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Didier Lamkel Zé : « Dès que je sors de Belgique, je n’ai plus de problèmes »
Présenté dans le Plat Pays comme Didier l'Embrouille, l'attaquant camerounais se retape du côté de Hatayspor, but à l'appui. Le club sinistré depuis le tremblement de terre en février dernier lui offre l'occasion de se reconcentrer sur le football et de rêver de CAN... Jusqu'à la prochaine bisbille ?
Cela faisait un peu plus d’un an qu’on ne t’avait plus revu marquer. Te sens-tu libéré après ce but de lundi face à Trabzonspor ?
Je suis très heureux. Me voilà dans une nouvelle équipe, dans un groupe qui vit bien, et puis ce but participe à une belle victoire dans un match qui était mal embarqué (Hatayspor était mené 0-2 à la 62e minute et s’est imposé 3-2, grâce à un dernier but de Fisayo Dele-Bashiru à la 90e+7, NDLR). C’est ça le plus important.
Il y a sept mois, la région de Hatay était dévastée par un terrible tremblement de terre. Dans quel état as-tu trouvé la ville en arrivant ?
Quand je me suis engagé, je pensais qu’on serait basé à Hatay, mais en fait, on est à Istanbul. Cette année, on ne devrait pas pouvoir jouer là-bas, tellement c’est dévasté. Nos matchs à domicile, on les dispute à Mersin, à trois heures de voiture de Hatay. Je n’y suis donc encore jamais allé pour le moment.
Le club est quatrième de Süper Lig. Finalement, pour Hatayspor comme pour toi, la reconstruction se passe plutôt bien.
Un nouveau projet a vu le jour cette saison. C’est Volkan Demirel, le coach, qui le mène. C’est une grande légende ici, l’équivalent de Zidane en Turquie. Il a réussi à recruter des joueurs calibrés pour cette mission (20 arrivées, seuls 2 transferts payants, NDLR). On ne se connaît pas encore tous à 100%, mais on donne déjà tout pour gagner. On est loin des effectifs de Besiktas, Galatasaray ou Trabzonspor, mais Volkan nous met en tête qu’on est capables de rivaliser avec eux. C’est quelqu’un de passionné, il vit le football avec nous.
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C’est ce discours qui t’a convaincu de le rejoindre ?
Déjà, il m’a contacté de lui-même sur Instagram. C’est important de savoir que le coach me veut, malgré tout ce qui se dit sur moi. Il m’a dit qu’il avait entendu tout ça, mais que lui s’en foutait. Il se concentre uniquement sur les qualités du joueur. C’est pour ça que je me sens à l’aise dans cette équipe. J’ai désormais tout entre les mains pour donner du plaisir à ce public qui a subi ce tremblement de terre.
Cette réputation qui te précède, à quel point c’est difficile de t’en débarrasser ?
Vous le savez très bien : le seul pays où j’ai eu des problèmes, c’est en Belgique. Dès que j’en sors, je n’ai plus de problèmes de discipline, mais on continue de me parler de ce qui s’est passé. Il y a peu, on a demandé à Kevin Mirallas, qui est devenu directeur sportif de je ne sais quelle équipe (l’Eendracht Alost, club de D4, NDLR), ce qu’il pensait de moi. Il a dit : « Même gratuitement, je ne le prends pas. » Déjà, qui a dit que je voulais venir dans son club ? C’est ça le problème : ils veulent toujours parler de moi, alors que moi je n’ai rien demandé. Pour moi, la Belgique, c’est de l’histoire ancienne. C’est pour ça que je voulais à tout prix quitter Courtrai.
Qu’est-ce qui s’est passé à Courtrai ?
Après mon passage à Metz (début 2022, prêté par le Royal Antwerp, NDLR), je suis allé à l’Omonia Nicosie pour discuter d’un transfert. Entre-temps, les dirigeants de Courtrai m’ont contacté pour me dire que je les intéressais. Sauf que l’Omonia a menacé de déposer une plainte à la FIFA si je ne signais pas chez eux. J’étais libre d’aller où je voulais, pourtant. J’ai donc dit à Courtrai que j’acceptais de venir s’ils me défendaient devant la FIFA. Chose que Matthias Leterme (directeur général du KVK), l’avocat du club et l’intermédiaire qui s’occupait de faire le deal, a accepté. Très bien : je commence à jouer mais deux ou trois semaines après, l’Omonia envoie une lettre qui demandait qu’on me revende, et on serait quitte. Matthias Leterme refuse, il me dit qu’il va gérer avec la FIFA et que je dois rester. Pas de problème. Un mois plus tard, la FIFA envoie une lettre, et Matthias Leterme me dit que c’est à moi de m’en charger. J’ai payé mes avocats, mais comme ils n’ont pas respecté leurs engagements, je suis parti. Dimanche dernier, j’ai appris que j’avais gagné mon procès face à l’Omonia. C’est une très bonne nouvelle.
C’est comme ça que tu t’es retrouvé en début d’année au Wydad Casablanca.
Oui, parce que je connaissais bien le coach qui était en place (Mehdi Nafti, NDLR). Les six premiers matchs, tout se passe bien, mais il se fait virer, et qui arrive ? Un ancien coach de Bruges.
C’est la Belgique qui te rattrape…
Lui (Juan Carlos Garrido, NDLR) n’était pas belge, c’est un Espagnol. Moi, je ne le connaissais pas, lui non plus, mais il est arrivé avec ses idées en tête, dont celle qui voudrait que Didier Lamkel Zé est indiscipliné. Je ne jouais plus, il y avait des retards de salaires, donc je suis allé voir le président et on a cassé le contrat.
Tu gères ta carrière tout seul, sans agent ?
Les agents, j’en ai connu. Tous ne sont pas pareils, mais ils sont souvent plus concernés par leur propre intérêt que par celui des joueurs. Je préfère rester seul, m’occuper de ça avec ma famille. Je compte surtout sur le soutien de mes proches et de ma copine Darling qui est vraiment là pour moi. Si un agent me propose un bon projet pour moi, qu’il vienne, on pose tout sur la table et on verra ce que ça donne.
Tu as changé de ville et de pays six fois en deux ans. Ça ne devient pas trop pesant ces mouvements incessants et de devoir vivre à l’hôtel en permanence ?
Ça fait partie des sacrifices à faire dans notre métier. Ici, je ne suis pas à l’hôtel. La fédération turque a mis à disposition du club un centre d’entraînement à Istanbul et on loge sur place. Ça c’est pratique, mais en décembre, on devrait changer de ville. Ok, c’est difficile de ne pas pouvoir se poser quelque part, mais le coach nous dit que quand on sera de retour à Hatay, ça va nous faciliter la vie. Il faut se montrer patient et ne pas se plaindre, parce que la situation est forcément particulière.
Tu te souviens de ton premier appartement ?
Déjà quand je suis arrivé au LOSC (en 2014), j’étais hébergé au centre de formation. C’est quand j’ai signé aux Chamois niortais (en 2018) que j’ai eu mon premier appartement. C’était un petit deux-pièces, pas loin du stade.
Est-ce que tu as des meubles ou des affaires que tu as gardés de déménagement en déménagement ?
Moi, je ne fais pas de déménagement. Je prends toujours un appartement meublé, c’est plus facile pour moi. Si la télé est trop petite, j’en achète une autre plus grande et, au moment de repartir, je la donne à un jeune de la réserve.
Donc tes affaires personnelles, elles tiennent dans une grosse valise ?
J’ai trois sacs. Et c’est tout.
Tu as fait un passage remarqué en Ligue 1 à la fin de la saison 2021-2022, avec trois buts importants dans la course au maintien, même si le FC Metz n’a pas pu se maintenir. Tu n’as pas eu l’opportunité de revenir en France ?
J’ai eu des touches avec Metz et deux clubs de Ligue 2. Dans ma tête, je voulais éviter la Ligue 2 parce que j’espère participer à la CAN avec le Cameroun cet hiver. Le match de la montée (contre Bastia), j’étais au stade Saint-Symphorien et j’ai pu discuter avec Laszlo Bölöni. Je le connais bien depuis Antwerp. C’est un super formateur, un des meilleurs coachs que j’ai eus. Quand on lui disait des choses sur moi, dans mon dos, lui n’écoutait pas et il se rapprochait même de moi. Il m’a beaucoup soutenu. À l’époque, il avait essayé de m’emmener avec lui au Panathinaïkos. Lui était ok pour que je vienne à Metz, il a poussé dans ce sens, mais ça a bloqué au niveau administratif. Courtrai n’a pas voulu me faire mon visa à mon retour du Maroc, donc j’ai dû rentrer au Cameroun, prendre le temps d’être en règle. Et puis Metz est passé à autre chose.
C’est dommage, surtout qu’ils font un retour en Ligue 1 plutôt intéressant, sans avoir de n°9 complètement installé…
Accrocher Marseille à 10 contre 11, gagner à Lens, ce n’est pas rien. C’est un bon début de saison malgré la défaite contre Strasbourg. J’espère qu’ils vont très vite se maintenir parce que je respecte ce club et je respecte ce coach.
Metz promu l’an dernier, Antwerp champion de Belgique : tes anciens clubs ont plutôt brillé. Est-ce que tu arrives à te dire que tu as participé à ça, même indirectement ?
Bien sûr. Il s’est passé des trucs à Antwerp, mais je n’ai rien contre eux. C’est désormais de l’histoire ancienne. Je me dis que j’ai contribué à la reconstruction. Quand je suis arrivé, on disait que ça ne jouait pas au foot, que c’était que sur la gnaque et tout. Dieumerci Mbokani et moi, on a réussi à stabiliser le club. Ensuite, les dirigeants ont su recruter les bons joueurs pour arriver à décrocher le titre. C’est mérité, bravo à eux.
Le but de tout ça, c’est essayer d’avoir un peu plus de reconnaissance pour retrouver la sélection camerounaise ?
Rigobert Song connaît mes qualités. Il sait qui je suis (il compte une cape en 2019, NDLR). Quand j’étais à Metz, il m’appelait tous les jours. Il me disait : « Tu sais Didier, moi je connais bien ce club, j’y ai joué, on ne me dit que du bien de toi, sur le terrain et en dehors. » Il m’a dit qu’il m’amènerait au Mondial, mais bon je comprends aussi qu’il y a des joueurs incontournables comme Vincent Aboubakar ou Éric-Maxim Choupo-Moting. J’attends juste qu’il me donne ma chance, mais pour ça, je dois taffer sur le terrain, marquer des buts, être décisif.
Qu’est-ce qui t’anime au plus profond de toi ?
Je joue au football parce que j’aime le football depuis tout petit. Comme tout le monde, j’essaye de mettre ma famille le plus rapidement possible à l’abri, être tranquille à la fin de ma carrière. Surtout, j’espère rendre fier les miens, le peuple camerounais, et pourquoi pas être un grand dans le football. Je n’ai que 27 ans, j’ai encore le temps.
L’Arabie saoudite ne s’est jamais présentée à toi ?
J’aurais pu y aller avant de signer à Courtrai. Le club d’Abha m’avait proposé quelque chose de magnifique, financièrement c’était très intéressant, mais vu qu’il y avait le Mondial, j’ai choisi de rester en Europe pour avoir plus de visibilité médiatique. Aujourd’hui, ça a bien changé, puisque l’Arabie saoudite est bien plus considérée. Je comprends les joueurs qui vont là-bas.
La Turquie reste un super pays de foot pour un joueur professionnel. Qu’est-ce qui te plaît le plus là-bas ?
Toutes les villes dans lesquelles on a joué, je les ai trouvées magnifiques. Il y a l’eau, la mer, il fait chaud, on mange très bien, la vie n’est pas chère… Et puis les Turcs savent supporter.
Ça te donne envie de rester plus de six mois ?
Bien sûr ! Le coach sait que j’aurais pu aller à Dubaï cet été. Mais il m’a dit : « Ce club à Dubaï, c’est un petit club. Fais une ou deux saisons avec moi et tu pourras rejoindre un grand club turc ou un club plus important ailleurs. » L’Arabie saoudite ou Dubaï peuvent attendre.
Propos recueillis par Mathieu Rollinger