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Civelli : « Est-ce que je suis devenu un expert en pain ? Franchement ouais »

Propos recueillis par Georges Quirino Chaves à Buenos Aires
Civelli : « Est-ce que je suis devenu un expert en pain ? Franchement ouais »

À presque 38 ans, l’ancien défenseur de Marseille et Nice, deux équipes qui s’affrontent ce mercredi, joue encore. Après avoir failli revenir en France à Ajaccio, Renato Civelli a finalement rempilé en Argentine sous le maillot du club d’Huracán. Son après-carrière est déjà assuré. Depuis plus d’un an, le seul type qui a osé embrasser Zlatan dans le cou a ouvert une boulangerie française en plein cœur du quartier cool de Palermo à Buenos Aires. Entre le choix de la bonne farine ou du bon entraîneur à Marseille (Sampaoli ?), entretien avec un mec qui propose de la socca et de la pissaladière.

Au début de la pandémie, la grande mode, c’était de faire du pain. Toi, avant tout ce délire, tu avais décidé d’ouvrir ta boulangerie.J’aimais bien l’idée. À chaque fois que je vais dans un autre pays, je me dis : « Qu’est-ce qu’il y a ici qui pourrait fonctionner en Argentine ? » Au début, je voulais m’associer avec la franchise Paul. Pour ça, je suis allé à leur siège à Marcq-en-Barœul près de Lille. J’ai même pris ma voiture jusqu’au Luxembourg pour voir toute la production. Je suis resté douze heures là-bas ! Finalement, je crois que mon profil – joueur de football – ne leur a pas beaucoup plu. Par la suite, grâce à un ami français qui bosse dans la production de farine ici, j’ai rencontré les gens de Gontran Cherrier qui étaient intéressés par l’Argentine. Ça s’est fait comme ça, un peu par hasard. Je suis associé avec mon frère Luciano et un ami qui vit au Mexique. On doit ouvrir cinq établissements d’ici à décembre 2022. Avec tout le contexte économique, le retour sur investissement va être un peu plus long que prévu, mais ça va. L’idée était de rester proche de la France. Avec ma femme, on a beaucoup hésité à rester vivre là-bas, mais on a finalement choisi l’Argentine. Mes filles vont au lycée français de Buenos Aires. Avec la boulangerie, c’est une excuse en plus pour revenir en France au moins une fois par an.

Au début, je voulais m’associer avec la franchise Paul. Pour ça, je suis allé à leur siège à Marcq-en-Barœul près de Lille.

C’est quoi le secret d’une bonne baguette en Argentine ?Les farines d’ici s’hydratent moins que les françaises que nous on utilise. La farine française, tu peux l’hydrater jusqu’à 80%. Celles d’ici jusqu’à 60. Le blé est différent. Est-ce que je suis devenu un expert en pain ? Franchement, ouais. En ce qui concerne la recette, c’est partout pareil, mais je préfère ne pas révéler la nôtre. Ce que je peux dire, c’est que chez nous, il n’y a rien d’industriel. Tout est artisanal.

Je mange tous les jours dans mon établissement pour savoir ce que valent mes produits. Je me mets un peu dans le costume de l’entraîneur.

Tu as l’air d’avoir bien pensé ton après-carrière. Tu as même déjà un profil LinkedIn.Tu ne vas rien y trouver de ma vie de footballeur. Je m’en suis surtout servi pour chercher du personnel. Un consultant qui vit à Miami et a écrit trois livres sur l’après-carrière m’aide beaucoup. J’apprends tout ce qu’il faut pour être un bon entrepreneur, prendre des décisions rationnelles, avoir les bonnes connaissances. Ça m’a toujours plu. Quand j’étais jeune, j’ai fait des études de sciences économiques. Mes parents avaient insisté pour que je fasse ça parce qu’ils ne croyaient pas vraiment au football. Pareil pour mon frère. Et puis je suis arrivé en équipe première et j’ai arrêté. Pour la boulangerie, je pensais faire ça après ma carrière, mais l’opportunité s’est présentée, et il ne fallait pas la rater. Je vais à l’entraînement le matin et après je viens ici. C’est assez complémentaire, même si au début c’était dur, surtout mentalement avec tous les trucs administratifs à gérer. Je mange tous les jours dans mon établissement pour savoir ce que valent mes produits. Je me mets un peu dans le costume de l’entraîneur. Finalement, ça ressemble un peu à un club. Il faut constamment prendre des décisions. Tu sais que parfois, tu vas devoir décider des choses qui ne vont pas faire que des heureux, mais c’est toujours pour le bien de l’équipe. Je sais que certains n’aiment pas avoir le rôle du mauvais, mais personnellement ça ne m’a jamais dérangé. Chez moi, j’ai les caméras du local. Si par exemple, je vois quelqu’un avec le masque sous le nez, j’appelle direct le responsable ! Je vérifie les comptes. Franchement, j’aime bien.

Ça ne te donne pas envie d’être vraiment coach du coup ?J’y ai pensé, mais non. Trop intense. Dans ma carrière, j’ai toujours pris des décisions sportives, familiales et économiques. Après c’est sûr que d’être coach, c’est peut-être plus rentable que d’avoir une boulangerie ! Mais niveau famille, refaire vivre à ma femme, et maintenant à mes filles, vingt ans de folie, je dis non. Je n’ai pas suffisamment envie de ça. Après peut-être que dans quatre ans, je vais devenir fou, le foot va me manquer et je vais intégrer un staff technique.

J’entre sur une pelouse, je me sens encore dans mon univers. J’oublie tout ce qu’il y a en dehors et je profite. Je sais que ça va me manquer quand je vais arrêter.

Tu as été en contact avec Ajaccio pour refaire une pige en France. Finalement, tu as rejoint Huracán avec qui tu es en contrat jusqu’en décembre. À presque 38 ans, pourquoi tu joues encore en vrai ?Je suppose que ce sera ma dernière année. Le truc, c’est que j’adore toujours autant la compétition et entrer sur un terrain de foot. Ce qui est dingue, c’est que je continue à mal vivre les défaites, alors qu’à mon âge, j’ai perdu un paquet de matchs ! Je ne sais pas. Quand j’entre sur une pelouse, je me sens encore dans mon univers. J’oublie tout ce qu’il y a en dehors et je profite. Je sais que ça va me manquer quand je vais arrêter. En revanche, ce qui me dégoûte à chaque fois un peu plus, c’est tout ce qui est extérieur au sportif. Quand j’étais petit, je m’en foutais un peu ou j’acceptais. Maintenant, je ne le supporte plus. Par exemple, certaines décisions de dirigeants ou aujourd’hui les réseaux sociaux. Personnellement, je n’en ai pas, mais je vois comment ça affecte les jeunes. Il n’y a pas que ça, mais disons qu’avec mes années d’expérience, j’ai une idée plus précise des choses et souvent je ne suis pas d’accord et je le manifeste même si j’ai toujours été respectueux de l’autorité.

Tu as eu des problèmes qui t’ont récemment poussé à quitter Banfield, ton club historique…Des problèmes, pas seulement en raison du contexte économique, mais surtout dus aux mauvaises habitudes du football ici. On te fait croire que c’est normal s’il y a un retard de paiement sur ton salaire. Au début, c’est deux mois. Après c’est trois, quatre… Et ils finissent par ne pas te payer parce que tu cèdes, surtout quand tu as un lien important comme j’avais avec l’institution. Mais à force de céder, à un moment tu exploses. Quand je suis parti, ils me devaient un an et demi de salaire. C’est beaucoup. Le pire, c’est que ma situation est hyper commune ici.

Le business de la boulangerie est presque plus stable que joueur de football en Argentine.

C’est comment économiquement aujourd’hui ?La télévision a toujours continué de payer. Je ne sais pas si la situation va beaucoup s’aggraver pour les clubs. Le truc, c’est qu’au fil des ans, les salaires ont beaucoup baissé par rapport aux championnats voisins et pas seulement si on se compare au Brésil. En dehors des grands clubs argentins, aujourd’hui un joueur réfléchit un peu plus quand il voit un salaire de 5000 dollars au Chili par exemple, parce que c’est plus qu’un salaire moyen ici. Il y a de plus en plus de footballeurs qui préfèrent aller jouer en Équateur, en Bolivie ou au Pérou. Il y a quatre ou cinq ans, c’était impensable. Le business de la boulangerie est presque plus stable que joueur de football en Argentine.

Il faut savoir que si tu vas jouer au Mexique, tu peux gagner pareil que dans un championnat européen même si tu n’es pas un joueur top.

Il y a de plus en plus de jeunes Argentins qui partent aux États-Unis, au Mexique ou même dans les pays arabes…L’idée d’un footballeur ici, depuis toujours, c’est partir. Les propositions arrivent, et tu dois décider très vite. Moi, j’ai eu la chance que Marseille, un grand club d’Europe, me contacte. Mais si une équipe grecque m’avait appelé avant, j’y serais sûrement allé ! Aujourd’hui, la réalité, c’est qu’il y a beaucoup plus de marchés que quand j’étais jeune. Par exemple, la MLS, ça n’existait pas pour moi. Il faut savoir que si tu vas jouer au Mexique, tu peux gagner pareil que dans un championnat européen, même si tu n’es pas un joueur top. Ils ne peuvent pas se payer Messi, mais ils payent bien en général, souvent mieux que le salaire moyen en Ligue 1. Un joueur que tu payes 70 000€ brut en France, il est payé 70 000$ net au Mexique. Après, l’Europe, ça reste l’Europe au niveau prestige.

Sur Sampaoli, je ne sais pas trop. Il n’est pas très bien vu ici. Les gens n’ont pas oublié ce qu’il a fait avec la sélection. Il n’a pas bien géré le cas Messi.

En parlant d’un Argentin en France… Sampaoli à Marseille, ça t’inspire quoi ?J’ai reçu mille appels de gens de Marseille pour savoir ce que j’en pensais ! Mon frère l’a eu comme entraîneur au club Universidad du Chili. Il y était allé parce que Sampaoli l’adorait. Il lui avait dit : « Où j’irai, je t’emmène avec moi. » Ça se passait super bien entre eux. Trois mois plus tard, il a pris la sélection du Chili. Pas de chance ! (Rires.) Sur Sampaoli, je ne sais pas trop. Il n’est pas très bien vu ici. Les gens n’ont pas oublié ce qu’il a fait avec la sélection. Il n’a pas bien géré le cas Messi. C’était bizarre. Son rapport avec les joueurs a été compliqué. En revanche, c’est un bosseur et un passionné.

Les supporters à Marseille ont plutôt l’air d’être emballés par l’idée. Tu te méfies un peu ?Oui. Le problème, c’est qu’on le compare à Bielsa qui a laissé un grand souvenir. Si tu suis ce que veulent les supporters et que ça se passe mal, ensuite ils viennent te voir et te disent : « Le responsable c’est toi parce que tu décides. » L’idée de Sampaoli me séduit, mais il faut vraiment voir comment le mariage pourrait se faire avec les joueurs. J’adorerais toujours qu’un Argentin réussisse à l’OM, mais j’ai surtout l’impression qu’il n’y a pas un bon candidat pour ce Marseille-là. Il y a des problèmes avec le groupe, le président est remis en question, les supporters sont tendus… Quand il n’y a pas de stabilité dans la structure du club, c’est difficile que les résultats suivent. Marseille, c’est toujours compliqué, mais là je trouve que c’est plus qu’avant. Avec Paris tout en haut maintenant, c’est quoi quelque chose de bien à l’OM désormais ? Il faut régler le niveau d’attente.

Le club avec lequel tu as gardé des affinités en France, c’est surtout Nice…Sans aucun doute. C’est l’équipe que je suis le plus, même si c’est un peu difficile de voir les matchs ici parce qu’ils ne sont pas diffusés à part pour les grosses rencontres. Un pote m’a recommandé une application arabe l’autre jour, mais ça ne marche pas ! Je me débrouille. Mais oui, c’est le club où j’ai le plus joué et auquel je m’identifie avant les autres. J’ai encore plein de relations avec les employés, les kinés, les intendants et même le staff technique actuel avec Fred Gioria ou Didier Digard, mon ancien coéquipier. L’autre jour, j’ai même participé à distance à la remise de l’Award du joueur le plus hargneux du club ! Avec le Gym, je sais qu’à un moment, on retravaillera ensemble. Je ne sais pas comment, mais je pense que quand je vais arrêter de jouer, il y aura une possibilité. À la direction sportive ? Je ne sais pas parce que ce sont des postes très importants. Pourquoi pas dans le scouting, la détection en Argentine ?

Ici, on sert la socca et la pissaladière, les plats typiques de Nice ! On est les seuls à faire ça à Buenos Aires. Les clients adorent.

Nice est même présent dans ta boulangerie…Ici, on sert la socca et la pissaladière, les plats typiques de Nice ! On est les seuls à faire ça à Buenos Aires. Les clients adorent. C’est un peu compliqué de faire la socca comme à Nice, mais je crois qu’on ne s’en sort pas trop mal. Après, on ne peut pas la comparer avec celle de Chez Pipo ! (Établissement historique de Nice, spécialisé dans la socca, NDLR.) Au début, on servait aussi un cocktail qui s’appelait « Paris Paris on t’… » Finalement on l’a enlevé. Certains pensaient que c’était « On t’aime ». (Rires.)

Propos recueillis par Georges Quirino Chaves à Buenos Aires

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