le poids des statuts chez les nouveaux leaders, les tumultes en interne concernant les sponsors ou la Fédération n’ont finalement eu que peu d’impact sur cette équipe qui a plutôt puisé dans un mélange de vécu et de fraîcheur pour retrouver son rang. « C’est difficile de comparer les compétitions parce que le groupe a évolué, mais on peut se servir de cette expérience, assurait il y a peu Hugo Lloris, expliquant surtout que si 2018 est un modèle, il l’est pour ne pas reproduire certaines erreurs. En Russie contre l’Australie, on avait eu des difficultés à se créer des opportunités pour finalement prendre trois points un peu à l’arrache. Cette fois, on n’avait surtout pas envie de revivre les même sensations. On voulait se donner de l’élan pour bien entrer dans la compétition, sans connaître de frustrations. »
Ghostbusters
Les feuilles de match aussi rappellent ce mélange. Tout en apportant leurs qualités propres, les jeunes Dayot Upamecano, Theo Hernandez et Aurélien Tchouaméni ont repris en quelque sorte le flambeau de Samuel Umtiti, Lucas Hernandez et Paul Pogba, quand Adrien Rabiot a emprunté à Blaise Matuidi son totem de « joueur d’équilibre ». Et c’est en ça que le calque dessine aussi une nouvelle œuvre, avec ses propres singularités. Si cette équipe de France a encaissé en deux matchs autant de buts que sa prédécesseur en trois matchs et demi, elle présente à l’inverse un profil offensif bien plus complet (six buts en deux matchs cette année quand il a fallu attendre la 64e minute du France-Argentine pour arriver à ce total). Depuis son sacre moscovite, cette équipe a traversé d’autres aventures dont elle se nourrit. Il y a ainsi fort à parier que le scénario de la Suisse à l’Euro ressurgira dans les têtes au moindre excès de confiance. L’égalisation danoise, dans la nuit dohanaise, a pu y faire écho. Et comme par magie, la France, au lieu de se liquéfier comme sur la pelouse de Bucarest, a su se remettre la tête à l’endroit pour ne pas laisser des fantômes se poster dans un coin du stade. D’ailleurs, est-ce un hasard si l’homme dont le penalty manqué a coûté la qualification à l’Euro est le même qui a, ce soir, envoyé les siens au tour suivant ?
Par Mathieu Rollinger, au Stadium 974