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Carlos Tenorio : « L’Équateur peut atteindre les quarts de finale »
Buteur lors des deux dernières Coupes du monde de la Tricolor, Carlos Tenorio est désormais président de l’association des footballeurs équatoriens. Un rôle qui lui permet d’évaluer l’évolution du football de son pays avant le match d’ouverture de ce Mondial 2022.
Vous êtes actuellement au Qatar, pour suivre la sélection. Vous avez eu l’occasion de croiser des faux supporters de la Tri depuis que vous y êtes ? (Rires.) Je n’en ai vu aucun ! En revanche, je me suis déjà entretenu avec quelques vrais supporters. Beaucoup d’Équatoriens ont fait le déplacement et ils sont tous impatients d’être à dimanche.
Vous retrouvez le Qatar après avoir joué à Al-Saad entre 2003 et 2009. En 2006, vous avez même été pichichi du championnat. Vous trouvez que le pays a beaucoup changé depuis votre départ ? Pour commencer, je dois avouer que je garde beaucoup de bons souvenirs de mon passage ici. À l’époque, l’Argentin Gabriel Batistuta jouait pour Al-Arabi, et entre nous, il y avait un duel à distance tous les week-ends. Il a fini meilleur buteur du championnat qatari, moi aussi… Tout le monde ne peut pas se targuer d’avoir disputé un titre de meilleur buteur avec un crack comme lui ! Le Qatar fait partie de ma vie, mais ce pays n’a rien à voir aujourd’hui avec celui que j’ai connu. Au niveau des infrastructures, c’est une folie ce qu’ils ont réalisé ! Il y a eu un virage à 180 degrés. À l’époque, ils parlaient déjà de leur volonté de se développer, il y avait une véritable ambition de se moderniser, mais franchement, j’étais loin de me douter qu’il le ferait aussi vite.
Qu’est-ce qui vous a le plus surpris ? Les infrastructures, qu’elles soient liées au foot ou non… Elles sont toutes MERVEILLEUSES ! Je sais que ce Mondial irrite certaines personnes, mais il était temps que le monde arabe et musulman accueille une telle compétition. Alors oui, le Qatar doit encore progresser et s’améliorer dans plein de domaines, mais je pense que cette Coupe du monde va les aider à se moderniser au-delà de l’aspect architectonique. Un Mondial, c’est quoi en réalité ? C’est la connexion de plusieurs peuples et pays à travers un ballon. Le Qatar ne s’est jamais autant ouvert au reste du monde et j’ose imaginer qu’ils vont mettre tout en œuvre pour que ça se passe bien. Et puis, beaucoup de supporters vont découvrir la culture arabe et musulmane pour la première fois de leur vie. Culturellement, ça va être une découverte pour tout le monde. C’est plutôt une bonne chose, je trouve, non ?
La question du boycott a-t-elle été soulevée en Équateur ?Pour moi, la question qu’il faut se poser, c’est : est-ce qu’il est juste que le Qatar accueille une Coupe du monde ? Il y a évidemment plein de facteurs différents à prendre compte, mais au-delà de la dimension politique, je considère qu’il est plutôt juste que ce ne soit pas toujours des pays sud-américains ou européens qui soient hôtes de ce tournoi. Si demain la Coupe du monde se dispute en Inde ou en Antarctique, je serai content. C’est la Coupe du monde, il faut qu’elle puisse se disputer partout, pour tout le monde.
Quel regard portez-vous sur la sélection équatorienne ?On a une bonne équipe, avec beaucoup de jeunes joueurs. C’est une équipe dynamique, physiquement bien préparée, et à l’aise techniquement. On peut dire qu’elle est en phase avec le football moderne. 80% de nos joueurs évoluent aujourd’hui dans les meilleurs championnats du monde, je ne pense pas qu’ils vont avoir d’appréhension au moment d’entrer sur la pelouse. Ils savent ce que c’est de performer, ils ont l’ambition de très bien faire. Nos joueurs ont un véritable potentiel, et c’est aussi pour ça que tout le monde en Équateur rêve d’un joli parcours. Personnellement, je suis sûr que cette équipe peut faire mieux que celle de 2006.
Vous pensez que l’Équateur peut atteindre les quarts de finale ?Si tout se passe comme prévu, pourquoi pas ? On a du talent, les joueurs ont une bonne mentalité et puis on a un super coach en la personne du « Profe » Gustavo Alfaro. Quand il a pris ses fonctions en 2020, il a tout de suite misé sur les jeunes qui ont fini troisièmes lors du Mondial U20 (en 2019). Le football équatorien n’a plus envie d’être à la traîne. Ces dernières années, beaucoup d’efforts ont été réalisés au niveau des infrastructures. On travaille avec la meilleure technologie, il y a plus de suivi des jeunes joueurs. On s’aligne peu à peu avec ce qui se fait à l’étranger. Aujourd’hui, les équipes qui gagnent sont celles qui allient puissance, vitesse et jeunesse. Ce sont des aspects du jeu qu’on retrouve désormais dans pas mal de clubs équatoriens, notamment à Independiente Del Valle, qui a une très bonne académie. Il y a quelques années, l’encadrement des jeunes joueurs était quasiment inexistant parce qu’il n’y avait pas vraiment de politique de formation. Bien souvent, on les lançait à 16 ans en première division, et ils devaient se débrouiller tout seul. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas, tout est plus encadré. Il y a des suivis psychologiques, médicaux et éducatifs… On est sur le bon chemin.
Quel héritage a laissé la génération qui s’est qualifiée pour les huitièmes de finale en 2006 ?Comme on dit chez nous, on a déchiré le cellophane. Au-delà de ce huitième de finale, on est les premiers Équatoriens à avoir disputé une Coupe du monde (en 2002). En cassant cette coquille d’œuf, on est entré dans l’histoire du football de notre pays, c’est une fierté évidemment, mais cette histoire, il faut continuer à l’écrire… Avec tout ce qui est mis en place actuellement, on n’a plus d’excuses : désormais, la sélection doit être présente à chaque Coupe du monde.
Vous êtes président de l’association de footballeurs équatoriens. Concrètement, en quoi consiste votre rôle ?En Amérique du Sud, les droits des footballeurs sont souvent vulnérables, et mon rôle consiste justement à ce qu’ils soient respectés. Je me bats pour que tous les footballeurs équatoriens puissent jouir de conditions dignes et justes. Les joueurs sont les acteurs principaux du football, ils ont des droits qu’il faut protéger, mais ils ont aussi des devoirs, des obligations. On doit tous respecter ce pacte social qui a pour but de permettre au football équatorien de progresser.
Justement, pour éviter des « sanctions injustes » , la Fédération a demandé à Gustavo Alfaro de ne pas convoquer Byron Castillo (un joueur qui aurait bénéficié d’une fraude à l’état civil pour se faire passer pour un Équatorien alors qu’il est né en Colombie, NDLR). Quel regard portez-vous sur cette affaire ? Cette affaire a fait beaucoup de buzz et a conduit Byron à être privé de Mondial. C’est malheureux, car je le considère comme un Équatorien à part entière, ça fait des années qu’il est en Équateur… On est avec lui, on l’appuie. C’est une situation difficile, et il faut le protéger, d’autant qu’on parle encore beaucoup de cette affaire. J’ai entendu que s’il avait été convoqué pour le Mondial, l’Équateur se serait exposé à une pénalité de points lors des prochaines éliminatoires… En fait, on entend tout et n’importe quoi, et pour le bien de tous, il faut que tout cela soit tiré au clair pour qu’on puisse passer à autre chose.
Qui va avoir le plus la pression ce dimanche ? Le Qatar, qui dispute son premier match de Coupe du monde, ou les jeunes Équatoriens ?Le Qatar va vouloir faire bonne figure parce que c’est le pays hôte. C’est une belle pression, je trouve. Vous savez, l’être humain doit composer quotidiennement avec la pression et la peur. On est tous égaux devant ces deux grandes différences, mais dans la vie, si tu veux avoir du succès, tu dois transformer tes appréhensions en énergie positive. Tu n’accomplis rien de grand en ayant peur, donc j’espère que les joueurs de la sélection joueront avec l’envie d’aller de l’avant. Mon pronostic, c’est qu’on va être forts dans l’adversité. On va l’emporter.
Propos recueillis par Javier Prieto Santos