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Dis-moi Jamy, contre qui jouait la première équipe de foot ?

Par Eric Carpentier
Dis-moi Jamy, contre qui jouait la première équipe de foot ?

Le 26 décembre 1860 se jouait le premier derby de l'histoire entre Sheffield et Hallam. Ce qui pose une question pour chaque « premier club » de ce monde : mais contre qui pouvait-il bien jouer avant la naissance du suivant ? L'œuf et la poule, version ballon.

L’histoire ne dit pas si la dinde leur pesait encore sur l’estomac. Nous sommes en 1860 et ce mercredi 26 décembre, le Sheffield FC se déplace de quelques centaines de mètres pour aller rencontrer les voisins du Hallam FC, pour ce qui reste dans les annales comme le premier match inter-clubs de l’histoire. D’un côté, « the world’s first football club » , comprendre la première équipe non universitaire au monde, fondé en 1857 ; de l’autre, le second, créé trois ans plus tard, dont le petit Sandygate Road toujours debout est considéré comme le plus vieux stade de foot en activité malgré un terrain loin d’être parfaitement plat. Le score final de ce match joué à 16 contre 16 ? 2-0 pour le doyen. Un résultat bien plus anecdotique que cette question essentielle : mais contre qui a bien pu jouer Sheffield entre 1857 et 1860 ? Et si l’on élargit le spectre : qui étaient les adversaires des clubs pionniers dans leurs régions ? Éléments de réponse.

Jouer pour s’affirmer

À l’heure de célébrer l’anniversaire du Sheffield FC, Richard Tims, son actuel patron, expliquait que « pendant trois ans, nous avons joué contre nous-mêmes : mariés contre célibataires, premières lettres de l’alphabet contre dernières… » Une réponse qui entraîne alors une autre question : à quoi sert de créer un club, si c’est pour jouer contre soi-même ? Pour le professeur Pierre Lanfranchi, spécialiste de l’histoire du sport, c’est la marque d’un changement d’époque : « Dans les jeux pré-modernes, on ne choisissait pas son équipe. Mariés contre célibataires, gens du bourg contre ceux de la campagne, bouchers et charcutiers… L’appartenance n’était pas un choix, on n’avait pas besoin de maillot, puisqu’on se reconnaissait » . Puis vient la révolution industrielle et l’entrée dans une ère nouvelle. « L’apparition du jeu moderne, c’est vraiment l’Angleterre du XIXe siècle, là où la révolution industrielle est la plus prégnante, reprend l’historien. Les gens se déplacent, ne se connaissent pas forcément, il faut donc matérialiser leur appartenance. »

Une notion d’appartenance qui reste présente lorsque le football sort des frontières insulaires. Que les clubs pionniers soient créés par des Britanniques ou par des locaux ayant appris le football au travers de leurs voyages, l’idée reste la même : jouer entre initiés. « Voilà la logique : je suis le tenant de la révolution industrielle et du libre-échange, je vais leur montrer ce que je sais. On ne joue pas contre, mais pour s’affirmer en représentants de la modernité. C’est exactement ce qu’il se passe pour les sports californiens dans la Silicon Valley des années 1990, rafraîchit Pierre Lanfranchi. C’est la ségrégation des groupes qui connaissent un savoir que les autres n’ont pas. On ne rencontre que des gens qu’on considère comme ses égaux. » Ainsi l’Italie, où Gênes, premier club de la Botte, est réservé aux étrangers et ne joue que contre des visiteurs étrangers. Ou le FC Barcelone en Espagne qui, en réaction, entraînera la création d’un Espanyol ouvert aux locaux.

Le Havre – Southampton – Ajaccio

Et dans l’Hexagone ? Même histoire. Le professeur Lanfranchi prend ainsi pour exemple le Sporting Club nîmois, fondé en 1901 par Henry Monnier : « C’est un gars tout à fait typique, un fils de commerçants protestants de très bonne famille, parti faire ses études en Angleterre et en Suisse. En rentrant à Nîmes, il ramène 11 maillots et des règles de foot, et il va trouver des élèves des jeunesses protestantes pour les éduquer au football. » Il faudra attendre la naissance d’un club à Sète pour voir les premiers matchs et le football sortir de son cercle d’initiés. Du moins, dans la région. Parce que dans d’autres contrées, plus proches de l’Angleterre, le football a déjà fait son trou. Ainsi au Havre, patrie du doyen du football français.

Sur la Côte d’Albâtre, il faut se tourner vers Christophe Houel pour se plonger dans l’histoire du football local : « Peu d’archives sont disponibles sur les premières années du club, car le football était alors un sport confidentiel, quasiment exclusivement pratiqué par les expatriés anglais. De ce qu’on sait, lors des premiers mois, les confrontations étaient seulement internes, expose la mémoire havraise. Puis, en septembre 1872, profitant de l’escale de deux navires anglais, un match est organisé entre les Havrais et les équipages. En février 1873, on parle pour la première fois du Havre Football Club, l’ancêtre du HAC, dans la presse locale, quand les Havrais se rendent à Southampton pour y disputer un match contre un club anglais. » On y est : les clubs commencent à s’affronter entre alter ego voisins. Il faudra attendre le développement des transports pour voir des rencontres entre clubs plus lointains, puis, finalement, la création de championnats. Le football quitte définitivement ses habits de jeu confidentiel, parfois violent, pour entrer dans la catégorie des sports modernes. Sauf peut-être quand Le Havre doit aller jouer à Ajaccio en 2018.

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