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Conflit Russie-Ukraine : Poutine privée de finale de Ligue des champions ?

Par Nicolas Kssis-Martov
Conflit Russie-Ukraine : Poutine privée de finale de Ligue des champions ?

Les déclarations de Vladimir Poutine lundi soir, avec l'entrée prochaine des forces militaires russes sur le territoire ukrainien via ces fameuses « républiques indépendantes », vont probablement conduire à la délocalisation de la finale de la Ligue des champions, prévue le 28 mai à Saint-Pétersbourg. Une décision certes vexatoire pour le nouveau tsar, mais qui, de la part de l'UEFA, tient davantage du pragmatisme ponctuel que du sens des valeurs.

Point d’orgue de la saison continentale – et d’autant plus avec le décalage de prochaine Coupe du monde en novembre –, la finale de la Ligue des champions 2022 aurait dû être celle du retour à la normale. Après une édition 2019-2020 transformée en final four au Portugal pour cause de pandémie, puis celle de 2021 déplacée d’Istanbul à Porto, pour les mêmes raisons (les Anglais avaient classé la Turquie sur liste rouge). Or cette fois, c’est la géopolitique, celle du char d’assaut, qui vient de compromettre encore l’ordre naturel du ballon rond. En effet, si les relations entre la Russie et l’Ukraine venaient à s’envenimer davantage, soit se transformer en un véritable conflit armé quelle que soit sa durée ou son intensité, le contexte ne se révélerait guère propice à une bonne tenue de l’événement sur les bords de la Neva.

Cela fait presque dix ans que l’UEFA s’arrangeait pour éviter que les équipes des deux protagonistes se croisent dans ses compétitions, sûrement peu confiante quant à la capacité du sport à pacifier les relations entre les deux gouvernements ou simplement à ouvrir une parenthèse de fraternité panslave. La paix n’attendra ni coup de sifflet final ni que le ballon rond cesse de roule. Pour mémoire, le match Vorskla-Arsenal en Ligue Europa en 2018 avait été joué à Kiev à cause déjà des tensions avec le voisin russe, de même que la rencontre entre Donetsk et Lyon… Rappelons aussi au passage que dans des pays en guerre ou sous occupation comme la Libye, la Syrie ou la Palestine, la règle est désormais de recevoir à l’extérieur, les conditions de sécurité ne laissant pas d’autres options crédibles. L’Europe – du football – avait oublié un peu vite le poids des conflits et des tanks lorsqu’ils pèsent sur son territoire.

Real politik

Il n’y a dans cette démarche rien de très moral sur le fond. L’UEFA n’avait ressenti aucun cas de conscience à se coucher devant les demandes du président hongrois Viktor Orbán et avait un temps pensé à transporter à Budapest la finale de l’Euro 2021, initialement attribuée à Londres, en raison des restrictions trop strictes des Britanniques liées à la Covid-19. Ce qui alerte aujourd’hui la grande multinationale du football du Vieux Continent se condense surtout dans les réactions et les sanctions qui pourraient découler de l’invasion russe. Évidemment, du côté de Nyon, dans la chaleur de la neutralité suisse, personne ne redoute les tirs d’obus et on se moque éperdument des éventuelles protestations de quelques ONG ou autres bonnes âmes dans des tribunes de la presse occidentale. En revanche si les États s’en mêlent, si Boris Johnson par exemple tient ses promesses de sévérité, si la communauté internationale établit, ne serait-ce qu’un temps court, une barrière de protestations et d’embargo autour du Kremlin, la situation deviendrait intenable.

Les places fortes du foot, notamment économiques, ne se situent pas franchement à l’est (à deux ou trois oligarques près, d’ailleurs eux aussi visés par de potentielles mesures de rétorsion). Pour Poutine, qui avait partiellement misé sur le foot pour asseoir la nouvelle grandeur retrouvée de sa Russie éternelle et post-soviétique avec, entre autres, le succès de la Coupe du monde en 2018, ce serait certes un petit camouflet. On doute cependant que cette déconvenue l’empêche de dormir et que l’instance européenne du football aille guère plus loin, même en cas de crimes de guerre de la part des militaires russes. Les zones de conflits armés sont certes toujours une épine dans le pied d’un football qui n’aime pas être gêné par les basses contingences du quotidien. On se souvient de l’embarras de l’UEFA devant l’explosion de l’ex-Yougoslavie, des guerres sanguinaires, des crimes contre l’humanité, qui l’avaient finalement contrainte, après l’isolement international du régime de Milošević, à retirer leur qualification aux Yougoslaves en 1992, repêchant des Danois futurs vainqueurs de l’épreuve. On imagine mal toutefois les équipes russes ou la Russie subir pareil affront. La real politik va vite reprendre ses droits, et en matière de diplomatie, y compris footballistique, la taille compte…

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