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Des « incidents » auxerrois si prévisibles

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Des «<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>incidents<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>» auxerrois si prévisibles

Avec quelques kiwis, rouleaux de PQ et balles de tennis, agrémentés d’un fumigène imprévu, les ultras d’Auxerre sont devenus le nouvel ennemi public n°1 du football français. Retour sur des faits trop souvent commentés à l’emporte-pièce.

22 heures passées à Auxerre. Il pleut toujours autant à l’Abbé-Deschamps. La seconde mi-temps de la « finale » de la Ligue 1, entre Auxerre et Montpellier, vient de reprendre. C’est le moment choisi par les ultras auxerrois pour lancer leur propre spectacle. Banderoles égrillardes : « Vous êtes la honte de ces 32 dernières années » , « Tas de cons !!! » , « Loulou, à quand un contrat à Auxerre, on a un gros tas de merde » . Manière de rappeler à certains joueurs, surpris par les ultras en train de se marrer à l’entraînement après la descente en Ligue 2, et aux dirigeants, dont la gestion du club s’est avérée rocambolesque ces derniers mois, que la pilule ne passe pas. Puis les ultras balancent des rouleaux de PQ, des balles de tennis, des kiwis et des tomates, façon Argentine 78, les fruits en plus, la quantité en moins. Les joueurs auxerrois et montpelliérains mettent alors la main à la pâte et commencent à enlever les objets du terrain quand l’arbitre, M. Ennjimi, décide de faire rentrer tout ce petit monde au vestiaire. L’interruption dure 19 minutes. Pour quelques PQ et kiwis, ça fait beaucoup…

Des événements pourtant annoncés

Reprise du match, les ultras bourguignons déploient un blason de l’AJA accompagné d’un voile « RIP » , « Repose en Paix » en anglais abrévié. Message transparent, accompagné d’une quinzaine de fumigènes. Quand l’un d’eux termine sa course aux pieds de Geoffrey Jourdren, le portier héraultais, M. Ennjimi décide d’interrompre une seconde fois la partie pour des raisons un peu plus compréhensibles cette fois-ci, un fumigène s’avérant plus dangereux qu’une tomate… 22 minutes d’attente sur ce coup, pas tant pour enlever le fumigène que pour organiser une réunion de crise dans les entrailles du stade et décider de la suite des événements. Finalement, après l’évacuation du kop dans le calme, Auxerre et Montpellier trustent le multiplex et le suspense jusqu’à plus de 23h30. Au vu des audiences, ce n’est pas une si mauvaise affaire pour Canal +.

La LFP, Gérard Bourgoin, la plupart des médias et consorts ont beau s’offusquer, il n’y a rien de très inattendu dans ces événements. Dimanche, dans l’Équipe, Jonathan Ernie, président des Ultras Auxerre, annonçait l’action des supporters : « On peut dire qu’il n’y aura pas de violence au stade. On va faire la grève un quart d’heure avant d’entrer dans le kop. Il y aura quelques banderoles, des chants de contestation et puis deux ou trois belles surprises. Je ne peux pas en dire plus. Il y en a assez d’entendre dire que nous sommes des Bisounours » . Maintenant c’est sûr, les dirigeants du club et les pouvoirs publics ne prennent plus les Ultras Auxerre pour des Bisounours. Ils les considèrent comme des brebis galeuses.

Pourtant, le programme annoncé a été presque respecté à la lettre : banderoles et chants contestataires, PQ et fruits en première surprise, voile et fumigènes en seconde surprise, le tout sans violence physique. Selon le président des Ultras Auxerre, certains journalistes auraient même été prévenus quelques instants auparavant des actions qui allaient se dérouler. Le seul bémol de ce concerto, c’est le fumigène envoyé sur la pelouse. Jonathan Ernie en convient : « La première interruption était voulue même si on n’aurait pas cru qu’elle durerait aussi longtemps. Pas la seconde. Aucun fumigène ne devait atterrir sur la pelouse. Ça a été l’action d’un mec isolé » .

« On a l’impression d’avoir tué quelqu’un… »

Pour de nombreux journalistes, cette action « irresponsable » est un nouveau témoignage de l’incapacité de certains « pseudo-supporters » , « insupportables » et « idiots » à accepter la défaite. Le point de vue du président des Ultras Auxerre est quelque peu différent : « On a fait des banderoles, des actions depuis janvier, personne n’a discuté avec nous, personne ne nous a écoutés. Et la semaine dernière, malgré son bilan négatif, Gérard Bourgoin a été reconduit à l’unanimité à la tête de l’AJA. Alors, on avait décidé de frapper un grand coup en profitant de l’exposition médiatique pour protester contre la direction de notre club et le comportement de certains joueurs. » En somme, l’Abbé-Deschamps a été le théâtre d’une manifestation mûrie par un groupe s’interrogeant sur le mode d’action le plus adapté, plus qu’une zone de débordements absurdes de fans n’acceptant pas la relégation.

Cependant, les Ultras Auxerre n’avaient pas vraiment anticipé les réactions à leur manifestation. Jonathan Ernie confie : « On ne pensait pas que ça prendrait une telle ampleur. On est convoqué à la police jeudi, on a subi une perquisition au local du groupe, on a l’impression d’avoir tué quelqu’un alors qu’on a juste jeté des balles de tennis et du PQ… » Cette surprise témoigne d’une certaine naïveté. L’emballement médiatique et politique était, lui aussi, prévisible. Il suffit de se souvenir des délires interprétatifs suscités par la banderole anti-Ch’tis réalisée en 2008 par des ultras parisiens. C’est que, depuis le traumatisme du Heysel, tout incident dans les stades est considéré comme particulièrement grave. Ce qui conduit à amalgamer, dans les chiffres du « hooliganisme » présentés par les autorités et les médias, les violences physiques, les injures racistes, l’allumage de fumigènes, la consommation excessive d’alcool, les banderoles offensives, l’usage de cannabis et le lancer de kiwi.

Une tolérance à géométrie variable

Le premier enseignement des événements auxerrois est donc de rappeler que tous les débordements dans les stades ne se valent pas. L’action prévue par les ultras auxerrois était bien plus symbolique que violente, même s’il est difficile pour ces groupes de maîtriser totalement leurs troupes, comme en témoigne le jet d’un fumigène – ce qui n’a, au demeurant, rien à voir avec l’action beaucoup plus radicale des supporters parisiens à Lorient, ce même dimanche. Le deuxième enseignement est que le monde du football n’est pas franchement clair sur ce qu’il tolère ou non. Toujours dans l’Équipe de dimanche dernier, au cœur d’un dossier présentant de manière sympathique « Loulou » Nicollin, Bernard Socorro, président du club central des supporters, narre quelques anecdotes pittoresques : « Un jour, à Pont-de-Chéruy, lors d’un match de 3e Division, [Louis Nicollin] m’a dit : « Si tu vois qu’à la mi-temps on est menés, tu fais arrêter le match » . On était une petite cinquantaine et on a attendu une action un peu confuse pour envahir le terrain. La rencontre a été rejouée et on a gagné. C’était ça, la Paillade ! » Alors, un envahissement de terrain et un jet de kiwi sur la pelouse, est-ce que c’est du folklore amusant ou des déviances inacceptables ? Cohérent avec lui-même, Loulou a beaucoup souffert pendant les interruptions du match de dimanche, sans pour autant crier haro sur le baudet auxerrois, semblant même comprendre la détresse des supporters, tout en en regrettant les formes.

Le troisième enseignement porte sur le statut du stade dans notre société. Le spectacle est-il seulement sur le terrain ou a-t-il lieu aussi dans les tribunes ? Est-ce que les supporters font partie de l’événement ou ne sont-ils qu’une toile de fond ? À leur manière, les ultras auxerrois ont souhaité participer au match et faire entendre leur propre voix. Et le stade est-il un espace de défoulement relatif, où l’on peut se permettre, dans certaines limites, quelques débordements, par exemple fruitiers ? Ou un lieu exemplaire, étroitement contrôlé où toute expression non prévue est bannie ? Le cas parisien est emblématique. Pendant des années, une tribune exclusivement blanche et des violences récurrentes ont semblé faire partie du paysage. Après la mort de Yann Lorence, le Parc s’est transformé. Les supporters les plus radicaux en ont été chassés. Mais, avec eux, ont aussi disparu une partie des habitués des virages, désireux de continuer à aller au stade en groupe (ce que ne permettait plus le plan Leproux adopté à l’été 2010), ainsi qu’une bonne partie de l’ambiance. À en croire de nombreux commentateurs, il n’y aurait que deux possibilités. Ferveur et violence comme avant. Ou contrôle strict et ambiance apaisée, mais fade, comme aujourd’hui. N’y aurait-il pas moyen de trouver une situation intermédiaire, permettant de mieux concilier impératifs de sécurité et atmosphère populaire et festive ?

Les responsabilités du football

Le quatrième enseignement de la soirée de dimanche est que le monde du football n’est pas seulement victime de ces incidents, il en est aussi en partie responsable. Jean-Pierre Louvel, président de l’UCPF (le syndicat des clubs), l’admet à demi-mot dans L’Équipe de mardi. Tout en dénonçant fermement le comportement des supporters auxerrois ( « Cela salit l’image du football » ), il approfondit l’analyse. D’une part, en soulignant que « les supporters ne sont pas les seuls responsables de cette dégradation » de l’image du football et en appelant à une charte de bonne conduite signée par tous les acteurs de ce sport. D’autre part, en affirmant que si les supporters « ont des choses à reprocher à leurs joueurs et à leurs dirigeants, ils peuvent le faire pendant toute la semaine » . En tout cas, c’est comme ça que ça se passe à peu près au Havre, dont Jean-Pierre Louvel est président. Mais ce dialogue ne fonctionne pas partout.

Si les ultras auxerrois en sont venus à interrompre le match de dimanche, c’est précisément parce qu’ils ont eu le sentiment de ne pas pouvoir s’exprimer autrement. De même, l’action de certains supporters parisiens contestataires à Lorient est liée à une absence de dialogue avec le club et les autorités. À force de ne pas être écoutée, l’association aujourd’hui auto-dissoute Liberté pour les abonnés, à l’origine plutôt paisible, en marge des groupes ultras et revendiquant simplement le droit de s’abonner en groupe au Parc, a été en quelque sorte poussée à s’associer à des supporters plus extrémistes. Alors, oui, il faut dénoncer et sanctionner les jets d’engins pyrotechniques survenus dimanche à Lorient et Auxerre. Mais il faudrait aussi savoir distinguer les « incidents » selon leur gravité. Et, au lieu de se contenter de stigmatiser les supporters, il faudrait s’interroger sur les responsabilités partagées de ces événements.

Par Anthony Cerveaux (journaliste, à Auxerre) et Nicolas Hourcade (sociologue)

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