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Du Mondial à l’Euro, les listes de Deschamps au crible

Par Alexandre Aflalo
Du Mondial à l’Euro, les listes de Deschamps au crible

Souvent taxé d’absence de fantaisie voire de conservatisme, Didier Deschamps a bâti rassemblement après rassemblement depuis mai 2018 le groupe qui devrait participer cet été à l’Euro. Un groupe qui a un peu évolué, mais qui n’a pas laissé énormément de place aux nouvelles têtes. On a passé les 13 dernières listes au peigne fin pour tenter d'y voir plus clair.

Il l’a répété à maintes et maintes reprises, encore une fois le 10 mai dernier lorsqu’on lui a de nouveau demandé si Karim Benzema pouvait faire un retour surprise en équipe de France : Didier Deschamps n’est « pas le Père Noël », et il n’est « pas là pour vous annoncer des surprises ». Forcément, alors que la liste pour l’Euro 2020 doit être annoncée ce mardi soir, à 20 heures tapantes, supporters comme observateurs l’attendent avec un sentiment mêlé d’excitation et de lassitude, entre l’envie de quand même voir un nom inattendu sortir du chapeau de la Dèche et la certitude quasi absolue que cela n’arrivera pas. Depuis trois ans, et le groupe qu’il a emmené en mai 2018 pour trois amicaux et sept matchs de Coupe du monde, le sélectionneur des Bleus a méticuleusement bâti un groupe dans la continuité du sacre en Russie en se risquant à très peu d’expérimentations. On ne change pas une équipe qui gagne, comme on dit.

50 joueurs utilisés depuis le Mondial

Un premier constat qui peut paraître assez contre-intuitif : en comptant les 23 joueurs présents en Russie, Didier Deschamps a appelé en équipe de France 50 joueurs tout pile depuis mai 2018. Un vivier relativement élargi, à première vue, que le sélectionneur a étrenné sur 38 matchs éclatés en 13 rassemblements sur les trois dernières années. Avec une certaine réussite, pour les amis de la statistique : les Bleus ont remporté 28 de ces 38 matchs, et n’ont subi que trois défaites (contre les Pays-Bas, la Turquie et la Finlande)

Dans le détail, on se rend compte que si Deschamps s’est appuyé sur un réservoir élargi, il s’appuie en réalité sur un noyau dur clairement identifiable. Sans que cela soit forcément déterminant, on peut par exemple noter que 26 des 52 joueurs ont été appelés au moins 7 fois sur les 13 derniers rassemblements. Parmi ceux-là, une douzaine ont été appelés plus de 10 fois : Griezmann, Giroud, Varane – qui ont été des 13 listes – Kanté, Lloris, Mbappé, Pavard, Digne, Kimpembe, Areola, Mandanda et Pogba. À l’inverse, on compte 16 joueurs sur les 50 utilisés qui n’ont été appelés que trois fois, ou moins, avec Aguilar, Kurzawa, Lacazette, Payet ou Thuram qui n’ont été appelés qu’une fois, et attendent depuis désespérément ne serait-ce qu’un petit texto.

Le nombre de convocations depuis le Mondial permet d’avoir un aperçu global du groupe France et de son évolution, mais certains chiffres peuvent être trompeurs. Par exemple, Adrien Rabiot et Benjamin Mendy comptent le même nombre de convocations (4), mais celles du milieu de la Juve étaient lors des quatre dernières listes, alors que le gourou de la #SharkTeam n’a plus été appelé depuis novembre 2019. Idem, Matuidi (9 convocations) et Areola (10) font partie des joueurs les plus convoqués sur la période, mais ils ont été rares lors des dernières listes : 1 seule présence pour le gardien de Fulham sur les quatre derniers rassemblements, et aucune convocation depuis novembre 2019 pour le milieu de Miami.

Une statistique donne une bien meilleure idée du « noyau dur » actuel des Bleus. Sur la dernière liste de mars 2021, 16 joueurs ont fait partie de tous les rassemblements depuis 2020 : Varane, Giroud, Griezmann, Digne, Dubois, Lenglet, Ben Yedder, Mandanda, Kimpembe, Kanté, Mbappé, Maignan, Lloris, Hernandez, Rabiot et Martial. Et parmi les autres, on compte Pogba et Pavard, qui sont des cadres évidents du groupe, mais aussi Zouma, Coman, Sissoko, Ndombele, Areola ou Lemar, qui ont été appelés dans la majorité des listes depuis la Coupe du monde et l’ont encore été en 2021.

Sans doute plus intéressant que ces nombres de convocations, on peut surtout noter, pour souligner la constance entre les listes de Deschamps, ce qu’on appellera un « taux de rappel » , à savoir le pourcentage de joueurs rappelés d’une liste sur l’autre par le sélectionneur. En moyenne, il a été de 80,88% sur les 13 dernières listes, ce qui correspond pour une liste classique de 23 à 19 joueurs. Pour l’anecdote, le record est tenu par la liste de novembre 2020 – une liste de 26 joueurs dans laquelle figuraient 23 des 24 joueurs de la liste précédente, soit un taux de rappel de 95,8%. Bref : Deschamps mise, on le sait, sur la constance et apporte des modifications à son groupe par minuscules touches, souvent ces derniers temps lorsqu’il y a été forcé (en cas de forfaits, notamment). Le plus intéressant reste encore de voir comment il choisit ces petits changements.

Sale période pour les petits nouveaux

La particularité du groupe France ces trois dernières années est sans doute qu’il n’a laissé qu’une très petite place à de toutes nouvelles additions. En tout, 14 joueurs ont connu leur première convocation en équipe de France depuis la Coupe du monde 2018, soit 28% des 50 joueurs utilisés en tout par Deschamps. Dans l’absolu, ce n’est pas mal. Mais dans le détail, leur apport au groupe a été famélique : un seul a joué plus de 10 matchs (Lenglet), trois autres en ont joué plus de cinq (Dubois, Ndombele, Ferland Mendy) et un autre a été appelé plus de cinq fois (Maignan). Pas de quoi renverser la hiérarchie ni même bouleverser le groupe. Surtout, on trouve neuf joueurs qui ont connu leur première pyjama party à Clairefontaine pour finalement n’être quasiment plus rappelés par la suite : Ikoné, Upamecano, Camavinga, Thuram, Aouar, Aguilar, Pléa, Guendouzi et Lecomte ont tous été appelés trois fois ou moins, avec un temps de jeu moyen de… 76 minutes en tout, à eux neuf.

Un contraste saisissant avec l’avant-Mondial : dans l’année qui a précédé le départ en Russie, Didier Deschamps avait intégré au groupe France sept nouveaux qui allaient être champions du monde. Thauvin, Mbappé, Tolisso et Benjamin Mendy ont tous connu leur première sélection en mars 2017, Pavard et Nzonzi en novembre et Lucas Hernandez en mars 2018. Cette dynamique ne s’est pas du tout reproduite avant l’Euro, et ce ne sont pourtant pas les candidats qui manquent : Jules Koundé, Theo Hernandez, Jordan Veretout, Boubacar Kamara, Benjamin André, Wesley Fofana, Aurélien Tchouaméni, Nordi Mukiele, Maxence Caqueret, Amine Gouiri pour en citer pêle-mêle… On peut se rassurer en se disant qu’on verra sans doute la plupart aux Jeux olympiques.

Les réservistes du Mondial à la rescousse

L’absence d’intégration des nouveaux venus (à l’exception de quelques-uns) confirme que si Deschamps a renouvelé le groupe France, il l’a fait autrement. Plus précisément : en s’appuyant sur une partie des suppléants de la Coupe du monde, à qui il aura préféré des novices. On le sait : le sélectionneur s’appuie pour construire son groupe sur une structure claire entre des titulaires et des joueurs secondaires, rôle pour lequel il a préféré des joueurs d’expérience, matures, plutôt que des jeunes.

On peut ainsi voir que depuis le Mondial, sept joueurs au moins se sont durablement installés en équipe de France et que, parmi eux, quatre faisaient partie de la liste des suppléants du Mondial : Zouma, Coman, Digne, Ben Yedder. Les trois autres, Lenglet, Dubois et Maignan, sont les néo-Bleus qui se sont le mieux intégrés : depuis leur première convocation, qu’ils ont connue ensemble le 29 mai 2019, seul Maignan a manqué un rassemblement, tandis que le Lyonnais et le Barcelonais ont fait partie des huit dernières listes.

Sept joueurs dont l’intégration en équipe de France a coïncidé avec la « sortie » de sept champions du monde, qui ont connu des fortunes diverses. Lenglet aura remplacé Umtiti poste pour poste, Digne pris la place de Benjamin Mendy, Coman celle de Thauvin (qui avait fait partie de toutes les listes sans exceptions entre sa première convocation, en mars 2017, et sa dernière en date, en mai 2019), Maignan celle d’Areola (qui peut encore espérer être à l’Euro avec l’élargissement de la liste à 26 noms et la possibilité que Deschamps prenne quatre gardiens), Dubois celle de Sidibé, Zouma celle de Rami et Ben Yedder (même si ce n’est pas vraiment du poste pour poste) celle de Matuidi. En embuscade, Adrien Rabiot et Anthony Martial, qui étaient également suppléants à la Coupe du monde, ont fait partie des quatre dernières listes de Didier Deschamps.


Alors, bien évidemment, les chiffres ne sont qu’une grille de lecture, et il faut aussi pouvoir se mettre à la place d’un sélectionneur qui est à la tête d’une équipe championne du monde et qui, logiquement, va vouloir tirer le meilleur autant que possible de ce groupe qu’il a soudé en Russie. On ne peut pas le lui enlever : Didier Deschamps a su gérer intelligemment la dynamique de son groupe en en gardant la large colonne vertébrale, et en remplaçant les quelques joueurs en perte de vitesse par d’autres qui étaient déjà dans la salle d’attente, et qui ont donc juste gravi l’échelon supérieur. Résultat : un groupe forcément solide, qui se connaît très bien et qui sait jouer ensemble, mais auquel on n’a pas ajouté beaucoup de sang frais. Et, surtout, une liste dont on pourrait quasiment prédire chaque membre à l’avance. Pour les frissons de la nouveauté, on repassera. Même si tout ça sera évidemment bien vite oublié en cas de doublé le 11 juillet.

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