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Contester, à quoi bon ?
Au même titre que le contrôle orienté ou le tacle glissé, la contestation auprès de l’arbitre est devenue un geste à maîtriser dans la panoplie du footballeur moderne. Les acteurs du jeu expriment leur ressenti, cette fois en toute légalité.
Si la contestation a évidemment toujours existé dans le football depuis l’arrivée de l’homme en noir en 1891, il est difficile d’occulter le fait que cette pratique prend de plus en plus d’ampleur au fil des années et qu’elle nous tape de plus en plus sur le système. À tel point qu’aujourd’hui, chaque décision arbitrale est soumise à discussion. En début de saison, la Direction technique de l’arbitrage, par l’intermédiaire de Stéphane Lannoy, avait pourtant exprimé sa volonté de mettre fin aux contestations en sanctionnant de manière systématique. Malgré tout, la paix des ménages semble encore un vœu pieu, l’épisode « Touche-moi pas frère » de Presnel Kimpembe venant le rappeler il y a quelques mois.
Mode de vie
« L’homme honorable est maître de lui-même et n’a de contestations avec personne. » Confucius est peut-être jusqu’au-boutiste, mais on ne peut pas lui enlever que la gestion des émotions est en effet l’une des clés de la réussite, notamment sportive. Pourtant, certains footballeurs semblent être nés avec le gène de la contestation. Parmi ces soixante-huitards, on peut citer spontanément Verratti et Guendouzi. De là à faire de cette caste des êtres à part ? Pas pour le psychologue du sport Éric Nihous, qui a l’habitude de suivre des sportifs de haut niveau : « Ce type de comportements n’est pas lié à une éducation ou à un environnement particulier. C’est une question de personnalité, et comme le disait Schiller (théoricien de l’esthétisme allemand, NDLR) : “Un individu se révèle lorsqu’il joue.” C’est là qu’on voit comment il vit sa passion et comment il vit le jeu. Il n’y a pas un prototype de joueur qui conteste. Personnalité et enjeu sont le couple détonnant, mais je ne pense pas que le football en lui-même incite ce genre de comportements. »
Si la contestation n’est pas liée à la nature profonde du footballeur, elle trouve peut-être sa source dans la force de l’habitude et la répétition de ces comportements depuis le plus jeune âge. Matthieu Udol, capitaine du FC Metz, est de cet avis : « On a tendance à réagir aux décisions de l’arbitre, mais c’est aussi ce qu’on fait au quotidien à l’entraînement, donc ça se répercute en match. C’est le cas depuis les équipes de jeunes. » De la contestation partout, tout le temps. Est-ce que le football ne serait tout simplement pas un reflet de la société actuelle, et le terrain un énième moyen d’expression ? Régis Brouard, l’entraîneur du SC Bastia, en est persuadé : « Il n’y a aucun intérêt à contester auprès de l’arbitre. Mais quel est l’intérêt de contester tout ce qu’il se passe dans la vie ? On conteste un prix, la qualité d’un produit… En fait, on est dans une société où tout le monde conteste tout, tout le temps. Tout cela fait que vous vous donnez le droit, et pas à juste titre, de contester une décision arbitrale. »
Dialogue de sourds
« Ce sont des comportements très pénibles, explique Tony Chapron en préambule. Aujourd’hui, vous avez un joueur qui est capable d’envoyer un ballon en tribune et de demander la touche pour lui. Ça n’a plus de sens. » Les arbitres en ont évidemment gros sur la patate. En plus de 20 ans de carrière, le Normand en sait quelque chose : « La contestation provoque une irritation chez l’arbitre. Cela entraîne une perte de concentration et rend moins objectif. Il faudrait comprendre le joueur, ses frustrations, mais l’arbitre, il n’en a pas des frustrations, lui ? On demande d’accepter l’inacceptable. » Parfois, la frontière est fine entre discussion et contestation dans la perception des joueurs. Alors qu’il s’était distingué en début de saison en faisant preuve de fair-play et d’humilité face à une décision arbitrale préjudiciable à Bordeaux, Matthieu Udol explique qu’il est conscient que « l’arbitre peut faire des erreurs », mais qu’il est « nécessaire de pouvoir s’en expliquer ». Le latéral messin reconnaît volontiers que c’est aussi un moyen « de mettre la pression ». L’autocritique n’est d’ailleurs pas bien loin : « On doit arrêter de se plaindre et de réclamer des choses. » D’autant plus que s’il y a bien une maxime que le footballeur a apprise depuis tout petit, c’est que l’arbitre a toujours raison.
Malgré le fait que le joueur soit en effet l’instigateur de la contestation, il serait trop réducteur de lui attribuer 100% des torts. Dans la gestion de ces conflits, l’arbitre a évidemment un rôle primordial à jouer dans sa façon d’aborder le problème. Le sujet qui brûle les lèvres des joueurs et des entraîneurs ? La communication, un outil si basique, mais qui semble parfois faire défaut à certains. La communication… et le respect évidemment. Depuis le banc de touche, Régis Brouard le vit à chaque match et c’est, pour lui, la clé du débat : « Il y en a avec qui on peut communiquer, qui savent aplanir les choses ou les émotions que l’on peut ressentir dans un match. Le rôle du quatrième arbitre est essentiel. Quand on m’explique, je peux comprendre et je me calme. Le respect, d’un côté comme de l’autre, il n’y en a plus ou pratiquement plus. J’ai le sentiment que la relation de l’arbitre avec les joueurs et l’entraîneur est basée sur le conflit permanent. Si vous saviez la manière dont certains nous parlent avant les matchs ou à la mi-temps… Il y en a qui veulent avoir une autorité existentielle pendant 2 heures. »
Dix mètres de pénalité, exclusion temporaire et Erasmus de l’arbitrage
Cette autorité exacerbée, il n’est évidemment pas le seul à l’avoir ressentie sur un terrain. Geoffrey Jourdren pointe « un problème d’égo qui empêche parfois toute communication ». « Si j’étais arbitre, je serais copain avec les 22 joueurs, un peu à la manière de (Robert) Wurtz, développe l »ex-portier du MHSC. Quand on voit qu’un arbitre est sérieux et cool, on le prend moins pour un con et ça se passe bien. » Son homologue Matthieu Udol explique que « l’attitude qui est prise par les arbitres face aux joueurs amène parfois à se dire : “Mais pour qui se prennent-ils ?” » Pour régler ça, plutôt que l’octogone, une prise de prise de conscience collective est prérequise. De fait, si ce problème persiste, c’est en grande partie en raison de « l’immobilisme qui règne au sein de l’arbitrage français », si on en croit Tony Chapron. L’ancien arbitre international avait par exemple proposé, lors d’un stage à l’UEFA présidé par Pierluigi Collina, de sanctionner tous les joueurs contestataires d’un carton : « Ils seront 6 à être avertis la première fois, puis 3 la seconde et après il n’y en aura plus du tout. A l’époque, on a cru que je blaguais et on m’a dit que j’étais dingue. » Aujourd’hui, l’arbitre-tacleur retraité a revu sa copie et estime qu’un gain de terrain pour l’équipe adverse serait plus approprié : « Prendre 10 mètres quand on conteste, comme au rugby, je trouve ça très intéressant dans la mesure où l’on pénalise l’équipe entière et pas seulement le fautif. » Matthieu Udol et Régis Brouard préconisent plutôt expulsion temporaire pour faire « redescendre la tension ». « Cela pourrait être une solution plutôt que de sortir un carton, voire un rouge qui pénalise pour tout le match et même pour plusieurs rencontres », argumente le capitaine messin, sans se rendre compte que le temps de jeu de Marco Verratti pourrait être réduit de 80%. Le coach bastiais pose aussi sur la table une solution destinée au corps arbitral : « Pour faire évoluer la mentalité de tout le monde, je souhaiterais que les arbitres français aillent arbitrer à l’étranger et que des Anglais, Allemands ou autres viennent officier en Ligue 1. C’est un bon moyen de gagner en expérience et en compréhension du jeu. » La lumière viendra peut-être des instances, la FFF ayant récemment demandé à l’IFAB la possibilité de proposer un système de sonorisation des arbitres. En plus de contraindre les acteurs à échanger dans le respect, cela permettrait de mettre fin aux incompréhensions des décisions arbitrales. À moins que cela produise l’effet inverse en portant le trashtalk et l’invective au rang d’art audiovisuel.
Par Mathieu Dumas
Tous propos recueillis par MD.