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Coup de tête et homme Dewaere

Par Matthieu Rostac
Coup de tête et homme Dewaere

Il y a 36 ans sortait Coup de tête, trois ans avant que Patrick Dewaere ne se foute en l'air le 16 juillet 1982. Un film qui reste une vraie réussite quand il s'agit d'évoquer le ballon rond au cinéma, doublée d'une belle histoire de vie pour l'écorché vif qu'était l'acteur de Série noire.

Trente-trois ans. Trente-trois ans jour pour jour que Patrick Dewaere s’est tiré une balle dans la bouche devant son miroir à l’aide du 22 long rifle que lui avait offert son pote Coluche. Trente-trois ans que l’acteur a pris la tangente du cinéma français avec une palanquée de rôles inoubliables sous le bras à seulement trente-cinq ans. La mort de Patrick Dewaere, c’est un peu comme Séville 82, autre drame français survenu quelques jours plus tôt : ceux qui y étaient ont goûté à la cruauté d’un talent brut qui s’écrase contre la rudesse de la réalité. Ceux qui suivront auront le sentiment d’avoir perdu quelque chose sans jamais l’avoir connu. L’idée qu’on avait le meilleur, mais qu’inéluctablement, la vie finissait par nous avoir. Patrick Dewaere était le meilleur des acteurs français, n’en déplaise à gros Gégé. Dans Les Valseuses, dans Série Noire, dans Préparez vos mouchoirs, dans Le juge Fayard dit le shérif, dans Adieu Poulet. Mais il s’est fait avoir par la vie. Après l’avoir eue à son propre jeu à de maintes reprises… en fiction. Comme dans Coup de tête, où il interprète le rôle de François Perrin, ce footballeur ostracisé par la ville de Trincamp en raison d’un viol qu’il n’a pas commis, avant d’être érigé en héros pour un but marqué involontairement. Coup de tête, sorti en 1979, parle de foot, mais pas que. Surtout, Coup de tête est un film qui a bien su capter les subtilités qu’offrait un sport que l’on a trop souvent cantonné à une farce irréaliste au sein du septième art. Peut-être parce que le réalisateur Jean-Jacques Annaud a compris que le ballon rond devait rester une toile de fond pour raconter le drame d’un homme.

Trincamp = Guingamp

D’ailleurs, le film devait s’appeler à l’origine Le hareng, surnom que l’on donnait aux petites mains des poissonneries « parce que je tenais à une ambiance de port de pêche » dixit Jean-Jacques Annaud. Le réalisateur envisage également un temps le titre Merci la foule !, afin de montrer la versatilité de la masse, avant de choisir Coup de tête. Il plante son décor dans la ville fictive de Trincamp, dont le nom est largement inspiré par Guingamp, qui venait de réaliser un parcours exceptionnel en Coupe de France, puis enchaîne les bars et les stades (près de soixante-dix en tout), bouffe des kilomètres de rencontres de séries inférieures afin de s’imprégner de cette ambiance de football amateur qui lui tient tant à cœur.

Aussi, pour renforcer le réalisme du film, le réalisateur de La Guerre du feu veut tourner de vraies scènes de football, même si celles-ci n’occuperont que très partiellement les 92 minutes du film au final. Parce qu’il sait très bien que le ballon rond est un exercice filmique difficile, Annaud choisit d’aller filmer… un vrai match entre Auxerre et Troyes, qu’il agrémentera au montage de plans de coupes de ses acteurs répétant des actions de jeu. « Il y a des tas de trucs qui me faisaient pencher pour Auxerre : l’environnement champêtre, le stade, la ville » racontera le metteur en scène de L’Ours.

Guy Roux, fan de la Nouvelle Vague

Comment est-il possible qu’il ait pu tourner lors d’un match officiel de Division 2 ? Parce que Guy Roux, tout simplement. L’homme-orchestre de l’AJA veut donner un petit coup de pouce médiatique à son club de toujours. Surtout, le technicien bourguignon, crédité au générique du film comme « conseiller technique » , est un inattendu cinéphile, friand de la Nouvelle Vague – la bonne, celle de Chabrol et Rohmer – et de Jacques Tati. Enfin, Annaud comme Roux ont un goût certain pour les budgets serrés. Sur les quatre semaines de tournage de Coup de tête, une seule se déroulera à Auxerre/Trincamp. Le temps de filmer la parade suivant la victoire en Coupe de France « tournée pendant toute une nuit avec des supporters de l’AJA comme figurants. Ça a duré jusqu’à quatre heures du matin. On leur avait fait une choucroute » , rembobine Guy Roux. Et parce qu’il faut bien se serrer les coudes, les figurants, payés 300 francs à l’époque, reverseront tout au club icaunais.

Le reste du temps, à Auxerre, l’équipe tente tant bien que mal de filmer un Patrick Dewaere aux abois balle au pied, dans un froid presque sibérien. « Je me revois en train de beugler mes conseils à Dewaere là-bas, en retrait des buts… » se souvient Guy Roux. « Il était assez athlétique, mais bon, encore une fois, il n’y avait rien à faire. Mes joueurs n’avaient jamais vu ça. Moi, je lui gueulais dessus comme sur n’importe quel joueur. Je lui disais : « Applique-toi, putain, Patrick, tape la balle de l’intérieur du pied ! » » Sentiment partagé par le défenseur de l’AJA Lucien Denis, qui reviendra sur ces moments dans les colonnes du Monde : « Je n’ai jamais vu un mec aussi nul. C’était à peine croyable. Quand il tirait, on avait peur qu’il se casse la jambe. Il ratait tout, il tombait, il s’énervait. Jean-Jacques Annaud m’a demandé de me laisser pousser la moustache. » Pourquoi ? Parce que Lucien Denis va devenir la doublure « sport » d’un Dewaere qui, malgré toute sa bonne volonté, hurle un peu trop souvent à son réalisateur des « Tu me fais chier avec ton football ! »

« Il cherchait l’amitié »

En revanche, s’il y a bien quelque chose que l’acteur des Valseuses a adoré lors de son séjour au club de l’AJA, c’est l’ambiance qui y flottait, lui qui était plus penché sur la bonne franquette que le strass et les paillettes du cinéma parisien. « Il n’était jamais aussi détendu qu’en dehors du milieu du cinéma » , croit savoir Annaud. « Dewaere était super sympa. Il prenait sa douche avec nous. C’était une star qui se mettait à notre niveau » , expliquera Lucien Denis, toujours au Monde. « Il était d’une grande délicatesse. Il cherchait l’amitié. On a parlé de tout et de rien. Il avait un setter baptisé Caramel. Il me l’a donné ensuite. » Guy Roux va plus loin, parlant d’entraide entre l’acteur et les joueurs : « Moi, sur les jeunes, on me la fait pas. J’avais bien vu que Patrick Dewaere, un gentil gars au demeurant, était à la rue. À l’époque, il avait une copine louche qui faisait pas du tout la maille. J’ai demandé à mes joueurs de l’inviter à tour de rôle. Ils étaient tous amateurs. Ça lui a bien plu. »

En revanche, les dirigeants bourguignons n’apprécient que peu le portrait au vitriol dressé par Annaud, entre pots-de-vin, passe-droits et emplois fictifs à l’usine du coin. Il faut dire que le réalisateur a poussé le mimétisme un peu loin. « Le président Hamel était garagiste, Aubin vendait de l’électroménager, il y avait aussi le marchand de meubles. Quel scandale ! J’ai dit à Annaud de s’abstenir de venir à la première. Et la femme du président Hamel, qu’est-ce qu’elle a pu se faire chambrer ! » rigole Guy Roux. À sa sortie, le long-métrage de Jean-Jacques Annaud réalise un score honorable de 900 000 entrées, tandis que l’AJA atteint la finale de la Coupe de France, perdue face au FC Nantes. Encore aujourd’hui, Coup de tête reste cet incroyable film sur les dérives du football, ce sport qui peut faire vriller la tête des hommes, et ce, dès le niveau amateur, rarement inégalé et que l’on utilise comme exemple pour parler d’un « bon film sur le foot » . Un héritage dont Patrick Dewaere n’a jamais pu profiter, parti trop tôt après un dernier film au nom symbolique : Paradis pour tous.

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Par Matthieu Rostac

Propos de Jean-Jacques Annaud et Guy Roux recueillis par Bertrand Rocher dans le So Foot n°15 d'octobre 2004

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