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Croatie, tuer les pères de 1998
Impossible pour les coéquipiers de Luka Modrić d'en faire abstraction. Les Croates ont une mission ce mercredi face à l'Angleterre : faire mieux que la génération 1998, celle qui s'était hissée jusqu'à la troisième place lors du Mondial français. Et pour se faire une place dans les mémoires de leur pays, arracher une finale apparaît comme la seule solution possible. Écartez-vous, les Vatrani ont une nouvelle histoire à écrire !
Toutes les familles sont un jour confrontées à une histoire d’héritage. La Croatie et la France sont en plein dedans, marchant vingt ans après sur les traces de leurs glorieux aînés de 1998. Si les Bleus ne pourront au mieux qu’égaler la bande de Zidane, les coéquipiers de Luka Modrić subissent de plein fouet cette pression depuis qu’ils ont l’opportunité, en demie face à l’Angleterre, de dépasser Davor Šuker & Co, à savoir s’inviter en finale d’une Coupe du monde. « L’objectif maintenant, c’est de faire un peu mieux que 1998, avouait Danijel Subašić quelques heures après avoir écarté difficilement les Russes. Et ça serait encore mieux si c’est une finale contre la France. » Exhortés à fracasser ce plafond de verre, les Vatrani actuels sont renvoyés en permanence à une épopée vieille de 20 ans. Quoi de plus logique quand on parle de l’acte de naissance sur le plan sportif d’une jeune nation, sortie de nulle part lors du Mondial en France.
Laisser la place
D’ailleurs, aucun membre de la sélection n’a pu avancer lors de ce Mondial sans sentir le poids de cette histoire, glissée dans leurs poches par les médias et tout un peuple. Bien avant que le tournoi ne débute, le sélectionneur Zlatko Dalić était attendu sur ce sujet, qu’il abordait de manière très prudente. « Nous allons essayer de nous approcher d’eux, même si ce sera difficile de répéter ce parcours, assurait-il. Mais nous essaierons. » Que faire d’autre que jouer l’humilité, quand la Croatie n’a connu entre-temps que désillusions et trous noirs ? La sélection au damier n’est pas sortie des poules en trois éditions de Coupe du monde, et n’a remporté aucun match dans la phase à élimination directe dans les différents Euro.
Mais une fois ce complexe écarté de manière étriquée et haletante face au Danemark et la Russie, il n’a pas fallu longtemps pour que le parallèle avec les grands anciens resurgisse. « Nous respectons la génération 1998. C’est l’équipe croate qui a connu le plus de succès jusqu’à aujourd’hui et ils ont mis la barre tellement haut, que personne n’a pu l’atteindre en vingt ans, traduisait Dejan Lovren. Mais notre équipe actuelle est très forte, et nous avons une chance de dépasser cette génération. » Comme une sorte d’œdipe à régler alors que les anciens sont enfin prêts à ce que les jeunes effacent leur record des tablettes.
Comme il le confait à l’AFP, Miroslav Blažević a été « un peu orgueilleux jusqu’à il y a quatre ou cinq ans » , s’accrochant comme une moule à son rocher à sa troisième place historique. Mais le sélectionneur emblématique est « désormais prêt à tout donner pour que cette équipe entre dans l’histoire et qu’à l’avenir on parle d’eux » . Même chose pour le milieu de terrain de l’époque Robert Prosinečki : « 1998 ne devrait et ne sera pas oublié, mais j’aimerais tellement que les Flamboyants de 1998 soient éjectés, que l’on ne parle pas seulement de 1998, mais aussi de 2018. » L’heure pour eux d’entrer dans les livres d’histoire pour de bon afin de laisser la Croatie construire son présent, alors que les rues de Zagreb ou de Split commencent enfin à s’enflammer pour cette sélection.
Faire mieux, au moins
Mais même la demi-finale atteinte, la mission n’est pas encore réussie. Il y a vingt ans, la Croatie avait frappé fort en sortant en quarts de finale l’Allemagne, sur un score sans appel (3-0). « Le match de nos vies » , aime répéter le capitaine Zvonimir Boban à propos de cette date fondatrice. Et il aura fallu un doublé de Lilian Thuram pour les empêcher de rêver au titre suprême. Aujourd’hui, si Danijel Subašić venait à encaisser deux banderilles de Kieran Trippier, pas dit que le pays reste autant marqué dans vingt ans par un parcours où les Vatrani sont, hormis une mi-temps de folie contre l’Argentine, toujours passés par un trou de souris.
S’il faut leur reconnaître beaucoup d’abnégation, de courage et des fulgurances techniques, la charge émotionnelle apportée par les séances de tirs au but ne suffira peut-être pas pour surpasser les anciens dans les cœurs croates en cas d’élimination face aux Three Lions. Reste une seule issue pour entrer dans le panthéon du sport croate : gagner le droit d’être sur la pelouse du stade Loujniki ce dimanche 15 juillet et mettre à leur tour la pression sur les générations futures. Ivan Rakitić ne souhaite rien d’autre : « On va se battre pour la Croatie et peut-être que dans trente ans, on se souviendra de nous. »
Par Mathieu Rollinger