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Des IAS aux interdictions de manifester ?

Par Nicolas Kssis-Martov et Laura Kotelnikoff
Des IAS aux interdictions de manifester ?

Depuis plusieurs mois les manifestations contre la loi travail se multiplient. À Paris, Nantes, Toulouse, Rennes, Marseille et dans beaucoup d’autres villes, les manifestants battent le pavé et parfois le jettent. En ce mardi 14 juin, le secrétaire générale de la CGT Philippe Martinez a même promis que ce serait « énorme » ! En réponse à cela, le gouvernement a (encore) dégainé sa nouvelle arme : les « interdictions de manifester », une pratique proche des « interdits de stade », ou IAS, propre au milieu des supporters de football. Retour sur une filiation non-avouée.

Le 30 avril dernier, le gouvernement décidait de faire passer en force le projet de « loi travail » de Myriam El Khomri grâce à l’article 49,3 de la Constitution. Une initiative qui n’a évidemment pas du tout calmé les ardeurs de ses principaux opposants, dans la rue depuis le 9 mars, et qui a conduit à l’organisation de nombreuses manifestations, parfois suivies d’affrontements entre des militants anticapitalistes de diverses obédiences et les forces de l’ordre… Des affrontements qui ont régulièrement monopolisé la une des médias et face auxquels le ministère de l’Intérieur a décidé de sortir une arme inédite : les interdictions administratives de manifester. Plus de 200 auraient été distribuées dans toute la France depuis la journée de mobilisation nationale du 12 mai dernier par différentes préfectures et une nouvelle vague a été lancée et pas moins de 130 pour la manifestation unitaire de ce mardi 14 juin.

Si l’annonce de ces interdictions administratives de manifester a pu surprendre jusque dans les rangs politiques et syndicaux, elle possède un étrange arrière goût pour les supporters français, qui les subissent depuis plus de dix ans. Sur les réseaux sociaux d’ailleurs, beaucoup d’ultras se sont amusés à rappeler leur antériorité en la matière et l’indifférence que leur sort avait en général suscité. Il s’avère en tout cas frappant de constater que finalement, les deux logiques fondent leurs usages sur le même détournement d’intention annoncée. En effet, l’interdiction administrative de stade a été introduite dans le droit français avec la loi du 23 janvier 2006 relative à la lutte contre le terrorisme. Concernant les interdictions administratives de manifester, il s’agit plus précisément d’arrêtés de séjour se basant, entre autres, sur la loi relative à l’état d’urgence – élaborée en 1955 dans une France en pleine guerre coloniale – et en place depuis les attentats de novembre. Ces derniers interdisent notamment aux individus à qui ils sont délivrés, l’accès à certains quartiers par lesquels passe une manifestation.

Des décisions « administratives » …

Dans les deux cas, sous couvert de la préoccupation très spécifique de la lutte contre le terrorisme, on assiste à un transfert à d’autres secteurs ou types de maintien de l’ordre. Ceci révèle d’ailleurs une autre parenté entre les deux procédures : leur dimension « administrative » , c’est-à-dire reposant sur une décision du préfet soi-disant justifiée par ce que contiennent les fiches des renseignements généraux français, ne résistant jamais longtemps devant un tribunal qui demande à ce que la décision soit un minimum basée sur des faits. Rappelons que 9 des 10 interdictions de manifester ayant été jugées le 12 mai par le tribunal administratif de Paris ont justement été cassées par ce dernier car ne se basant sur « aucun élément concret » .

« Dans les deux cas, explique l’avocat Pierre Barthélémy, on ressent clairement une volonté politique actuelle de marginaliser le juge judiciaire, les droits de la défense et le procès équitable. Il a souvent prétendu qu’il s’agit de situations d’urgence ne permettant pas de prendre le temps d’un procès. Parfois, malheureusement, il s’agit surtout de contourner un juge qui constaterait qu’aucune mesure restrictive ou privatise de liberté ne se justifie pour le citoyen concerné. » Démonstration que le public ciblé se trouve parfois très éloigné du risque originel, terroriste ou hooligan en l’occurrence. « En revanche, précise Pierre Barthélémy, les mesures se distinguent fondamentalement sur le reste. L’interdiction de manifester, au cas présent, se fonde exclusivement sur les pouvoirs conférés par la loi relative à l’état d’urgence. Hors état d’urgence, ce genre de mesure serait beaucoup plus compliqué à fonder en droit. Pour l’IAS, c’est beaucoup plus simple, puisqu’on a créé un texte spécial (l’article L. 332-16 du code du sport). »

Des hooligans aux « casseurs » !

Cet article permet au ministre de l’Intérieur, par arrêté, d’ «  interdire le déplacement individuel ou collectif de personnes se prévalant de la qualité de supporter d’une équipe ou se comportant comme tel sur les lieux d’une manifestation sportive et dont la présence est susceptible d’occasionner des troubles graves pour l’ordre public  » . Validé de manière assez surprenante par le Conseil constitutionnel, malgré la formulation approximative, on remarque que cette exception en matière de liberté individuelle, qui règne dans le sport, laisse entrevoir de grandes possibilités si l’on applique une telle perspective aux manifestations, remplaçant les hooligans par les « casseurs » .

Une fois encore, la répression préventive pour éviter les violence et les débordements, justifie une acception extrêmement large du potentiel fauteur de trouble, dont les droits peuvent être partiellement et provisoirement réduits. C’est toute la beauté du terme administratif : être amputé définitivement. C’est davantage de la sorte en matière d’inspiration qu’en terme purement de plagiat qu’il faut chercher la filiation. « Peu de mesures propres aux supporters ont inspiré d’autres mesures, continue Pierre Barthelemy, mais la pratique en matière de supporters a clairement décomplexé les élus ou les autorités de police. On a par exemple récemment pu lire que certains élus envisageaient le prononcé d’interdiction de métro ou d’autres lieux, comme cela existe pour les supporters. On retrouve ce raisonnement avec la question des fichiers automatisés de données à caractère personnel. Sans réellement être un laboratoire, le régime juridique du supporter est source d’inspiration. Notamment parce que les défenseurs traditionnels des libertés semblent avoir un intérêt très réservé pour le sort des supporters. Partant, ils laissent une brèche dans laquelle les élus s’infiltrent pour habituer les esprits à ce genre de mesures. »

Pour l’instant l’organisation des manifestations en soit n’a pas été écornée, même si le Premier ministre Manuel Valls a commencé à « poser » la question. Dans cet ordre d’idée, la multiplication des interdictions de déplacement des supporters visiteurs ouvre-t-elle une voie ? Elle semble certes plus difficile à transposer car les mobilisations sont locales et il paraît ardu de « criminaliser » toute une catégorie d’individus exprimant leurs droits de citoyens. Cela dit, avant la COP21, de nombreux militants écolos s’étaient bien retrouvés assignés à résidence. Quand l’imagination est au pouvoir, tout est possible.

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