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Claudio Lotito, le calcio jusque dans la sphère politique

Par Elio Bono
Claudio Lotito, le calcio jusque dans la sphère politique

Le fantasque président de la Lazio a été élu sénateur en Molise, le 25 septembre. Malgré son parachutage express dans la petite région du sud de la Botte, Lotito s’est fendu de multiples promesses quant au club phare de la région, le Campobasso Calcio. Quitte à remuer des souvenirs vieux de 35 ans...

Si vous tapez « Molise » dans un moteur de recherche, il est probable que vous tombiez sur le dicton « Il Molise non esiste ». Comprenez, cette petite région montagneuse coincée entre les Pouilles, le Latium, la Campanie et les Abruzzes n’existe pas. Le trait éminemment ironique traduit un certain mépris pour les 300 000 habitants de ce territoire méconnu. Mais Claudio Lotito n’en a cure. Le président de la Lazio a fait du Molise son fief pour les élections sénatoriales du 25 septembre, représentant l’union du « centre-droit » – de Silvio Berlusconi à Giorgia Meloni. L’opération a été un triomphe, dans la lignée des résultats nationaux : avec 43% des suffrages, Lotito a gagné son pari et siègera au Sénat.

Au-delà de son plébiscite, son choix d’implantation a étonné. Le sexagénaire romain, nommé candidat à la va-vite cinq semaines avant le scrutin, n’a en effet pas grand-chose à voir avec la région. Aux procès de parachutage faits par ses détracteurs, Lotito a d’abord utilisé une défense hasardeuse dans un meeting fin août à Campobasso, capitale de la région : « C’est vrai, je ne connais pas ce territoire. Mais je connais les Abruzzes, car mon grand-père était d’Amatrice. » Problème, le village qui donne son nom à la sauce délicieuse se trouve en fait dans le Latium… et surtout à 200 bornes du Molise. Tourné en dérision de fait, l’ex-propriétaire de la Salernitana a recentré le débat autour de ce qui marche le mieux dans la Botte : lecalcio.

« La Lazio doit rendre quelque chose à Campobasso »

Et le président biancocelesteest allé droit au but. Quelques jours plus tard, il s’est carrément dit « à disposition » pour ramener le Campobasso Calcio « dans le football qui compte ». Gravitant entre les Serie C et D, le club phare de la région se trouve alors au bord de la faillite. Racheté par Matt Rizzetta, ex-actionnaire minoritaire italo-américain, Campobasso est depuis reparti en Eccellenza, le cinquième échelon. Un niveau loin des glorieuses années 1980, lors desquelles le club plaçait le Molise sur la carte de Serie B. Jusqu’à ce maudit soir de juillet 1987. Un souvenir ravivé par Lotito, 35 ans après : « La Lazio a déterminé la relégation de Campobasso, elle doit lui rendre quelque chose. »

Rembobinons le fil. En Serie B depuis quatre ans, le Campobasso Calcio attaque la saison 1986-1987 avec l’espoir de prolonger son premier séjour en deuxième division. Pour se sauver, les Rossoblù sont au coude-à-coude avec d’autres disparus du foot pro italien, comme Taranto, Vicenza ou la Sambenedettese. Au milieu de ces écuries modestes se trouve… la Lazio, tombée un an plus tôt. Mêlés dans le Totonero-bis – un sempiternel scandale de paris truqués – les Biancocelesti démarrent l’exercice avec un handicap de neuf points.

Sur un fil tout au long de la saison, les Laziali sont au bord du précipice. Un pion à la 82e minute du dernier match contre Vicenza les sauve de la Serie C. Provisoirement, du moins. Avec 33 points, soit autant que Campobasso et Taranto, la Lazio doit en passer par un mini-tournoi à trois, disputé au San Paolo de Naples. La bande à Maradona y a décroché son premier Scudetto deux mois plus tôt, mais l’ambiance y est, cette fois, autrement plus crispante. Un nul et une victoire plus tard, la Lazio arrache son maintien et remontera l’année suivante. Campobasso, dindon de la farce, est relégué et n’apparaîtra plus en Serie B.

Claudio Lotito vient alors de souffler ses trente bougies. Un secret de polichinelle lui prête, à l’époque, une sympathie pour la Roma, finaliste de C1 trois ans plus tôt. Trente-cinq ans après, dont dix-huit à la tête de la Lazio rivale, le voir s’emparer de l’événement une semaine après son parachutage en Molise a quelque chose de comique. « Je suis à la disposition totale du Molise, même avec une implication directe pour trouver les meilleures solutions », s’est-il exclamé, niant au passage toute récupération politique. « Si cette histoire lui tenait tant à cœur, il aurait pu y penser avant […], sans besoin d’attendre les élections », lui a répondu la Gazzetta dello Sport dans un édito.

« Lotito’s on fire »

Mais au pays de Berlusconi, utiliser le foot à des fins politiques va – presque – de soi. Dans ses discours, Lotito a multiplié les allusions au vocabulaire calcistico. « Le Molise n’est pas une région de Serie B » ou encore « Je ferai du Molise une grande Lazio », font par exemple partie de ses punchlines. Rien de très étonnant à ce que son discours de victoire soit un savant mélange de Jules César et Zlatan : « Je ne savais même pas où était le Molise, mais j’y ai tout gagné, en long et en large ». Comble de l’ironie, celui qui entretient une relation tumultueuse avec les ultras de la Lazio s’est dressé en héros de ses tifosi politiques. Le refrain « Lotito’s on fire » , entonné il y a dix jours sur l’air de Freed from desire dans un pub de Campobasso, est ainsi devenu viral. On en oublierait presque que, la veille, la Lazio en prenait 5 à Midjtylland en C3. Qu’importe si Lotito n’a pas proposé grand-chose au-delà de ses métaphores footballistiques. Dans une campagne express sans réel débat d’idées à l’échelle nationale, la recette a suffi. Tout juste s’est-il contenté de flatter des Molisans « authentiques et accueillants », comme dans une réunion à Gildone conclue… par une photo avec une équipe de foot locale, évidemment.

Les intérêts du Molise ou de la Lazio au Sénat ?

Le résultat sans appel masque toutefois quelques voix dissonantes contrariées par le « style » Lotito. À force de multiplier les coups de com, l’autoproclamé sauveur du Campobasso Calcio a irrité quelques clubs rivaux. « Un contre-son-camp en finale de Ligue des champions », a ironisé un groupe de tifosi de l’Isernia Calcio, autre écurie d’Eccellenza. « Le Molise, ce n’est pas seulement Campobasso, ont-ils poursuivi dans un communiqué. Les problèmes du Molise sont autres qu’une équipe de foot. Il n’y a pas de travail, les entreprises et les hôpitaux ferment… »

Plus embarrassant, le constat a été partagé par Rossella Gianfagna, une de ses principales adversaires de centre-gauche (arrivée troisième avec 22,6%). « Sa priorité des priorités, c’est le foot. Il est arrivé en Molise, et la région a déjà un avenir différent ! », a-t-elle ironiquement taclé. Mis devant les difficultés des hôpitaux locaux, Lotito a fait du Lotito : « Le système de santé a 60 millions de déficit ? J’ai repris la Lazio avec 500 millions de dettes et j’ai porté la Salernitana d’Eccellenza à la Serie A ! »

Son côté monomaniaque le ferait presque passer pour un néophyte de la politique. Il n’en est rien. En 2018, il avait déjà tenté de siéger au Sénat en se présentant dans le nord de la Campanie. Il y disposait, au moins, d’un petit ancrage : depuis 2011, Lotito était propriétaire de la Salernitana, au sud de la région. Son bilan sportif – trois montées en cinq ans – fièrement étalé n’avait pas payé politiquement, le président laziale ayant été balayé dans les urnes. À force de persister, il a obtenu son siège. D’aucuns lui prêtent des ambitions politiques pour renverser le rapport de force, dans les multiples bisbilles opposant sa Lazio à la Fédé. Fustigé pour avoir empêché Ciro Immobile de rejoindre la Nazionale en Hongrie dimanche, Lotito senattore aura-t-il plus de poids face aux instances ? Celui qui a promis de « ne pas trahir » la voix des Molisans sitôt élu doit faire face à ses engagements. Reste à savoir qui du Campobasso Calcio ou du système de santé local se relèvera en premier.

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