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Claude Le Roy : « À l’évocation de Mandela, les joueurs devenaient fous »

Propos recueillis par Victor Le Grand
Claude Le Roy : «<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>À l&rsquo;évocation de Mandela, les joueurs devenaient fous<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>»

Le chef de l'État sud-africain Jacob Zuma vient de l'annoncer à la télévision : Nelson Mandela, premier président noir de l'Afrique du Sud, est mort ce jeudi à l'âge de 95 ans. Claude Le Roy, fraîchement nommé sélectionneur du Congo, a eu l'immense privilège de le rencontrer. Pour So Foot, il se souvient de cette entrevue, « la plus fascinante » de sa vie. Hommage.

À quand remonte votre premier séjour en Afrique du Sud ?C’était en 1996, à l’occasion de la Coupe d’Afrique des nations. La chaîne Canal Plus m’avait demandé de couvrir la compétition avec Philippe Doucet et Grégoire Margotton. Un jour, le président de la CAF Issa Hayatou, qui était mon président quand je dirigeais l’équipe du Cameroun, m’a dit : « Il y a un dîner ce soir avec le président Mandela et j’aimerais bien que tu viennes. » Il m’a fait un des plus beaux plaisirs de ma carrière d’entraîneur. Il était avec sa petite fille. Je l’ai écouté parler un petit peu. Un moment, il est venu vers moi. Il m’a sorti une phrase on ne peut plus banale, mais tellement importante : « C’est quand même bien de s’occuper de la jeunesse. »
Ça vous a fait un petit quelque chose ?J’étais fasciné par lui. Pour moi Nelson Mandela, c’est le personnage de mon adolescence, de ma maturité. J’ai suivi toutes ses luttes. Ce que m’impressionnait le plus, c’était sa diplomatie. On aurait dit qu’il avait passé deux siècles au Quai d’Orsay. Puis, au hasard de ma carrière africaine, l’Afrique du Sud est devenu le seul pays où nous, acteurs du football africain, n’avions pas le droit d’aller à cause de l’Apartheid. Je suis allé dans quasiment tous les pays d’Afrique, sauf la Libye – où je suis allé il y a quelques mois – et l’Erythrée. L’occasion m’était offerte de venir ici et, d’une façon incroyable, de me retrouver dans le même lieu que Nelson Mandela.
Quelques années plus tard, vous y êtes retournés pour prendre les rennes d’une sélection mondiale en l’honneur de son 89e anniversaire…Cette fois-ci, je n’ai pas eu la possibilité de le rencontrer à nouveau. Il ne s’était pas déplacé, car déjà malade. On jouait contre une sélection africaine et à un moment donné, la FIFA s’est demandée sur quel banc j’allais m’asseoir (rires). Le stade était plein à craquer. Durant ce voyage, ma femme et moi avons passé plusieurs jours avec tous ses compagnons de prison sur l’île de Robben Island. Avec ses plus proches, tous ses meilleurs amis, dont certains sont restés enfermés 27 ans avec lui. J’étais très étonné du fait que le premier endroit qu’ils souhaitaient absolument nous monter en priorité, c’était cette île.
Pour quelle raison ?Tous les jours, ils jouaient au football sur un petit terrain en contre-bas de la prison. J’ai, ce jour-là, pris conscience à quel point ce sport était un fil qui les reliait au monde. On a visité la cellule de Nelson Mandela. Puis on est partis dans cette petite chaloupe avec tous ses compagnons. On a commencé à jouer un peu au foot avec eux, à tirer les pénalties, avec tous les enfants qui étaient là. Tous nos maillots étaient floqués du numéro de prisonnier de Nelson Mandela. C’est étonnant car d’autres sports comme le tennis, le golf, l’athlétisme ou la natation continuaient à avoir des fédérations, et donc des sélections durant l’Apartheid. Au moins sur ce point, la FIFA a toujours été très claire en coupant du monde la sélection sud-africaine de football. Et ça, certains prisonniers le savaient. Quelque part, ça leur permettait d’exister encore.
Nelson Mandela était-il un passionné de football ?Je ne dirais pas ça. Il était d’ailleurs plutôt rugby, ou même golf à l’origine. Un sport qu’il pratiquait plusieurs fois par semaine avant d’entrer en prison. Je pense que c’est quelqu’un qui aimait le sport puisque c’est une activité essentielle de développement. Ce n’était pas une activité subalterne. Il aimait le foot, mais je ne suis pas sûr que c’était un vrai passionné. Il fut tout de même ébloui par la performance des Bafana Bafana dans cette Coupe d’Afrique des nations 1996, organisée chez eux. Je me souviens aussi d’avoir passé la soirée du titre avec toute cette équipe. On a vite dîné ensemble. On s’est retrouvés à prendre un verre. C’était comme une espèce de kaléidoscope de tout ce qu’était cette nouvelle Afrique du Sud : un retour au plus au niveau, une équipe multiraciale, composée de joueurs haut en couleur… Dans les couleurs donc, mais aussi dans les teints, dans les tons et dans les comportements. C’est peut-être la seule vraie équipe « arc-en-ciel » que le pays ait réellement connue.
Quel regard portez-vous sur l’état actuel du football sud-africain ?C’est un formidable gâchis. Ce n’est pas du tout un jugement méchant. Comme je l’ai toujours dit, l’enveloppe est formidable : des stades magnifiques, des maillots magnifiques, des ballons magnifiques, la qualité des soins, les sponsors… Tout ce qui fait rêver quand on entraîne une équipe africaine. Mais par contre, la lettre qu’il y a dans l’enveloppe est pleine de fautes d’orthographes ! Ils n’ont jamais mis assez l’accent sur la qualité des entraînements, le rythme des matchs, le niveau et la compétence des entraîneurs. Quand j’entraînais la RDC (République démocratique du Congo, ndlr), beaucoup de mes joueurs jouaient en club en Afrique du Sud. Quand ils revenaient avec moi en stage pour préparer la Coupe d’Afrique des nations ou la Coupe du monde, c’étaient ceux qui étaient les moins bons physiquement. Il y avait un déficit de préparation incroyable par rapport à mes autres joueurs.

Une délégation sud-africaine vous a d’ailleurs approché en 2006, pour reprendre le poste de sélectionneur…C’était quasiment fait. Ils sont venus à Paris me rencontrer. Ce que je viens de vous dire là, c’est exactement la nature de notre échange : « Bon je ne vais pas être complaisant pour vous dire les choses telles que je les ressens. Il y a un travail de fou à faire en quatre ans (jusqu’au Mondial 2010, ndlr). » Surtout pour mettre en place un beau football, offensif, tel que je le concevais. Donc nous nous sommes quittés et ils m’ont dit : « Ecoutez Claude, on est très impressionnés. C’est formidable tout ce que vous venez de me dire, c’est exactement ce qu’on recherche. » Puis par hasard, j’ai finalement appris que la FIFA avait poussé pour que Carlos Alberto Parreira prenne finalement les rennes de l’équipe. Dans le cadre de l’organisation de la prochaine Coupe du monde en Afrique, avec les sponsors et tout, ils voulaient un très grand nom du football mondial. C’est quelqu’un de bien mais complètement inadapté aux réalités africaines. On a vu ce que ça a donné…
« Je n’ai jamais banalisé ma rencontre avec Mandela »

Durant l’Apartheid, quelle pouvait être l’image du football sud-africain pour le reste du continent ?Aucune image. On n’avait vraiment aucune relation avec le football sud-africain. Il n’y avait pas tous ces médias, c’était un monde totalement hermétique pour nous. Un jour, j’avais même fait le tournoi Mobutu Sese Seko à Praia, au Cap-Vert. On était tous étonnés de voir des avions sud-africains se poser sur l’aéroport local. Ce qu’on ne voyait bien évidemment jamais nulle-part. Quand le football sud-africain s’est ouvert au monde, on a cru qu’ils allaient tout dévorer. On s’est tous dit : « Dans le secret, ils ont dû travailler comme des malades. » Puis finalement non, ils n’ont pas du tout marqué le football africain comme je l’avais anticipé.
Comparé au rugby, l’écart est impressionnant…Oui mais je peux vous assurer que l’amour pour le football est plus fort que pour le rugby. Le rugby possédait des moyens ô combien plus importants : c’était le sport des blancs. Le foot était l’activité des noirs, des classes populaires, des esclaves. Sociologiquement, le football était la référence pour le communauté noire. Parce qu’ils savaient que Nelson Mandela jouait au football à Robben Island. Le petit ballon de foot, c’était une arme de combat révolutionnaire, alors que le ballon ovale, le ballon « cabossé » comme on dit, ce n’était pas beau. Une forme bizarre, un peu comme les blancs (rires).
Quand le pays s’est « ouvert au monde » , comme vous dites, quelle fut alors la réaction des autres joueurs africains ?En 1998, quand pour la première fois je suis parti avec des joueurs africains en Afrique du Sud, avec la sélection du Cameroun, les types disaient : « Putain, c’est pas mal ces routes goudronnées, toutes ces petites maisons avec leur petite télévision. » Par rapport à certaines conditions de vie en Afrique noire, tout d’un coup l’image qu’ils avaient de ce pays s’effondrait. « C’est quand même pas mal ce qu’ils ont » , me sortaient-ils. Moi, j’avais pris ça dans la tête, en me disant : « Mais putain, ils n’ont pas si tort que ça. »
Vos ouailles vénéraient Mandela ?Incroyable ! Vous n’imaginez même pas. Rien qu’à l’évocation de son nom, les joueurs devenaient fous. Quand on leur demandait : « Mais qu’est-ce qui te ferait plaisir ? » C’était tout le temps : « Rencontrer Nelson Mandela. » Il faut vivre en Afrique pour se rendre compte à quel point il a marqué ce continent et les couches populaires. C’est la référence absolue. C’est aussi la référence parce que peu d’hommes auraient réussi ce qu’il a entrepris dans un contexte aussi tendu, sans qu’il n’y ait eu de bains de sang en représailles. Ce à quoi tout le monde pouvait s’attendre à un certain moment. Incroyable, vous dis-je ! Surtout quand on voit dans l’Histoire combien de femmes ont eu le crâne rasé pour une histoire d’amour avec un Allemand…
Dans votre parcours, avez-vous eu la chance de rencontrer d’autres personnes aussi influentes que Nelson Mandela ?Je termine ma 46e année de professionnalisme. Vous imaginez la chance que c’est ? C’est ahurissant : grâce au foot, j’ai eu la chance de rencontrer des sculpteurs, des peintres, d’aller dans des expos, de visiter des musées partout dans le monde… Moi je suis un fou amoureux de Rimbaud depuis mon enfance. J’ai eu la chance d’aller dans sa maison à Aden, au Yémen. Un jour, je faisais des conférences pour le Fifa dans les Antilles. Quand je suis arrivé en Martinique, on ma demandé ce qui me ferait plaisir. J’ai répondu : « Bah, la chose qui me ferait vraiment plaisir serait de rencontrer Aimé Césaire. » Ils m’ont dit : « Ah bon, comment c’est possible qu’un entraîneur de football… » Puis le lendemain matin, sur les coups de 6 heures du matin, à Fort-de-France, on m’a confirmé : « M. Cesaire vous accordera un quart d’heure. » Finalement, on a discuté pendant deux heures. On a effectivement parlé de Senghor, de la négritude, de poésie, des Surréalistes…
Mais Mandela, n’est-ce pas finalement la plus belle rencontre de votre vie ?La plus fascinante, c’est certain. Par son regard et son sourire. Par le magnétisme de son regard. Par sa douceur d’une force extrême. Je n’ai jamais banalisé ce moment. Je ne m’y attendais pas du tout, c’était incroyable… (Il marque une pause) J’étais en train de me dire : « Réalise bien la chance que tu as eue d’avoir été en face de cet immense personnage. »

Propos recueillis par Victor Le Grand

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