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C’est quoi ce bordel en Bolivie ?

Par Ruben Curiel
C’est quoi ce bordel en Bolivie ?

Un président de Fédération qui signe des contrats en prison, des joueurs majeurs qui refusent les convocations de la sélection, des militaires dans le staff, et un niveau de jeu très inquiétant avant le début des éliminatoires pour la Coupe du monde 2018. Le football bolivien va très mal. Et ce n'est pas près de s'arranger.

Le 5 septembre dernier, l’Argentine a explosé la Bolivie en match amical. Un 7-0 infligé par une équipe alternative proposée par Tata Martino, face à des Boliviens qui venaient juste d’apprendre la nomination d’un nouveau sélectionneur. Ce match n’aurait d’ailleurs jamais dû se dérouler. Carlos Chávez, président de la Fédération bolivienne actuellement incarcéré, a signé le contrat pour le déroulement de cette rencontre amicale depuis la prison de Palmasola, réputée comme l’une des plus dangereuses du pays. Ce dernier a même exigé que la Fédé soit payée à l’avance pour ce match. Ajoutez à cela l’intronisation de Júlio César Baldivieso – l’homme qui a fait débuter son fils en première division à l’âge de douze ans – au poste d’entraîneur de « La Verde » , et vous obtiendrez un savoureux cocktail (Molotov). Décryptage d’une crise, entre corruption, retraites internationales et militaires dans le staff technique.

Président en prison

Si vous cherchez la Bolivie dans le classement FIFA, allez donc fouiller derrière le Cap-Vert, la Guinée équatoriale ou encore le Panama. Pire sélection sud-américaine, la 67e nation mondiale pâtit de la désastreuse gestion de Carlos Chávez, président de la FBF, depuis 2006. Incarcéré depuis juillet, l’ancien trésorier de la CONMEBOL collectionne les chefs d’accusation : blanchiment d’argent, trafic d’influence, arnaques. Un match amical joué en avril 2013 entre la Bolivie et le Brésil est à l’origine de la (relative) chute de l’homme aux trois mandats à la tête de la Fédération bolivienne. Cette rencontre était originellement organisée pour rendre hommage à Kevin Beltrán, jeune supporter tué par un fumigène lors d’un match de Copa Libertadores entre San José et Corinthians. L’argent récolté pour ce match devait être versé à la famille de la victime. Mais le père du défunt a affirmé à plusieurs reprises qu’il n’avait « pas touché un seul centime » . Chávez est aussi concerné par le scandale de la FIFA. La Fédération aurait touché la somme de 7,5 millions de dollars pour d’obscurs droits télévisés.
Le président bolivien et grand fanatique de football Evo Morales a longuement affirmé sa volonté de voir Chávez derrière les barreaux. José Miltón Melgar, ancien international qui a disputé la Coupe du monde 1994 avec la sélection bolivienne, explique l’origine de cette crise : « Cette crise traîne depuis longtemps. Le football est la seule activité qui peut unifier le pays. J’ai joué le premier Mondial de la Bolivie, et j’ai cru au début d’une ère. Cela s’est transformé en frustration et impuissance. On ne peut rien concrétiser pour développer le football national. Des alternatives ont été présentées, mais elles ont été ignorées. Notre pays doit être le seul qui n’a pas de politique nationale pour le sport. Ce gouvernement et les précédents n’ont toujours pas compris l’importance du football pour les Boliviens. » Comprendre, la Fédération ne peut plus agir seule. Une situation qui préoccupe Melgar : « C’est une crise institutionnelle bien trop profonde. Nous avons touché le fond. On réclame depuis longtemps l’intervention de l’État. La situation économique catastrophique est presque normale : aucune entreprise privée ne peut investir dans ce pays. » En attendant, Chávez, préside toujours la Fédération depuis sa cellule. La CONMEBOL l’a même rappelé officiellement à travers un communiqué, affirmant qu’elle ne reconnaissait pas Marco Ortega, qui se proclame comme le nouveau président de la FBF.

Retraite anticipée pour les cadres

Sur le terrain, la situation est tout aussi pathétique. Nommé en lieu et place de Mauricio Soria, Júlio César Baldivieso doit reconstruire une équipe totalement décimée. Marcelo Martins, meilleur attaquant de la Verde, et Ronald Raldes, capitaine ont quitté le navire. Un conflit entre les joueurs et la Fédération qui a accouché d’une menace de grève est ici en cause. Pour Wálter Torrico, secrétaire général de la Fédération bolivienne, ces retraites « font partie d’un complot qui vise à déstabiliser la sélection » .

Des déclarations balayées d’un revers de main par Gustavo Quinteros, actuel entraîneur de l’Équateur, et sélectionneur de la Bolivie de 2010 à 2012 : « Je ne sais pas pourquoi ils ont décidé de quitter la sélection. Ce n’est en rien un complot : ces joueurs ont toujours été prêts à donner leurs vies pour leur pays. Il y en a plusieurs qui devaient payer les voyages de leurs poches ! » José Miltón Melgar confirme : « Ce sont des déclarations d’une personne qui veut faire du bruit, mais qui est bien trop éloignée de la réalité. Chaque joueur qui a décidé d’arrêter la sélection l’a fait de manière personnelle. Ils n’ont aucune intention de préparer un complot. »

Chef militaire

Et le problème de la sélection trouve très certainement son origine dans la pauvreté du championnat local, selon Quinteros, qui a joué et entraîné en Bolivie : « Il y a depuis toujours un conflit entre dirigeants de la Ligue et la Fédération. Et cela affecte directement le quotidien de la sélection nationale. Le seul moment où la Bolivie a connu une certaine harmonie, c’est en 1994, lorsque la sélection s’est qualifiée pour le Mondial aux États-Unis. À partir de là, il n’y avait plus aucune collaboration. » Et de poursuivre : « C’est une crise qui est ancrée depuis longtemps. Les clubs ont des problèmes économiques, l’organisation des tournois professionnels et la formation des joueurs sont profondément affectées. Il y a de moins en moins d’enfants qui jouent au football. Et ce n’est pas un hasard. Cette crise, je l’ai vécue et j’en ai témoigné en tant que joueur et entraîneur. La Bolivie ne peut pas être au niveau des sélections sud-américaines. »
La sélection va donc débuter les éliminatoires pour la Coupe du monde 2018 (le 8 octobre, face à l’Uruguay) avec un groupe décimé et désuni. Qui a dernièrement eu une visite plutôt inattendue. Júlio César Baldivieso a décidé d’engager un chef militaire pour motiver les joueurs. « Je leur ai parlé de loyauté, de discipline, de valeurs, d’honneur et de patriotisme » , raconte Augusto Arévalo, membre du Collège militaire et chargé du discours. La campagne de qualification au Mondial risque donc d’être compliquée. José Miltón Melgar conclut : « À domicile, on peut accrocher quelques résultats, parce qu’on joue dans des conditions difficiles pour les visiteurs(le stade d’Hernando Siles se situe à environ 3000 mètres d’altitude, ndlr). Mais c’est impossible que la sélection se qualifie. »

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Par Ruben Curiel

Tous propos recueillis par RC

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