- Euro 2012
- Groupe A
- Pologne/Grèce
C’est par où, la sortie de l’Euro ?
La Grèce a remporté l’Euro en 2004. Et depuis, toute l’Europe du ballon rond essaie d’oublier le cauchemar de Lisbonne. C’est terrible à dire, mais si la Grèce est dans l’Euro, comme dans l’UE, c’est surtout parce qu’on ne sait pas comment s’en débarrasser. D’aucuns diront que c’est, en quelque sorte, la preuve d’un certain sens de la continuité historique pour la « mère de notre civilisation occidentale ».
Commençons par le contexte. Les deux grands malades de l’économie européenne campent aussi les deux extrêmes de cet Euro sur le plan sportif. Alors que l’Espagne part favorite malgré son championnat surendetté et un pays dont la fameuse « note » vient encore de tomber de trois crans (BBB), la Grèce, au bord de l’abîme, est abonnée au rôle, a priori beaucoup moins réconfortant, du petit dernier, dont on se demande ce qu’il fout là, bien qu’il sorte la tête haute et invaincu de son groupe de qualif.
Donc la Grèce sera encore dans l’Euro, tout du moins au mois de juin. Cette simple phrase, autrefois anodine, prend désormais un double sens qui terrorise tous les ministres des Finances qui se réunissent à Bruxelles, l’attaché-case rempli d’anxiolytiques. C’est peu dire que le football grec défend, lors de cette compétition, davantage que sa faible aura et sa réputation, essentiellement défensive et collective, sur le terrain. Il va devoir redorer le blason d’un pays où un député néo-nazi gifle en direct son homologue féminine communiste et dont le bon peuple retarde sciemment le paiement de l’impôt, en attendant le retour de la drachme. À défaut de beau jeu, nos amis hellènes prient au moins pour une revanche sur l’Europe, voire pour faire bouffer la feuille de match à la Mannschaft, tout comme les exigences de Merkel leur ont bouffé la feuille de paye. Voici donc l’équipe la plus politique de cette compétition, à son corps défendant. Et elle aurait sûrement aimé compter sur le soutien du gouvernement, s’il y en avait un, et de la classe politique, si elle ne préparait encore et toujours les prochaines législatives. « Quand il s’agit de se battre pour l’équipe nationale, il n’y a plus de place au doute » , dixit le capitaine grec Giorgios Karagounis. Parce que pour le reste…
Le salaire du sélectionneur augmenté
La Grèce et l’Euro, une belle histoire pour journalistes. La patrie de la démocratie, de la philosophie, de la mythologie, un bon condensé de lieux communs pour lecteur de Géo qui s’effondrent devant l’imbattable réalité capitaliste des déficits publics. Et, dans le foot européen, le vieil ami que l’on s’apprête à virer de la zone Euro pour sauver ce qui peut l’être à l’ouest du Danube, demeure un éternel invité qu’on n’attend pas, toujours regardé comme la plus ennuyeuse formation du tournoi. Surtout cette année, la crise aidant, et le risque approchant d’implosion de la zone euro – cet ancien eldorado économique à la porte duquel frappaient tous les ex-membres du bloc soviétique il n’y a pas si longtemps – sa présence se révèle encore plus incongrue. Des preuves de la faute de goût : un championnat qui se remet à peine d’un scandale de paris et de matchs truqués à faire passer le Calcio pour une jouvencelle, des clubs qui sombrent corps et âmes et ne paient plus leurs joueurs (un tiers, au moins, accumulerait plus d’une demi-saison d’arriérés de salaires), eux-mêmes plombés par leur propre dette contractée auprès d’un État qui loue désormais ses policiers, son AEK Athènes interdit d’Europa League (35 millions d’euros de dettes dont 23 auprès de la puissance publique) et première victime facile du fair-play financier, et ses supporters tellement désespérés qu’ils craquent des fumis dans des piscines. Ce n’est plus 300, avec ses beaux effets spéciaux sur corps huileux néo-païens, mais plutôt Ken Loach, époque My name is Joe et ses costumes achetés à la friperie du coin pour faire vrai.
Certes, la sélection ne risque pas de se serrer la ceinture en Pologne. La fédération avait bien négocié ses partenariats et elle a même osé augmenter le salaire de son entraîneur portugais, Fernando Santos, ce qui fit malgré tout grincer quelques dents. Mais, au moins, cet argent ne sortait pas des caisses vides du pays. Ce dernier va donc tenter de rééditer l’exploit de 2004, avec toujours comme base, essentiellement arrière, des cadres issus d’un championnat dont la plupart des clubs n’ont plus le droit de recruter (dont l’AEK, l’Aris Salonique, le Panionios, le PAS Giannina, Corfu, l’OFI Crète …) et quelques rares stars évoluant en Bundesliga (Kyriakos Papadopoulos à Shalke 04, où il est surnommé affectueusement Babyface), voire à Monaco (Giorgios Tzavellas) ! Alors pourquoi y croire ? D’abord parce que, pour le coup, jamais une sélection nationale n’avait finalement autant porté les espoirs d’un peuple, sans par ailleurs que celui-ci n’attende forcément le moindre exploit. Pas de pression, ni d’illusions, juste du rêve devant la télé (à peine 3000 supporters se déplaceront), voire la foi en une dernière utopie. Car, si la Grèce remporte l’Euro cette fois-ci, ce serait un peu comme si Alexis Tsipras, le Mélenchon du Pirée (en plus aimable avec la presse), devenait le nouveau président de la BCE.
Nicolas Kssis-Martov