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Comment la crise géopolitique bouscule beIN Sports

Par Farouk Abdou
Comment la crise géopolitique bouscule beIN Sports

De jour en jour, la rupture entre la coalition menée par l’Arabie saoudite et le Qatar engendre de nouvelles conséquences inattendues, dont certaines touchent directement le groupe beIN Sports. En 24 heures, l’empire télévisuel a été sonné par le départ de nombreux consultants et commentateurs et le boycott unilatéral du bouquet qatari en Égypte. Des secousses qui pourraient ébranler à la fois le monopole africain du groupe et la stratégie qatarie sur le continent, basée sur le marketing sportif.

En France, quand il a fallu déterminer quelles seraient les répliques sportives du séisme géopolitique au Golfe, une grande majorité des débats s’est concentrée sur deux points : le projet du PSG et la Coupe du monde 2022. Deux piliers de la stratégie de Doha désormais mis en péril par la rupture diplomatique entre le Qatar et l’Arabie saoudite et ses alliées (le Bahreïn, les Émirats arabes unis, le Yémen et l’Égypte, ndlr). Mais un autre pilier a tremblé : beIN Sports. Non pas la filiale française qui s’est imposée comme un acteur incontournable dans l’Hexagone depuis 2012, mais la maison-mère.

Douze heures après l’offensive diplomatique saoudienne, c’est Ahmed Hossam « Mido » qui ouvre le bal. Depuis 2014, l’ancien attaquant de l’Olympique de Marseille et de l’Ajax jonglait entre de brèves et peu probantes expériences de coach et des interventions remarquées en tant que consultant pour les chaînes de beIN en arabe. Il officiait sur les matchs de championnats européens et la Ligue des champions africaine, en livrant régulièrement ses analyses en plateau à la mi-temps des rencontres. Le 5 juin, l’ex-enfant terrible du foot égyptien annonce pourtant sur Twitter qu’il met fin à cette collaboration.

Quelques heures plus tard, tous les autres commentateurs et consultants saoudiens, égyptiens, émiratis et bahreïnis emboîtent le pas de Mido et quittent le navire.

Ce même 5 juin en fin de journée, la seconde lame égyptienne tombe. Solidaire de son gouvernement, la Fédération prononce un boycott de beIN Sports et annonce que les chaînes du bouquet n’auront désormais plus le droit de couvrir les matchs de la sélection nationale et des clubs engagés en compétitions internationales. Le communiqué lapidaire de la Fédération ne laisse guère de place au doute et lie directement cette décision à la crise qatarie : « Nous soutenons la décision de l’administration politique contre une entité qui a déjà tenté de nuire à notre pays de nombreuses reprises. Les millions de fans de foot en Égypte comprendront cette décision qui va dans le sens de la défense du pays. Nous appelons les clubs à cesser toute activité avec les chaînes qataries quels que soient les engagements contractuels. » En déplacement en Tunisie dimanche pour un match de qualifications pour la CAN 2019, les joueurs de la sélection des Pharaons, emmenés par Héctor Cúper, auraient d’ores et déjà reçu la consigne de ne pas répondre aux interviews de la chaîne.

beIN Sports, un diffuseur exclusif qui risque l’interdiction de stade

Les trois clubs encore engagés en compétitions africaines (Al Ahly et Zamalek en Ligue des champions, Smouha en Coupe de la confédération, l’équivalent de la Ligue Europa, ndlr) ont confirmé ce boycott. Un boycott d’autant plus problématique que beIN détient les droits exclusifs de diffusion de ces compétitions. Les avis divergent sur la tournure des événements lors des prochains matchs. Tarek Talaat, journaliste pour le site Yallakoora, estime qu’en l’état actuel des choses, la diffusion est possible : « Le personnel de la CAF a assuré que les clubs savent, même s’ils empêchent l’accès aux vestiaires et aux joueurs à beIN, qu’ils ne peuvent pas les empêcher de filmer. » Mais son confrère, Marwan Ahmed, du site Kingfut, en doute : « La Fédé peut très bien estimer qu’elle n’en a rien à faire des contrats de beIN Sports et les empêcher d’entrer au stade. Il se peut aussi que ce soit la chaîne égyptienne ON Sports, là ou exerce désormais Mido, qui diffuse les matchs. Cela casserait le monopole de beIN sur les droits. C’est encore assez flou, mais ce qui est sûr, c’est que le boycott sera appliqué. » Aussi floue soit-elle, la situation peut vite devenir intenable pour le bouquet qatari si les bâtons dans les roues sont trop nombreux.

L’Afrique, un « laboratoire de marketing » compromis pour le Qatar ?

Le Qatar a fait du sport son fer de lance pour promouvoir son image à l’étranger et en France, mais n’a jamais avancé ses pions au hasard. Que ce soit pour les droits TV ou le sponsoring dans le football, chaque opération réalisée en France l’est également en parallèle ou quelques mois avant en Afrique, avec une forte affinité avec le Maghreb. Les deux marchés sont ainsi tour à tour utilisés soit comme ballons d’essai pour tester la fiabilité d’une stratégie, soit pour confirmer l’efficacité de cette dernière.

L’exemple type du sponsoring sportif réussi est l’opérateur mobile Ooredoo qui, en même temps qu’il soigne sa visibilité en France en septembre 2013 en donnant son nom au Camp des Loges, s’impose sur les marchés tunisien et algérien au même moment grâce à des partenariats marquants liés au football : sponsor maillot des clubs-phares du championnat en Tunisie (septembre 2013), opération publicitaire avec Lionel Messi en ambassadeur en Algérie (novembre 2013).

Deux ans avant que beIN France ne fasse une entrée fracassante dans le monde des droits TV avec l’Euro 2012, la maison-mère de la chaîne – encore sous le label Al Jazira Sports – supplante l’ancien détenteur exclusif des droits télé du foot en Afrique (sélections et clubs), le bouquet TV saoudien ART, et obtient tous les droits de diffusion, avec la Coupe d’Afrique des nations et la Ligue des champions africaine pour tête de gondole. Uniformisation de la marque oblige, toutes les chaînes sportives (maison-mère et filiale française) ont été renommées beIN Sports au début de l’année 2014.

Entrées de force et tarifs prohibitifs

Ce changement de monopole n’a pas bouleversé la vie des fans de foot en Afrique. À l’époque de l’ART, ce sont les populations locales qui trinquaient, puisque les chaînes nationales ne pouvaient pas payer les sommes astronomiques réclamées par le détenteur des droits, et ainsi diffuser en clair les matchs de leurs clubs et sélections. La palme de l’amateurisme revenant à la TV nationale tunisienne, qui négociait les matchs par morceaux et a un jour offert à ses téléspectateurs une seule mi-temps – la première – d’une rencontre d’éliminatoires du Mondial 2010, n’ayant pas pu se payer la seconde période… À la place des 45 dernières minutes de Mozambique-Tunisie, les gens ont eu droit à des rediffusions d’épisodes de Mister Bean.

En récupérant la mainmise, beIN Sports a pratiqué les mêmes tarifs jugés prohibitifs par les chaînes locales pour la vente de ces droits, proposant par exemple un pack de dix matchs de la CAN 2017 à la TV nationale marocaine pour une somme de 110 millions de dirhams (10,1 millions d’euros). Résultat, l’illégalité pour avoir accès aux matchs (hormis la sacro-sainte solution d’aller dans un café) est devenue la norme : récepteurs pirates, sites de streaming comme Yalla Shoot, et des méthodes plus musclées comme celle de la TV nationale algérienne, qui a fait entrer de force en 2013 une caméra dans le stade de Ouagadougou où se jouait un match officiel de sa sélection (Burkina Faso-Algérie, barrage de qualification pour le Mondial 2014, ndlr). Al Jazira Sport réclamait 1,5 million de dollars aux Algériens pour passer le match, ils ont préféré la solution hors la loi. La chaîne qatarie aura beau les dénoncer en direct, peine perdue…

Le boycott égyptien n’est peut-être qu’une première étape. Au cours de la semaine, d’autres pays africains, comme le Sénégal et le Gabon, ont déclaré leur soutien à l’Arabie saoudite. Ces pays ne vont pas nécessairement convertir eux aussi ce positionnement diplomatique en hostilité envers beIN Sports, mais si l’Égypte franchit le cap d’interdire les caméras qataries d’entrée dans les stades (faisant ainsi fi des engagements contractuels), cela va donner des idées à d’autres, en particulier là où la fronde contre les droits TV est la plus forte.

Par Farouk Abdou

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