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Dundalk, une île au milieu d’une île

Par Charles Thiallier, à Dundalk
Dundalk, une île au milieu d’une île

Ce jeudi soir, à 21h, Dundalk, seul club irlandais à jouer l’Europe, reçoit le Zénith Saint-Pétersbourg, pour ce qui constitue l’affiche de la journée dans le groupe D. Avec quatre points pris en deux matchs, les hommes de Stephen Kenny font mieux que de la figuration. Un véritable exploit pour ce club d’une ville de 29 000 habitants, dont la plupart des joueurs sont encore amateurs, et qui pourrait ne plus exister. Quatre ans en arrière, les Lilywhites jouaient un barrage pour éviter la relégation en seconde division. Pire, lâché par son sponsor principal, le Dundalk FC évite alors la mort grâce à une levée de fonds de ses fans, et l’arrivée inespérée de deux entrepreneurs locaux. Reportage entre deux pintes de Guinness, au milieu d’une ville qui ne vit que pour le football, comme pour mieux montrer sa différence avec le reste de l’île.

Dundalk, un samedi après-midi. Se balader dans cette petite ville de 25 000 âmes pourrait presque servir de voyage initiatique pour quiconque souhaitant voir ce qu’est la vie sur l’île verte ailleurs qu’à Dublin ou Belfast. À la gare, une exposition sur l’année 1916 rappelle que l’Irlande célèbre cette année le centenaire du début de sa guerre d’indépendance. Quelques mètres plus loin, l’avenue principale, Park Street, est ornée de pubs, remplis depuis la fin de la matinée par des habitués qui enchaînent les pintes et les parties de fléchette, en attendant le début des courses hippiques.

Suivre l’avenue principale conduit aux pieds de l’église Saint-Patrick, un imposant monument gothique du XVIIIe, mis en avant par tous les guides de la ville. Et c’est justement en parcourant la route qui mène de la gare à l’église Saint-Patrick que l’on peut noter ce qui fait la singularité de Dundalk. Ici, on ne voit pas de drapeaux bleu, jaune ou vert, représentant les différentes équipes de sport gaélique, comme dans toutes les villes irlandaises. Mais des drapeaux blanc et noir, aux couleurs du club de football : le Dundalk FC.

Accent et colonisation britannique

Si l’on est chanceux et que l’on visite la ville un jour de beau temps, on note le malin plaisir qu’ont

Notre accent est un mixte du Sud et du Nord. Du coup, on n’est jamais très bien vus quand on se balade en Irlande.

les habitants à s’afficher avec un T-shirt au message évocateur : « It’s a Dundalk thing » . Afin de savoir ce qui se cache derrière ce message, il faut se rendre à la boutique de souvenir de Mark Bailey. La cinquantaine, ce natif de Dundalk a mis ces T-shirts en vente il y a quelques mois, persuadé que sa ville est différente des autres cités irlandaises. « On est situés à 80km de Dublin et à 80km de Belfast. Notre accent est un mixte du Sud et du Nord. Du coup, on n’est jamais très bien vus quand on se balade en Irlande. »

Longtemps un point d’ancrage important de la colonisation britannique, la ville en a conservé des coutumes. « On a toujours vécu en regardant la BBC à la télé, quelque chose d’impossible à voir à l’ouest de l’Irlande par exemple, où l’on ne regarde que des chaînes irlandaises. Le football, sport britannique par excellence, a donc toujours eu beaucoup de succès, plus qu’ailleurs où l’on ne jure que par les sports gaéliques. » Le palmarès du Dundalk FC en est la preuve : onze titres de champion, ce qui en fait le club le plus titré de l’histoire du championnat d’Irlande, juste derrière les Shamrock Rovers.

Plus de lumière

Les Shamrock Rovers, il en est justement question en ce samedi après-midi à l’hôtel Impérial, point de rendez-vous des supporters des Lilywhites. La veille, Dundalk l’a en effet emporté 3-0 à Tallaght, sur la pelouse des Shamrock et s’est rapproché un peu plus d’un douzième sacre de champion d’Irlande. Dégustant sa pinte de Guiness devant Chelsea-Leinster (à ne pas confondre avec Chelsea-Leicester), Iam MC Govern, la soixantaine, supporter de Dundalk depuis ses plus jeunes années, savoure : « Des saisons comme ça, c’est magnifique pour un supporter. On n’est pas loin d’un nouveau titre, et on peut encore créer l’exploit en Europe. Ça rappelle des grandes années. » Iam McGovern est incollable sur le club, il raconte ces matchs contre le Celtic, Tottenham, Liverpool, qui ont fait la renommée de l’équipe à travers l’île ces cinquante dernières années.

Il évoque aussi, sans détour, ce qui constitue pour lui le point de départ de cette nouvelle aventure européenne :

En 2012, pour certains matchs, on était obligés d’éteindre la lumière du stade avant la fin de la rencontre pour sauver la facture d’électricité.

la saison cauchemardesque, vécue par le club en 2012. « L’un des moments les plus durs dans l’histoire du club, on n’avait plus d’argent. Pour certains matchs, on était obligés d’éteindre la lumière du stade avant la fin de la rencontre pour sauver la facture d’électricité. » L’affluence moyenne à l’Oriel Park, le stade de Dundalk, ne dépasse alors pas les 260 personnes. Pour comprendre un peu mieux la situation du club à l’époque, un entretien avec Jim Murphy est indispensable. Ce supporter octogénaire a écrit plusieurs livres sur son club, ce qui lui vaut le titre officieux d’ « historien du club » . « La crise frappait toujours l’Irlande, notre sponsor avait des dettes de plus de 200 000 euros, ne pouvait plus rembourser ses emprunts, il fallait faire des économies partout. Et forcément, quand vous n’avez pas d’argent, c’est très compliqué d’être dans le haut du tableau. » Sur le terrain, rien ne marche : avant-dernier du classement, Dundalk doit jouer un barrage contre Waterford pour éviter la relégation en seconde division. Les Lilywhites en sortent vainqueurs, mais il faut désormais trouver des fonds.

Sauvetage Express

Stephen McMullan, propriétaire du coffee shop « Coffee time » et supporter inconditionnel du club, se souvient particulièrement bien de cette période.

Les supporters ont lancé une opération de sauvetage. Le SOC (Save our club). Ils sont allés chercher de l’argent partout, dans les supermarchés, dans la rue, sur tous les événements de la ville. Dix euros par-ci, vingt euros par-là.

« Les supporters ont lancé une opération de sauvetage. Le SOC (Save our club). Ils sont allés chercher de l’argent partout, dans les supermarchés, dans la rue, sur tous les événements de la ville. Dix euros par-ci, vingt euros par-là, sans savoir si ça allait réellement pouvoir nous sortir de la crise. » À quinze jours de la faillite, deux entrepreneurs locaux décident finalement d’agir. Paul Brown et Andrew Connolly s’engagent à payer les dettes et à tenter de relancer le club. Les deux hommes ne s’expriment que très rarement dans les médias. Dans une de ses rares interviews, Paul Brown avait expliqué au site The Irish news, au mois d’août 2016, ce qui l’avait poussé à investir. « Quand on a repris le club en 2012, tout le monde nous disait qu’on était fous. Mais Andrew est un ex-joueur du club, il a joué en junior pour Dundalk, et de mon côté, j’étais arbitre amateur, et bien qu’originaire de Belfast, je suis ici depuis trente-cinq ans. On est donc très attachés au club. Le problème est que si on ne faisait rien, c’était fini. »

Pour Jim Murphy, l’action mise en place par les supporters a été l’un des facteurs qui ont permis l’arrivée de nouveaux investisseurs.

On est allés à Donegal chez Stephen Kenny pour négocier. À cette époque, on ne pouvait rien offrir. Notre terrain était dans un état terrible, notre stade s’écroulait.

« Ça a été très important, car cela a montré que le club était toujours soutenu et que les gens ne voulaient pas le voir mourir. » Après avoir mis la main à la poche, les deux entrepreneurs prendront une autre décision ô combien importante : faire signer Stephen Kenny, ancien champion d’Irlande avec les Bohemians, et qui venait juste d’être remercié par les Shamrocks. « On est allés à Donegal chez lui pour négocier. À cette époque, on ne pouvait rien offrir. Notre terrain était dans un état terrible, notre stade s’écroulait » , explique Paul Brown dans cette même interview.

De l’opération maintien à l’Europe

Pour Jim Murphy, si Paul Brown et Andrew Conoly sont les artisans financiers du redressement du club, Stephen Kenny est l’homme qui a remis le club sur les bons rails, sportivement parlant. « Depuis qu’il est là, on progresse chaque saison. Sa première année, on termine deuxièmes ; sa seconde, on est champions ; l’an dernier, on a été champions ; cette saison, on est bien partis pour l’emporter encore, et on a ce parcours en Europe. Il a fait signer des joueurs qui savent parfaitement jouer ensemble et a mis en place une philosophie qu’il ne trahit jamais : peu importe contre qui on joue, on presse haut et on attaque. »

Stephen Kenny est le meilleur entraîneur pour qui j’ai joué. Il arrive à obtenir le maximum de ses joueurs et croit en eux. Faire ce qu’il a fait en partant d’une page blanche il y a quatre ans, c’est incroyable.

Le capitaine de l’équipe, Stephen O’Donnell, loue régulièrement les qualités de son coach, comme il l’avait fait lors d’une interview pour le Guardian au mois d’août dernier après l’exploit, face au BATE Borisov. « Stephen est le meilleur entraîneur pour qui j’ai joué. Il arrive à obtenir le maximum de ses joueurs et croit en eux. Faire ce qu’il a fait en partant d’une page blanche il y a quatre ans, c’est incroyable. » Une tactique qui a failli amener Dundalk en phase de poules de la prestigieuse coupe aux grandes oreilles. Mais une défaite 3-1 (sur l’ensemble des deux matchs) face au Legia Varsovie a mis fin aux rêves de la petite ville de l’Est irlandais. Le club dispute aujourd’hui la Ligue Europa. Une première pour un club irlandais depuis 2001.

Cette aventure européenne, les Lilywhites la croquent à pleines dents, malgré un calendrier local qui est loin de les avantager, pour des joueurs qui ne sont pour la plupart que footballeurs à mi-temps. David Mc Millan, l’attaquant vedette de l’équipe, travaille par exemple comme architecte à Dublin. Le match face au Zénith, ce jeudi soir, arrive de plus au milieu d’une série de huit matchs en vingt jours pour les hommes de Stephen Kenny. « On s’entraîne tous les jours. On suit le même mode de vie que les professionnels, même si on ne l’est pas tous. On est obligés de faire très attention à notre récupération, à ce que l’on fait dans notre vie de tous les jours. Mais honnêtement, ce n’est que du bonheur » , nous confiait Dane Massey, le défenseur irlandais, au club depuis 2013, dans les couloirs du Tallaght Stadium, le stade des Shamrock Rovers. Un stade qu’il retrouvera ce soir pour la rencontre face au Zénith. L’Oriel Park n’étant pas aux normes pour des rencontres de niveau européen, c’est à Tallaght que Dundalk joue ses matchs de Ligue Europa. Il y aura cette fois encore plus de 260 spectateurs, les 6 000 places assises du stade ayant déjà trouvé preneur. Mieux, le club ne sera pas obligé de couper les lumières avant la fin de la rencontre. Le lendemain, tous les journaux irlandais évoqueront le match en première page. Dundalk est aujourd’hui devenu un peu plus qu’une île au milieu d’une île.

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