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En Angleterre, les grands esprits se bousculent

Par Adrien Candau
En Angleterre, les grands esprits se bousculent

Après s’être fait griller la priorité par le football espagnol ces dernières années, la Premier League a retrouvé de manière spectaculaire le sommet de la pyramide continentale, en alignant quatre équipes en finale de C1 et de C3 cette saison, une performance jusqu'ici jamais réalisée dans l'histoire des compétitions européennes. Quatre clubs avec quatre coachs étrangers aux manettes, que le Royaume est venu malicieusement chiper à Dortmund, Naples, l'Espanyol Barcelone et au PSG. Une tendance révélatrice d'un championnat qui, au-delà de la bataille économique, est peut-être aussi en train de remporter la guerre des cerveaux.

En un sens, c’est comme si la dernière journée de Premier League n’allait pas avoir lieu, comme le prévoit le calendrier, ce dimanche. Il suffit de zieuter vers les deux sommets du football européen qui clôtureront cette fin d’exercice 2018-2019 pour s’en convaincre : Chelsea-Arsenal se profile le 29 mai en finale de C3, avant un alléchant Tottenham-Liverpool le premier juin, en grand final de la C1. Orgasmique pour les anglophiles et plus qu’encourageant pour des clubs comme Arsenal et Chelsea, qui renouent avec les joies d’une finale européenne, après avoir respectivement embauché Unai Emery et Maurizio Sarri quelques mois plus tôt. La Ligue des champions verra donc, elle, Mauricio Pochettino et Jürgen Klopp s’affronter par bancs interposés. Aucun manager anglais dans le lot et quatre types qui auraient pu trouver leur bonheur ailleurs qu’en Angleterre. Sauf qu’il est visiblement devenu de moins en moins évident d’échapper à la tentation d’une escapade dans le Royaume.

Du plomb dans la tête

De fait, si la Premier League a longtemps été décrite comme le championnat du fric, des joueurs stars, du spectaculaire et de la démesure, elle est aussi désormais celui des grands entraîneurs. Si le Royaume a depuis longtemps attiré un lot copieux de coachs étrangers, le déséquilibre n’a peut-être jamais été aussi marqué qu’aujourd’hui. Comme un symbole, alors que le Bayern Munich a laissé Pep Guardiola quitter la Bavière pour remodeler Manchester City à son image en 2016, les Munichois doivent désormais se contenter d’un entraîneur aux airs de second couteau comme Niko Kovač. Un choix presque par défaut, alors que ce n’est pas le Rekordmeister, mais bien Liverpool, qui a depuis quatre ans mis le grappin sur Jürgen Klopp, le coach allemand le plus coté de la décennie, tant dans sa manière de penser le jeu que ses méthodes de management.

Chelsea a fait de même avec Maurizio Sarri, que les Blues ont chipé au Napoli et à l’Italie, alors que l’ancien entraîneur azzurro avait peut-être les moyens de renouveler le logiciel idéologique d’un football transalpin encore trop réfractaire à l’innovation et au déséquilibre offensif. À Arsenal, la page Wenger a été relativement bien tournée (malgré une fin de saison chaotique en Premier League) et Unai Emery tente d’apporter progressivement sa patte stylistique et tactique à un club qui manquait cruellement d’identité de jeu depuis de trop nombreuses années. La manière et la réflexion collective auront également été au centre de la stratégie de Tottenham, qui a construit brique par brique son projet sous la houlette de Pochettino.

L’Espagne en ligne de mire

De quoi se demander si ces deux finales européennes 100% anglaises ne sont pas à même d’ouvrir une nouvelle ère pour le football continental. Une ère placée sous le signe de l’Union Jack et de ses managers. Car si la Premier League a depuis le début des années 2000 eu significativement plus d’argent que tout le monde, elle n’a pas toujours bien su quoi en faire. L’hyper domination sportive du football espagnol lors de la décennie en cours en a constitué une preuve édifiante : alors que 13 des 30 clubs les plus riches du monde sont anglais, selon le dernier classement de la Money League, les clubs ibériques ont remporté 6 des dernières C1 et C3 depuis 2010. Et si le Real Madrid et le FC Barcelone ont largement les moyens de jouer des coudes avec les mastodontes du football britannique, ce n’est pas nécessairement le cas de l’Atlético de Madrid et du FC Séville, qui ont pourtant chacun mis trois Ligue Europa dans leur escarcelle depuis le début de la décennie.

Pour rebattre les cartes, Liverpool et Tottenham ont d’ailleurs depuis belle lurette compris qu’il fallait réinjecter une bonne dose de matière grise sur leurs bancs respectifs, alors que Pochettino comme Klopp sont solidement en place depuis 2014 et 2015. Résultat : les Reds, déjà finalistes de la C3 en 2016, vont enquiller leur deuxième finale de Ligue des champions de rang. Les Spurs sont, eux, en finale de C1 pour la première fois de leur histoire. Avec son portefeuille et les entraîneurs les plus hype du continent pour puiser dedans, l’Angleterre semble dès lors avoir plus que jamais les armes pour aller titiller la domination espagnole, sur la durée.

Y’a pas à dire, c’est quand même beau à voir le bonheur

Fuite des cerveaux

Exaltant pour les amoureux du football d’outre-Manche, mais peut-être un peu inquiétant pour les autres. Car, depuis le départ de Pep Guardiola pour Manchester City en 2016, l’Allemagne n’a plus de superstar internationale qui pose chaque semaine son royal fessier sur les bancs de Bundesliga. La Serie A, elle, est avant tout une terre de vieux messieurs, dont certains sont très versés dans l’organisation défensive, mais n’ont qu’une réflexion limitée sur l’approche offensive du jeu (Allegri, Mazzarri), quand d’autres semblent avoir du mal à renouveler leur méthodes (Ancelotti, Spalletti).

La Liga, elle, s’est reposée sur ses acquis lors de l’exercice 2018-2019. Alors qu’Ernesto Valverde a achevé de démontrer qu’il avait purgé le Barça de toute brillance collective, le Real s’est fourvoyé en donnant les clés de la Maison-Blanche à Julen Lopetegui et Santiago Solari, avant de rappeler Zinédine Zidane aux manettes. Rien de bien dramatique pour les deux géants ibériques, mais un signe que se tromper sur leurs choix de coachs peut être immédiatement sanctionné par une Premier League qui, elle, semble se fourvoyer de moins en moins. Un regain manifeste de matière grise, qui permettra peut-être aux clubs du Royaume de reprendre à l’Espagne la main sur le football continental, dont le leadership lui file entre les doigts depuis longtemps, maintenant.

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