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Comment les Espagnoles ont pu grimper sur le toit du monde

Par Anna Carreau

Ne partant pas favorite de cette Coupe du monde selon les bookmakers, l’Espagne était pourtant sur le toit du monde depuis quelques années : Mondial U17, Mondial U20… Il ne manquait à cette génération dorée que de gagner enfin un titre avec l’équipe première. Un juste retour des choses en battant l’Angleterre dimanche à Sydney.

Comment les Espagnoles ont pu grimper sur le toit du monde

La victoire espagnole en finale de Coupe du monde, treize ans après leurs homologues masculines, est historique. Jusqu’ici, la Roja n’avait jamais réussi à passer de tour à élimination directe dans la compétition et ne s’est même qualifiée qu’à trois reprises en Mondial, échouant dès le premier tour en 2015 et en huitièmes face aux Américaines en 2019. Avant de gagner donc cette Coupe du monde après une victoire 1-0 face à des Anglaises championnes d’Europe en titre. Les mêmes qui avaient mis fin au rêve espagnol l’été dernier en les éliminant dès les quarts. Cette explosion soudaine de résultats peut surprendre, mais elle n’est que la suite logique de l’histoire d’une génération dorée qui n’avait remporté aucun trophée. En tout cas, chez les A. Au sein du XI titulaire ce dimanche, deux joueuses étaient déjà championnes du monde avant même le coup d’envoi : Cata Coll, vainqueur du Mondial U17 en 2018, et Salma Paralluelo, vainqueur du même Mondial U17 et du Mondial U20 en 2022. Cinq étaient aussi championnes d’Europe U19 : Aitana Bonmatí, Ona Batlle en 2017, puis Olga Carmona, Teresa Abelleira et Laia Codina en 2018.

Le succès des joueuses et des clubs

Chez les jeunes, l’Espagne est une habituée des trophées et des podiums, venant récompenser le travail de formation fait au sein de clubs amateurs et des centres de formation grandissant des clubs professionnels. La sélection U17, déjà deux fois championnes du monde, trône sur le podium de l’Euro depuis 2013, l’ayant remporté en 2015 et en 2018. Il en va de même pour les U19, qui sont finalistes de chaque édition depuis 2014, avec quatre victoires en 2017, 2018, 2022 et 2023. Des titres récents, mais qui montrent la montée en puissance du football féminin espagnol. En 2020, après avoir remporté la Coupe du monde et l’Euro, la sélectionneuse des U17 Toña Is prévenait déjà auprès de Marca : « Ce sont des joueuses qui vont faire parler d’elles dans les prochaines années. Les clubs devraient miser davantage sur ces jeunes joueuses qui n’ont rien à envier à certaines étrangères, mais ce n’est qu’une question de temps avant qu’elles ne gagnent leur place. »

Les clubs justement ont aussi fait leur part. Poussées par certaines pionnières comme Irene Paredes, Alexia Putellas et Jennifer Hermoso, particulièrement émues au moment de soulever le trophée toutes les trois, les institutions du football masculin espagnol se mettent au « futfem », raccourci dénommant le football féminin en espagnol. Le FC Barcelone, notamment, est l’un des premiers clubs à créer une section professionnelle en 2015. Le Real Madrid, lui, attendra 2019 et le rachat d’un club de Madrid nommé Club Deportivo Tacón. Au sein des clubs, les joueuses elles-mêmes ont dû régulièrement batailler pour que la création d’une section féminine au sein d’un club ne soit pas une finalité en soi et que le football féminin soit traité avec la même exigence et le même professionnalisme que chez les garçons. Les joueuses espagnoles ont même dû faire grève en automne 2019 afin de forcer une professionnalisation de leur championnat, avec la création d’une convention collective installant un salaire minimum, afin de permettre aux joueuses de se concentrer uniquement sur le football et, donc, de progresser.

Un décalage entre club et sélection partiellement comblé

« Les clubs travaillent de façon extraordinaire : quand on reçoit les filles ici, on voit qu’elles travaillent tactiquement. Avec ça, on va beaucoup plus vite, c’est la partie fondamentale. Elles ont de bons entraîneurs, des ressources : nous avons fait un saut qualitatif. Le fait de lier les sections féminines aux équipes professionnelles nous a donné un nouveau souffle », soulignait déjà en 2018 Toña Is dans El País. Mais si les clubs et la ligue professionnelle avancent vite, la sélection, elle, faisait du surplace. Le décalage entre un Barça deux fois champion d’Europe grâce à des XI composés à plus de 70% de joueuses espagnoles et l’absence de titre majeur jusqu’à cette Coupe du monde interrogeait les spécialistes. En coulisses, celles qui évoluent chaque jour dans un club de plus en plus professionnel confient à The Athletic et à Danaé Boronat dans son livre No las llames chicas, llámalas futbolistas qu’elles ont la sensation de « perdre leur temps » lorsqu’arrivent les trêves internationales. D’autant que l’ambiance au sein de la sélection est souvent définie comme toxique, avec au cœur des critiques l’entraîneur Jorge Vilda, dont les compétences et le management sont régulièrement remis en cause.

Photo by Icon sport
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Les évolutions nécessaires pointées du doigt par les capitaines espagnoles au retour d’un Euro raté, avant que les quinze joueuses se mettant en retrait de la sélection ne forcent la main à leur fédération, ont bien été faites. Relevo et The Athletic expliquent que la RFEF a bien fait discrètement quelques ajustements à la veille de la Coupe du monde, quand bien même son président Luis Rubiales assurait qu’il n’y avait rien à changer au lendemain de la publication du mail de « Las 15 ». Une façon de garder la face, alors que le dirigeant espagnol insistait sur le fait que les conditions de la sélection étaient à prendre ou à laisser pour celles qui souhaitaient revenir. Lors de cette Coupe du monde et de sa préparation, les joueuses ont fait moins de longs trajets en bus et plus en avion, le plus souvent privé. Elles bénéficient aujourd’hui aussi de plus de jours off et de davantage de possibilités de voir leur famille, là où Jorge Vilda contrôlait de façon accrue ses joueuses et leur entourage jusqu’ici. Un « plan de conciliation familial » a également été conclu, permettant à Ivana Andrés et Irene Paredes de passer du temps avec leurs enfants et leurs compagnes durant la compétition. Les familles ont pu être du voyage en Océanie, grâce à des aides de la fédération, qui leur a choisi des hôtels proches de celui des joueuses. Le staff s’est également renforcé d’une nutritionniste et d’un physiologiste supplémentaire.

« Nous devons voir comment ce succès change les choses »

Des demandes très basiques qui ont suffi à convaincre certaines de revenir, dans un groupe toujours divisé après les entretiens individuels faits par la fédération pour casser la rébellion interne. The Athletic évoque une trêve spéciale Coupe du monde, mettant de côté le conflit pour se focaliser uniquement sur un même objectif. Une petite ambiance équipe de France 2006 règne pendant les deux mois passés ensemble en Nouvelle-Zélande, entre joueuses et staff qui ne s’adressent pratiquement pas la parole, mais faisant temporairement abstraction de leurs différends. L’équipe, elle, vit de mieux en mieux, soudée par les critiques reçues après la large défaite 0-4 contre le Japon lors du dernier match de poule et les différents changements sans explications de Jorge Vilda obligeant le vestiaire à se transformer en groupe de soutien moral. Si la fin est heureuse pour cette équipe très talentueuse, Alexia Putellas n’oublie pas en zone mixte de remercier toutes celles qui ont apporté leur pierre à l’édifice, mais qui ne sont pas championnes du monde : « Ce titre est pour toutes, pour les pionnières, celles qui sont passées par là avant. C’est nous qui sommes championnes du monde, mais beaucoup d’autres auraient pu être là. C’est un succès, mais maintenant nous devons voir comment ce succès change les choses. On a tous vu que si vous misez sur le football féminin, on peut faire de grandes choses. »

Par Anna Carreau

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