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« Être Ribéry en 2006, c’est le rêve que j’aurais voulu vivre »
Alors qu’il prépare sa reconversion comme coach du côté de Munich, Franck Ribéry continue de fasciner. À tel point qu’en début d’année, un livre à son sujet est paru : Franck, autoportrait imaginaire. Un ouvrage écrit à la première personne qui retrace la vie de Cht’i Franck en long et en large. Entretien avec Gilles Juan, son auteur.
C’était l’anniversaire de Franck Ribéry, le 7 avril dernier. Est-ce qu’il t’a envoyé un petit message pour te remercier d’avoir écrit un bouquin sur sa vie ?
Non, malheureusement. J’ai essayé de lui faire parvenir, je ne sais pas s’il l’a lu. Ça ne me pèse pas, mais ça m’aurait fait plaisir d’avoir un retour, je ne le cache pas. Quand je lui ai envoyé le livre, j’avais glissé un petit mot avec mon numéro de téléphone. Ça m’aurait évidemment intéressé d’en parler avec lui. Au début du projet, ça m’aurait même intéressé de le faire avec lui.
Le format final du livre, qui prend la forme « d’une longue conversation imaginaire entre Ribéry et une amie », c’est parce que tu n’as pas eu accès à lui directement ?
Dans un premier temps, c’est parce que je n’ai pas pu le faire avec Franck Ribéry. Ensuite, c’est venu après cette volonté d’écrire à la première personne, comme il parle. Ce n’était pas tant le souci de le raconter différemment, c’était vraiment le plaisir d’incarner le personnage.
Quel rapport avais-tu avec le Franck Ribéry joueur ?
Je supportais beaucoup l’OM lorsqu’il y était. Mais surtout, être Ribéry en 2006, c’est le rêve que j’aurais voulu vivre, avec la conscience que je ne le vivrai jamais. En 2006, j’ai 24 ans, je sais déjà que c’est derrière moi, mais le rêve reste. J’étais un joueur technique, mais je n’avais pas la niaque. Aujourd’hui, je ne peux plus jouer, car j’ai des problèmes de dos et ça me peine… D’ailleurs, je m’intéresse moins au foot depuis que je ne joue plus. Pour en revenir à Ribéry, c’est quand j’ai commencé par la suite à écrire sur le foot qu’il est revenu dans ma vie. Je me suis beaucoup intéressé à la grève des joueurs en 2010, je n’avais pas aimé la Une de L’Équipe et je m’étais senti proche d’eux à ce moment-là. Je crois sincèrement que j’ai pris très au sérieux la solidarité du vestiaire par rapport à un mec qui se cassait (Nicolas Anelka, NDLR). J’ai connu l’internat, les vestiaires de foot, je comprends, en fait. Il y avait comme une sorte de plaisir chez certaines personnes à voir cette équipe merder.
Quand est-ce que tu as choisi d’écrire sur lui ?
Deux ans avant la sortie du livre. En cherchant des sujets, je me suis dit : « OK, Ribéry ». Il incarne pour moi LE footballeur pour tout un tas de raisons. Parfois malgré lui, il a traversé tout ce qui a fait débat dans le foot ces vingt dernières années. Chaque nouvelle polémique m’amenait à penser que ça pouvait être traité avec Ribéry. J’ai cherché l’éditeur avant même d’avoir terminé. Ça m’a conforté d’avoir leur retour quand ils m’ont dit : « Sur le papier, on n’y aurait pas cru, mais en lisant ce que ça donne, ça nous plaît… » Il y avait notamment le risque de la caricature, ce n’était pas ce que je voulais.
La caricature, c’est ce qui a toujours suivi Franck. Quelle était donc la limite que tu te fixais quand tu le faisais parler ?
Je ne me suis pas bridé lors de la phase d’écriture, et c’est au moment de la phase de relecture que j’en ai enlevé. Il y avait deux risques : le premier, c’était que je ne voulais pas qu’on le trouve stupide, simplement que ça fasse sourire et que l’on s’attache au personnage. Même s’il a parfois été lui-même très caricatural dans sa carrière. Le second, c’était qu’il y ait trop d’erreurs, trop de fautes grossières de français. Parce qu’on fait tous des erreurs, et l’oral, c’est se tromper aussi. Moi par exemple, je me rends compte parfois quand j’écris qu’il y a des mots que j’emploie mal depuis toujours. « Sous la houlette de l’entraîneur », je ne sais pas à quoi fait référence « la houlette ». Pour que ce soit réaliste et bien équilibré, je me suis remis beaucoup d’interviews qu’il a données, beaucoup d’interviews de footballeurs aussi pour choper les tics de langage. Le commentaire de foot, c’est attachant aussi parce qu’il n’est pas nickel. Dans le livre, j’ai remis des vraies phrases de Ribéry et notamment quasiment mot pour mot le passage dans Téléfoot en 2010. Elle est touchante, cette interview.
Il y a la sensation que Franck Ribéry n’a pas toujours été reconnu à sa juste valeur. Quand on pense aux meilleurs joueurs français de l’histoire, Platini, Zidane, Henry ou même Benzema viennent rapidement. Lui, moins. Je pense que c’est lié à deux choses, au-delà du fait qu’il n’a pas gagné avec l’équipe de France ou pris un Ballon d’or, même s’il n’était pas loin en 2013. La première, c’est que gagner en Allemagne n’est pas aussi valorisé chez nous que de gagner en Angleterre ou même en Espagne. La seconde, c’est que Ribéry n’est pas un joueur YouTube. J’ai pris énormément de plaisir à revoir quel bon joueur il était en regardant des archives, mais les raisons pour lesquelles il était un bon joueur ne sont pas photogéniques. Dans les actions qu’il a mises en ligne pour la fin de sa carrière, ce n’est pas aussi époustouflant que Ronaldinho par exemple. Ribéry, je crois que c’était beaucoup d’intensité. Du débordement, de l’énergie et ça ne se compile pas. Il y a quelque chose de l’ordre de l’image, je crois. Les images que l’on a de Ribéry sont moins belles.
Ribéry ne serait-il pas également l’illustration de ce que représentaient les footballeurs dans les années 2000-2010 pour le grand public, à travers des phrases que l’on entend d’ailleurs beaucoup moins aujourd’hui comme « ces abrutis qui courent derrière un ballon ? »
Il pousse à son paroxysme l’idée qu’on se fait des footballeurs lorsqu’on ne les aime pas. Il est représentatif du milieu d’où viennent les footballeurs, de par la façon dont il s’exprime, et en plus, il a cette image du mec chambreur de vestiaire. La France des années 2000-2010 voulait à ce moment-là continuer à aimer le football avec des footballeurs éduqués comme des rugbymen. Parce qu’on compte sur le foot pour éduquer dans tous les domaines, pour porter des valeurs éducatives comme le goût de l’effort ou la solidarité. On a tort de faire ça, et ce qui est dur dans ce cas précis, c’est que Ribéry est pourtant exemplaire sur tellement de choses. De quoi se poser la question : le tort était-il chez Ribéry ou bien dans la volonté d’une partie du public qu’il soit autre chose ?
Ribéry est-il né à la mauvaise époque ?
Je le pense. Il a été le footballeur mal aimé typique au moment où on avait très envie de continuer à aimer l’équipe de France, car elle avait rendu fier. Je pense que la France est un pays très orgueilleux, fier de lui quand il gagne plus que quand il joue. Zidane par exemple, on lui a reproché de ne pas suffisamment parler malgré tout ce qu’il avait fait sportivement. Il fallait qu’il fasse plus. Et puis à l’inverse, on va entendre ensuite que Lilian Thuram le fait trop, que Kylian Mbappé le fait trop.
« Caïd immature », « racaille »… De nombreuses étiquettes lui ont été collées sur le front.
La ministre de l’époque (Roselyne Bachelot, NDLR) avait effectivement employé ce terme de « Caïd immature », et il ne faut pas oublier aussi qu’on l’a fait passer pour un type stupide avant tout. Les sketchs des Guignols de l’Info, je les ai regardés : c’est passé de stupide à stupide méchant, même à racaille insupportable. C’étaient des sketchs que je trouve assez méchants.
Il faut quand même rappeler que Ribéry n’a pas été le premier et seul footballeur à avoir été comparé à un mec stupide. On pense forcément tout de suite à la marionnette de JPP.
Je ne sais pas si je suis complètement de bonne foi à ce sujet. Déjà, ce n’était pas que Les Guignols, et puis il faut dire aussi qu’il a parfois tendu le bâton. « La routourne va tourner », « J’ai qu’ça qu’à dire », ça fait sourire, c’est indéniable. Mais c’est devenu grave par la suite du fait de ce besoin de Français exemplaires. L’inquiétude que cette équipe ne le soit plus. Sur le terrain, elle ne gagne plus non plus. Elle joue mal. Domenech provoque. On ne sait plus qui aimer dans cette équipe, la France va mal, La Marseillaise est sifflée, Sarkozy veut un ministère de l’Identité nationale… Vu qu’avant, l’équipe de France gagnait, en 1998 ou en 2000, ça passait, même si cette inquiétude d’une partie de la frange politique était là. On ne parle pas d’équipe black blanc beur pendant le parcours des Bleus en 1998, ça ne vient qu’après. Quand l’équipe gagne, il y a cette fierté française qui fait qu’on ne parle pas de tout ça. Là a aussi été la malchance de Ribéry, d’arriver dans une équipe qui ne gagne plus et qui joue de plus en plus mal. Dans ces années-là, le foot est le symbole de choses qui se passent dans nos sociétés qu’une partie des Français n’aime pas. Il y a par exemple de plus en plus de musulmans, ou même de musulmans convertis dont Ribéry fait partie. « Qu’est-ce que ça cache ? Qu’est-ce que ça dit de la France ? » Des questions qu’on se pose un peu moins aujourd’hui par exemple. Le fait d’exprimer sa foi en général a changé. Prenons l’exemple de quelqu’un comme Giroud, car ça ne concerne pas seulement les musulmans. À ceux qui disent à tort qu’il y a une islamisation de la France, je réponds qu’il y a une américanisation de la France. On revendique beaucoup plus ouvertement ce à quoi on croit, ou ce à quoi on ne croit pas.
Est-ce qu’il y a un passage que tu as particulièrement aimé écrire ? Je voulais surtout que ressorte l’amour du foot. C’était super important, car cela se voit que ce type aime le foot de façon hyperforte depuis toujours. Qu’il aime les sensations sur le terrain. C’est aussi la raison pour laquelle j’écris sur le foot : l’amour du jeu. Je voulais qu’il y ait le plaisir des sensations, de ses débordements. Ensuite, ce qui m’a intéressé et que j’ai travaillé, ce sont les sentiments d’injustice avec lesquels il a évolué dans sa carrière. Un peu de ressentiment, le côté émotif affecté avec le Ballon d’or, par exemple. Quelqu’un un peu à fleur de peau.
Dans le livre, le passage sur l’affaire Zahia est très succinct. Pourquoi ?
Essentiellement pour des raisons juridiques. Même si j’assume ce que c’est devenu. La maison d’édition ne m’a pas dit : « Il ne faut pas qu’on ait de procès. » Ils m’ont dit à la place : « Il ne faut pas qu’on perde de procès. » Donc ce qui a été jugé, il fallait le respecter. Au début, je voulais aussi broder autour ce qu’il y avait eu juridiquement sur la nuit qu’il a passé avec elle, mais il y avait évidemment aussi cette question de savoir si c’était de bon goût ou pas. Et puis, cela se mêlait à la question d’avec qui il parle dans le livre aussi. Parce que j’avais eu l’idée d’abord de le mettre face à un pote, donc c’était un peu plus graveleux, il se tenait un peu moins. Là, il parle à quelqu’un qui n’est pas un ami, à une femme, ça met une petite pudeur. Il se reprend parfois, il est aussi questionné à certains moments sur ce qu’il est en train de dire. Puis c’est romanesque qu’il parle à une femme, il y a aussi un côté psychanalyse puisqu’il est allongé. C’était moins intéressant de parler de Zahia entre potes. Là, il ne fait pas le malin, il est un peu honteux et pudique vis-à-vis de sa femme. J’ai donné plus de consistance à la relation avec sa compagne – dont j’ai changé le prénom – en faisant d’elle un vrai personnage secondaire.
Est-ce que tu as essayé d’imaginer sa vie si Franck Ribéry n’était pas devenu joueur de foot pro ? Oui, et je crois que ça aurait été une vie pleine de frustrations. Beaucoup plus qu’à la fin de sa carrière, car je crois qu’il est tellement habité par le foot et par les émotions, par le fait de battre l’adversaire, que j’ai beaucoup apprécié écrire sur le dernier challenge qu’il a eu (à la Salernitana en Italie, NDLR). Ça ne s’arrête pas après le Bayern, et le fait que Ribéry ait terminé sa carrière chez un promu dans un top championnat européen plutôt que dans un pays où il aurait touché beaucoup plus, c’est hyperintéressant. Le fait qu’il ait toujours cherché le challenge sportif me fait dire que s’il n’avait pas été footballeur professionnel, il aurait été footballeur amateur sans aucun doute. Mais avec beaucoup de regrets.
On retrouvera des mecs comme Franck dans le foot à l’avenir ? J’espère. Je crois qu’il y aura toujours des joueurs spontanés, même si c’est difficile de prévoir l’impact des réseaux sociaux sur les générations futures. Je ne sais pas ce que ça fait aujourd’hui d’avoir 17 ans dans un centre de formation, mais je ne désespère pas que des personnalités spontanées comme Ribéry émergent. Je le souhaite pour le football.
Propos recueillis par Andrea Chazy, à Paris