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  • Entretien (Partie 1/2)

Bruno Genesio : « On est seul quand on est entraîneur »

Propos recueillis par Thomas Rostagni à Décines-Charpieu
Bruno Genesio : «<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>On est seul quand on est entraîneur<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>»

Bruno Genesio évoque en longueur son quotidien d'entraîneur de l'OL, la gestion de son groupe, son caractère et l'Olympique lyonnais, le club pour lequel il a une licence pour la 38e saison. Entretien.

Vous racontez souvent que Pep Guardiola et Carlo Ancelotti sont vos entraîneurs préférés : qu’est-ce qui vous plaît chez eux ?D’abord, on retrouve les joueurs qu’ils ont été dans leur façon d’entraîner. Guardiola parce qu’il innove, invente des choses, pas pour le plaisir d’inventer, mais pour toujours trouver une efficacité maximale à son équipe. Il modifie son système de jeu, change les joueurs de poste, là où pas grand monde n’aurait pensé qu’ils allaient pouvoir s’exprimer. Je pense à Lahm au milieu de terrain au Bayern, mais il y en a d’autres. Il amène des principes de jeu très novateurs comme les latéraux qui rentrent à l’intérieur quand ils ont le ballon.

Rudi Krol et Wim Suurbier faisaient déjà ça à l’Ajax dans les 70s…Guardiola s’est énormément inspiré de ce qu’ont amené Rinus Michels et Johan Cruyff au Barça. Il y a joué et a perpétué ça en devenant entraîneur. J’aime la façon de jouer de ses équipes qui sont spectaculaires, prennent des risques, n’ont pas peur de se découvrir, de se déséquilibrer même, pour attaquer. C’est à double tranchant parce qu’elles peuvent se faire contrer, mais il se passe toujours quelque chose.

Et pour Carlo Ancelotti ?J’ai eu la chance de le découvrir à Madrid lors d’un stage pour faire valider mon diplôme d’entraîneur. Lui allie sa culture de joueur puis d’entraîneur italien et un gros travail organisationnel avec la fantaisie espagnole dont j’adore la fluidité technique et les vagues incessantes… Carlo fait bien jouer ses équipes. Il a un management qui me plaît : il aime échanger avec ses joueurs, les protéger, consulter son staff, gérer les ego sans se renier… J’ai également pu discuter avec Zinédine Zidane qui m’a beaucoup parlé de son passage à la Juve.

Ce que vous dites sur Ancelotti, on peut également l’attribuer à Zidane. Sous sa direction, le Real est devenu une équipe italienne avec des bases espagnoles.Exactement. Zidane a dû prendre de Carlo dont il a été l’adjoint. Pour moi, Ancelotti, c’est la rigueur italienne dans le domaine défensif, le travail tactique, la concentration dans la récupération du ballon, mais aussi le foot qu’on aime, fait de verticalité, de jeu porté vers l’avant… Zizou a la même philosophie…

Au très haut niveau, le 4-4-2 losange est compliqué.

Ancelotti, justement, a été l’adjoint d’Arrigo Sacchi avec la Nazionale à ses débuts qui exigeait que ses joueurs s’adaptent à son système, plutôt que le contraire… (Il coupe.) C’est un débat essentiel. Sacchi avait ses idées, celle-là en particulier… Lors du stage au Real, j’ai posé la question à Ancelotti sur son système de jeu préféré. Il m’a répondu : « Quand j’ai commencé comme entraîneur, je ne voulais jouer qu’en 4-4-2 (comme le Milan de Sacchi où il était titulaire). C’était l’organisation qui me plaisait le plus, la plus appropriée pour bien jouer et je souhaitais que mon équipe s’y plie. » Ensuite, il m’a expliqué qu’au fur et à mesure qu’il a avancé dans sa carrière, il s’est rendu compte que le plus important, c’était d’exploiter les qualités de ses joueurs à 100%. Dans ce contexte-là, il fallait être capable d’adapter son organisation aux qualités collectives et individuelles des joueurs qu’on a à sa disposition et de changer de philosophie. C’est ce qu’il a fait à Paris notamment ou à Milan avec l’arbre de Noël, le 4-3-2-1. Cette réflexion, qui date de dix ans maintenant, colle encore plus à la réalité du football moderne. Les coachs doivent être capables désormais de s’adapter à leurs joueurs, à l’adversaire, de changer de stratégie en cours de match, d’une rencontre à l’autre parce qu’on dispose de beaucoup d’outils pour observer ses opposants. Il faut être capable de les surprendre et proposer de l’inattendu. C’est une des grosses évolutions de l’histoire du jeu.

Vous avez quoi en magasin comme systèmes à l’OL aujourd’hui ? Il ne vous reste que le 4-2-3-1, puisque vous dites vous-même que le 4-4-2 en losange est très risqué en haute altitude et il paraît qu’on ne peut pas jouer en 4-3-3 avec Nabil Fekir…Le losange au très haut niveau est compliqué. On a utilisé plusieurs systèmes, et en ce moment, on propose un 4-2-3-1, effectivement. On a eu un 3-5-2 avec trois centraux et Nabil derrière deux attaquants. Il faut toujours avoir en tête de proposer un système adapté aux qualités de ses joueurs. Nabil peut jouer à différents postes, mais là où il est le plus à l’aise, où il est le plus utile pour l’équipe, et c’est ce qui est le plus important, c’est derrière un ou deux attaquant(s) en numéro 10. Forcément, lorsqu’un de vos meilleurs joueurs s’exprime le mieux en position de 10, vous allez faire un système qui lui permet de donner le meilleur de lui-même. On a trois possibilités avec un dix : le 3-5-2, le 4-4-2 en losange et le 4-2-3-1.

Comment peut-on quantifier le travail d’un coach ?Il y a plusieurs critères. Le premier, ce sont les résultats sur la durée. Faire une bonne saison en Ligue 1, presque tout le monde peut y arriver ; le plus compliqué c’est de durer. Ensuite, il y a la façon dont on fait évoluer l’équipe, dont on la fait progresser en tant qu’entité et si les joueurs s’améliorent individuellement. Est-ce que l’équipe se bonifie ? Ensuite, est-ce que l’entraîneur est capable de s’adapter au contexte, à la philosophie d’un club ? Chaque club est différent, a son histoire, sa façon de faire et de penser, que l’on soit à Barcelone, à Manchester ou à Lyon. Enfin, quand on en parle entre coachs, ce qui ressort c’est la qualité du management. On est très « staffés » , on partage le travail au quotidien avec toute une équipe. Le plus gros du travail, si on doit évaluer un entraîneur, c’est dans sa faculté à gérer et à manager les hommes ; encore plus à Lyon et dans les grands clubs européens parce qu’on a affaire à des joueurs qui sont des stars, qui ont des ego très très… importants. Cela me semble un bon critère d’évaluation pour savoir si on est un bon manager-entraîneur, ou pas. Souvent, il y a une relation entre bien manager et avoir des résultats, être performant.

Il faut donc gérer des ego, mais aussi manager des compétences, celles de ses adjoints. Comme un réalisateur de cinéma…Bien sûr, il y a aussi un staff à s’occuper. Il y a moins d’ego dans le staff, mais ce sont aussi des personnes qui peuvent avoir des problèmes, des moments difficiles dans leur vie, qui ont besoin d’être reconnues dans leur travail, et c’est le job de l’entraîneur. On a des gens spécialisés, compétents dans chaque domaine. C’est important qu’ils sentent que vous les valorisez, que vous êtes capable d’être proche d’eux, de recadrer si nécessaire, que vous tenez la barre… C’est un métier difficile : on vit ensemble les joies comme les moments difficiles, tous les trois jours parfois. Il est vital de concerner, de motiver tout le monde parce que c’est dans les moments difficiles qu’on voit une équipe solidaire, soudée, ce qui permet de passer des caps le moins mal ou le mieux possible. C’est la force de l’OL, une des raisons pour lesquelles le club est monté et reste à un très haut niveau. De temps en temps, il y a des secousses et on les passe pour l’instant, je touche du bois, assez bien.

Qu’est-ce que ça vous a apporté d’être adjoint ?J’ai d’abord été analyste vidéo, j’observais les adversaires. Comme adjoint, ce que j’aime c’est l’entraînement. Ça me rappelle aussi comment me comporter avec eux. Il ne se passe pas un jour où je ne me demande pas : « As-tu suffisamment concerné tes adjoints ? Les as-tu valorisés ? Accordé assez d’attention ? » Je m’interroge sans cesse parce que lorsqu’on est adjoint, on travaille, on est épanoui, mais le jour du match, la lumière est pour les joueurs, c’est normal, et pour l’entraîneur, quand on a gagné. Parfois, on se dit qu’on a bien fait notre job, mais que si le coach n’a pas cette pensée ou un petit mot après la rencontre, gagnée ou perdue, pour féliciter ou mobiliser les mecs, on a un petit peu de frustration. J’ai pris ça à Gérard Houllier qui est fort dans ce domaine. Naturellement, il avait toujours un petit mot, un geste pour tous les gens avec qui il travaillait. C’est très important dans le fonctionnement, dans l’ambiance générale qui nous entoure, parce qu’on est seul quand on est entraîneur. À un moment donné, on est seul. Quand vous perdez un match, vous êtes seul. Même si on a beaucoup de gens autour de nous, on est seul. Vous rentrez chez vous et vous dites : « Je n’ai peut-être pas fait la bonne compo, les bons changements et puis, qu’est-ce que je vais faire au prochain match ? » C’est sans cesse ça, et là, on est seul… On est seul, mais, quand on a une équipe soudée, ses leaders autour de soi, eh bien, on se sent un petit moins seul. C’est hyper important pour ne pas lâcher, pour conserver une énergie positive avec le groupe.

J’ai envie qu’on me reconnaisse par rapport à ce que je fais, à ce que j’ai fait et à ce que je vais faire.

Vous dites qu’un entraîneur, bien que très entouré, est fondamentalement seul.Parfois, oui. C’est très paradoxal ce que je vous dis puisqu’on travaille en équipe. Je délègue parce que c’est ma façon d’être et c’est ce que j’aime, mais à un moment donné, vous êtes seul. Face aux mauvais résultats, aux critiques, aux choix, vous êtes seul parce que c’est vous qui devez décider. C’est normal, c’est votre rôle. Chaque jour, parfois chaque heure, je prends des décisions. Quand ça va bien, pas de problème ; quand ça va moins bien, faut assumer. Vous êtes seul non pas parce que les gens ne sont pas avec vous, mais c’est vous qui vous sentez seul par moment. Lorsqu’on perd à Paris (0-5) en octobre, quand je rentre chez moi, je me sens seul. Par rapport aux défaites, aux responsabilités, à ce que j’ai fait…

C’est la nuit avant de dormir que vous vous sentez le plus seul ?Ouais. D’ailleurs, je ne dors pas. On s’endort, mais très tôt ou très tard. Une fois que je m’assoupis, je dors plutôt bien, mais il faut y parvenir. On repense à tout, même quand on a gagné. Là, quand on a battu Paris, je me suis endormi à 4h30 du matin. Le lendemain, j’étais avec Thomas Tuchel à une réunion de l’UEFA à Francfort sur la VAR, il n’avait pas dormi non plus pour d’autres raisons, c’est notre vie.

Certains de vos amis, vos collègues disent que vous ne vous mettez pas assez en avant. Vous « vendez-vous » suffisamment bien ?On me le dit souvent et ça doit être assez juste. À Madrid, j’avais posé à Carlo Ancelotti la même question que vous m’avez posée, « qu’est-ce qu’un bon entraîneur ? » , il m’a répondu : « C’est de rester soi-même, ne pas jouer un rôle. » Il a ensuite pris son exemple : « J’aime être consensuel, je n’aime pas trop le conflit. S’il y en a, je les gère. Je préfère tout faire pour les désamorcer en amont, plutôt que de m’en nourrir comme certains autres entraîneurs. » Il voulait parler de Mourinho, bien sûr, qui fonctionne différemment, mais il est comme ça. Il a ajouté : « Il faut que tu saches où tu te situes, où tu te sens bien et surtout ne change pas, ton caractère comme ta façon d’être. » Sans vouloir être prétentieux, pourquoi est-ce que je changerais ? Parce que je suis entraîneur de Lyon, parce que j’ai gagné quatre matchs ? Pourquoi essayer de jouer un rôle pour me vendre ? Du coup, on me le reproche, mais je me sens mieux comme ça. Je reconnais, et ce n’est pas un défaut, que je n’ai pas envie de me vendre, je ne suis pas là pour me vendre. J’ai envie qu’on me reconnaisse par rapport à ce que je fais, à ce que j’ai fait et à ce que je vais faire.

Lire la deuxième partie de l’entretien avec Bruno Genesio

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