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Musa Tamari : ère Jordanie
Face au Qatar ce samedi, la Jordanie peut remporter sa première Coupe d’Asie. Un véritable exploit rendu possible notamment par un acteur de notre Ligue 1, Mousa Tamari. Un dribbleur, blagueur et futur imam en mission pour son pays.
Il fallait le voir débouler côté droit tel le Magicobus de Harry Potter, inarrêtable et diaboliquement précis à la fois, avant d’expédier un enroulé du gauche dont il a le secret. Mousa Tamari – ou Al-Tamari – peut lever les bras au ciel : il vient de renvoyer la Corée du Sud de Son Heung-min à la maison (2-0) et d’offrir à son pays, la Jordanie, une première finale de Coupe d’Asie dans son histoire. Pour certains, cette chevauchée de plus de 50 mètres est même le golazo de cette édition 2024. Difficile de leur donner tort. Si une partie du monde découvre actuellement au Qatar, le pays hôte qui affrontera justement la Jordanie en finale ce samedi au Lusail Stadium, ce numéro 10 que tout le monde galère à stopper, il y a une ville en France qui le connaît déjà par cœur : Montpellier.
هدف موسى التعميري و احتفالية ابو ليلى 😍🔥🇯🇴#الاردن_كوريا_الجنوبية pic.twitter.com/v65h64ZQ5B
— KHALID ALOLYAN 🇸🇦🐪 (@OLYAN15K) February 6, 2024
« Bip-Bip », la muscu et les parties de cache-cache
Octobre 2023, à Grammont. Au cœur du massif centre d’entraînement du MHSC, Mousa Tamari est déjà l’un des joueurs les plus demandés par les fans lors d’une séance ouverte au public. Comme à chaque fois, le Jordanien s’offre du rab devant le but, avant de passer une grosse demi-heure à signer maillots, cahiers et autres goodies. À l’applaudimètre, Tamari, arrivé gratuitement cet été dans l’Hérault en provenance de l’OH Louvain, rivalise déjà avec le chouchou local, le maestro Téji Savanier. Pourtant, ce matin-là, le sosie non officiel de l’acteur Tarek Boudali est tourmenté. Deux semaines déjà que les images du match contre Clermont tournent dans sa tête. Petit rappel pour ceux étant passés à côté de cette affiche de gala : début octobre, alors que Montpellier menait tranquillement 4-2 à la 91e minute grâce à un nouveau festival (un doublé et un penalty provoqué) de sa recrue estivale, un jet de pétard près du gardien des Auvergnats mettait subitement un terme à la partie. « Pendant la trêve internationale, je n’arrêtais pas d’envoyer des messages sur Instagram au journaliste de France Bleu Hérault pour qu’il me tienne informé du sort du match, glisse l’ailier droit dans un mélange d’anglais et d’arabe. Ça me travaille beaucoup. Pas seulement par peur qu’on me retire mes deux buts, mais juste pour les points de la victoire. De se dire qu’après un tel match, on peut voir notre victoire s’effacer, c’est un sentiment de gâchis terrible. » Hélas, le couperet tombe le soir même : son club écope d’un point de pénalité, et Montpellier-Clermont sera rejoué (1-1). Cruel.
Lorsqu’il est arrivé au mois de juin dans le sud de la France avec son sourire Colgate, Mousa Muhammad Sulaiman Al-Tamari, 26 ans, n’a pas tout de suite fait se lever les foules. Il faut dire que son CV n’avait pas de quoi exciter un chasseur de têtes : une arrivée en Europe il y a 5 ans, à Chypre, puis 10 petits buts en 3 saisons dans le championnat belge, où les fans de l’OH Louvain, impressionnés par sa vitesse, l’ont rebaptisé « Bip-Bip ». Le résultat d’un travail acharné plus que d’un don du ciel, si l’on en croit Dylan Ouedraogo qui, après l’avoir affronté avec Limassol en première division chypriote, l’a retrouvé à Louvain avec « 8 à 10 kilos » de muscles supplémentaires. « Mousa allait tout le temps à la salle, livre l’international burkinabé, formé à l’AS Monaco. Le physique compte énormément dans son style de jeu. Avec le coach Marc Brys, on faisait parfois double entraînement. Donc de 8h à 17h, on était au club. Eh bah Mousa, à 18h, il enchaînait en se rendant dans un grand complexe en ville pour bosser l’explosivité, les jambes ou la récupération. » Dans son nouveau corps d’athlète, Bip-Bip se distingue auprès des datas boys en devenant le deuxième dribbleur le plus prolifique de Belgique.
Mais toujours pas de trace de lui au classement des buteurs. Une lacune face à laquelle a décidé de s’investir sa compagne. Partie faire des études de droit aux États-Unis, celle-ci est capable de ne plus lui adresser la parole en période de disette. Des années plus tôt, à l’APOEL Nicosie, son entraîneur, Paolo Tramezzani, s’était aussi penché sur le problème, obligeant son ailier gaucher à faire des séances entières sur son pied droit et à se repositionner en attaquant axial. L’objectif de l’Italien ? Lui faire une place dans son 3-5-2, mais aussi et surtout élargir la palette d’un joueur en qui il a tout de suite cru plus que les autres. « Quand je l’ai vu toucher ses premiers ballons à l’entraînement, il me faisait penser à Mohamed Salah, s’aventure l’ancien défenseur de l’Inter. Après, Mousa, c’est quand même un gars qu’il faut convaincre. Lorsque je lui ai exposé ma volonté de le voir évoluer dans l’axe, il n’était pas très chaud, parce qu’il avait jusque-là toujours joué près de la ligne. Le premier match où on a testé ce système, c’était face à l’Apollon Limassol, le leader du championnat. On a gagné 5-1, Mousa a fait un match incroyable et a inscrit un doublé. » Un déclic. Quelques mois plus tard, Tamari est élu meilleur joueur du championnat chypriote et gagne son billet d’avion pour la Jupiler Pro League l’année suivante.
À défaut d’empiler les pions en Belgique, le « Messi jordanien » – un surnom qu’il déteste – réussit son intégration grâce à son don pour mettre l’ambiance. Le petit rigolo n’aime rien de plus que se cacher dans les casiers du centre d’entraînement pour faire peur à ses coéquipiers. Un gag signature niveau CE2 que ses anciens partenaires en Jordanie connaissent trop bien. « Il faut qu’il arrête avec ces blagues pourries, souffle Yazen Arab, qui évoluait avec lui à Al-Jazeera. Une fois, on était aux Émirats arabes unis pour un match de Coupe de l’AFC (l’équivalent asiatique de la Ligue Europa, NDLR) et on dormait dans la même chambre. D’un coup, il s’est éclipsé pour aller se cacher derrière un conduit d’aération. Puis il a poussé un hurlement. Avec l’écho du conduit, on aurait dit qu’un monstre était dans la pièce. Je ne me suis jamais autant chié dessus que ce jour-là. » Une trace dans le caleçon qui pose tout de même une question : que se cache-t-il derrière cet amour pour les parties de cache-cache ? « C’est ma manière de nouer des liens, mais aussi de remercier la vie, d’une certaine manière, philosophe l’attaquant. Il y a toujours des moments pour être un peu triste, mais la plupart du temps, il faut rigoler. » Peut-être, aussi, que ce retour perpétuel dans l’enfance permet au premier Jordanien de l’histoire de la Ligue 1 de le détourner de sa saudade du pays. « Ici, à Montpellier, je n’ai croisé qu’un seul Jordanien, un étudiant, dit-il, installé dans un canapé blanc du centre d’entraînement. Cela m’a fait chaud au cœur de le voir, car la Jordanie me manque un peu, c’est vrai. »
« Ma vraie passion, c’est le kickboxing »
Fils d’un technicien spécialisé dans la climatisation et d’une mère au foyer, Mousa Tamari est né et a grandi sous la chaleur d’Amman, capitale de ce pays du Moyen-Orient peuplé de 11 millions d’habitants. Aîné d’une fratrie de trois, il est le seul à s’être vraiment tourné vers le ballon. Et encore… « C’est mon père qui m’a initié, assez tard d’ailleurs, quand j’avais 10 ans, confie-t-il. Je n’ai jamais eu de poster de footballeurs chez moi. Je n’ai aucun modèle, et je ne regarde même pas la Ligue des champions. Je préfère me reposer. Quand j’étais plus jeune, mes potes s’excitaient devant le Clasico. Moi, j’allais me coucher. » Pour intéresser le jeune Mousa, mieux vaut l’emmener dans un autre univers : celui des rings et de Tong Po, le mythique adversaire de Jean-Claude Van-Damme dans Kickboxer. « Ma vraie passion, c’est la boxe et le kickboxing, s’illumine-t-il. J’ai toujours trouvé ça utile comme discipline, car elle te donne de l’assurance. Savoir que tu peux te défendre ou que tu es solide sur tes appuis, c’est tout de suite plus rassurant. »
Solide sur ses appuis, Tamari l’est sur les terrains de l’école de foot d’Abu Hurairah, où son père, sentant le potentiel, l’a inscrit. « C’était une école religieuse, précise le Montpelliérain. J’y faisais des études classiques, et en même temps, je jouais au foot pour leur association sportive. » Repéré dans un tournoi interscolaire par Hisham Abu Farwah, un des scouts les plus réputés du pays, il rejoint à 13 ans le centre de formation de Shabab Al-Ordon, double champion de Jordanie (2006, 2013). Arrivé à 19 ans aux portes de l’équipe première, il découvre les joies du foot professionnel jordanien et de ses petits arrangements entre amis. « Chez nous, c’est toujours un peu compliqué d’avoir de la visibilité, grince-t-il. Les instances ont tendance à ne faire jouer que des vieux et à mettre les jeunes de côté. Par exemple, pour intégrer la sélection U23 jordanienne, je me suis retrouvé dans une détection avec plus de 300 joueurs, pour 20 places… J’ai attendu deux heures, puis je me suis barré, avant même d’avoir touché un ballon. C’est l’entraîneur des gardiens, qui m’avait déjà vu en club, qui m’a rattrapé et a convaincu le sélectionneur de me faire passer un test à part. »
Pour se sortir du traquenard, Tamari se fait prêter à Al-Jazeera, une écurie plus modeste d’Amman, dont les installations se trouvent à deux pas de la maison familiale. Là-bas, il puise dans la fameuse assurance héritée du kickboxing pour faire son trou. Quitte à tricher un peu. « En matière de confiance, il était blindé, souligne Chiheb Ellili, son coach tunisien d’alors. Tous ses choix, même mauvais, il les faisait avec aplomb. Son truc, c’était d’obtenir des penaltys. Quand il entrait dans la surface, l’objectif était de faire chier le défenseur jusqu’à le pousser à la faute. » Vainqueur de la coupe et vice-champion de Jordanie, le Luis Suarez local finit par être repéré par l’APOEL Nicosie, qui lui offre le grand saut vers le Vieux Continent en 2018. « Quand il signe là-bas, tout le monde au pays a fait la fête en célébrant la naissance d’une star, relate Yazen Arab, son coéquipier à Al-Jazeera. Pour nous, ce n’était pas une surprise. On savait qu’il finirait par jouer en Turquie, en Grèce, ou un pays voisin. » C’est donc à Chypre, loin des offres pécuniairement plus intéressantes des Émirats et de Bahreïn, que Tamari pose ses valises. Avec, pour l’accompagner, sa confiance en soi, sa lourde étiquette de « Messi jordanien » et sa foi inébranlable. « Mousa est issu d’un milieu conservateur, révèle Ellili. Attention, dans le bon sens du terme ! Ça vient de son père. Il gère son quotidien selon la religion. Il m’a dit que c’était pour être sûr de bien faire les choses, de ne pas s’éparpiller. »
Une recette qui fait ses preuves à Montpellier, où Tamari sort du lot malgré une saison compliquée pour la bande de Der Zak’. De quoi susciter encore plus d’espoirs dans un pays dont le plus grand exploit footballistique – jusqu’à cette Coupe d’Asie 2024 – était d’avoir atteint les quarts de finale de cette même épreuve en 2004 et 2011. « Jouer pour son pays lui demande beaucoup d’énergie, prévient Marc Brys, son ancien coach à l’OH Louvain, club dont le nombre de followers avait explosé à l’arrivée du gaucher. Il y a les déplacements, mais aussi tout ce qu’il génère autour de lui, entre les médias, les réseaux sociaux… » Preuve de son aura, le Montpelliérain s’est rapproché de la famille royale, et notamment du prince héritier Hussein, fils du roi Abdallah II. « Un grand fan de football, qui suit de très près les résultats de la sélection, nous glissait il y a quelques mois Tamari. L’attente va encore monter avec le début des qualifications pour la Coupe du monde 2026, puis avec la Coupe d’Asie, en janvier. Dans ces moments-là, je ressens la pression, bien sûr. Mais je me réfugie dans le travail pour la canaliser. »
Avant de s’en aller soulever de la fonte au gymnase, celui qui, après sa carrière, s’imagine bien « coach, puis imam », prend le temps d’analyser la situation dramatique qui se déroule juste de l’autre côté de la frontière jordanienne. Sans se cacher, cette fois-ci. « Ce qui se passe à Gaza me tient particulièrement à cœur, d’autant plus que j’ai des origines palestiniennes de par mes grands-parents paternels et maternels, lance-t-il, soudain très sérieux. Je veux dire aux gens, ici en Europe : ce n’est pas parce que je soutiens la cause palestinienne que je soutiens le terrorisme. Tout ce que je veux, c’est la paix, surtout pour les enfants. Dans ce genre de situation, on ne parle plus de religion ou d’ethnie, simplement d’humanité. Et voir des enfants en bas âge mourir avant même d’avoir goûté à la vie, c’est insoutenable. Si demain je perds mon travail parce que j’ai soutenu une cause qui me semblait juste, eh bien je l’accepterai sans problème. Mais au moins, je n’aurai pas renié mes principes. »
Par Adel Bentaha et Andrea Chazy, à Montpellier
Tous propos recueillis par AB et AC.
Article initialement paru dans le So Foot #211 de Novembre 2023.