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Breizh Fobal Klub, Breton jusqu’au bout des ongles

Par Nicolas Jucha
Breizh Fobal Klub, Breton jusqu’au bout des ongles

Il y a six ans, un supporter déçu du Stade rennais décidait de monter sa propre équipe. Après cinq années d’existence et trois montées, le Breizh FK tient toujours sur ses deux pattes et est déjà inscrit au Vrai Foot Day, la première journée européenne du foot amateur.

Un peu moins de six ans avant le coup de boule rageur de Mexer en finale de Coupe de France, le Stade rennais évoluait encore dans une enceinte appelée « Stade de la route de Lorient » et affichait un puissant ADN « lose » . Peut-être un peu trop puissant pour certains, un groupe de valeureux supporters venus entre potes assister à un énième derby contre le FC Nantes, ce 29 septembre 2013. Les Rouge et Noir se font bouffer par les Canaris (1-3), et dans les tribunes, le groupe d’irréductibles l’a mauvaise : comment peut-on supporter un club pareil ? Un membre de la bande, Kévin Canipel, s’avance et balance l’idée du siècle : « Allez, on monte notre club, on s’en bat les steaks, au moins on s’amusera et on sera sur le terrain. »

Le petit groupe considère le trentenaire comme un illuminé, avant de se prendre au jeu. Tous font une promesse : quitter leurs clubs respectifs pour être les pionniers de la nouvelle écurie. Alors Canipel ne se démonte pas. « Le soir même, je créais les statuts du club en pompant sur ceux d’un club existant, juste en modifiant les noms. » Quelques corrections plus tard, le 12 octobre, le Breizh FK est immatriculé à la préfecture d’Ille-et-Vilaine « comme le tout dernier club fondé à Rennes » . Devant Kévin Canipel et sa bande, il y a une année pour tout construire avant les débuts officiels.

Muscle tes maths

« Il y a eu beaucoup de choses à faire : se déclarer à la ville de Rennes, à la FFF, demander des terrains d’entraînement, un stade. Le plus cool, c’était de travailler sur le design du maillot et le logo. Au début, on visait le moins cher, donc à Décathlon. On a aussi dû chercher des partenaires pour avoir quelques sous. » Pour ce faire, il est décidé de miser sur l’identité bretonne. Même si Canipel ne « parle pas la langue » , et qu’il compte « s’y mettre un jour » . Il active ses réseaux et en touche même un mot à ses connaissances éloignées sur Facebook, dont Kévin Simon, qui est de son propre aveu « le premier sponsor du Breizh FK » . On est bien loin d’un partenariat de niveau Ligue des champions, mais c’est un bon début. « Mon entreprise, c’est une petite structure de soutien scolaire en mathématiques, pas de quoi me présenter comme un mécène. » Un petit pas parmi beaucoup d’autres qui permet d’avancer jusqu’à la préparation de la « saison 1 » du Breizh FK, en division 5 de district.

Le premier entraînement a lieu sur le terrain de la Motte Brûlon. « Un stabilisé dégueulasse plein de cailloux » , rembobine Canipel, qui souligne aussi « le niveau disparate des joueurs, certains n’ayant jamais joué en club comme Thomas, une crevette que l’on a mis en attaque pour éviter de prendre des risques » . Avec sa version réduite de Choupo-Moting et son armée mexicaine, le Breizh FK commence la saison en se prenant quelques valises, puis commence progressivement à enchaîner les victoires. Ainsi que les péripéties. Jérôme Rubin, revendiqué pied gauche le plus soyeux de l’effectif, énonce : « Pas de bol, en octobre de la première saison, Kévin se claque en plein match et se retrouve à ne pas pouvoir jouer pendant un bon moment. » L’intéressé estime que ce premier incident est parti d’une injustice : « J’étais énervé car j’avais commencé injustement le match sur le banc, l’entraîneur m’avait préféré Thomas, qui n’en rentrait pas une. J’ai voulu démarrer trop fort et sur une accélération… Ils se sont tous foutus de ma gueule après. » Un mal pour un bien selon Rubin : « Kévin a pu se focaliser sur la gestion. C’est un peu le Jean-Michel Aulas d’Ille-et-Vilaine, il a un discours fédérateur et les 27 joueurs de la saison 1 sont là pour lui. » Alors, sur le terrain, ses potes font le job en partie pour lui.

Joue-la comme Duga

Les résultats s’enchaînent, la position au classement remonte. Seule ombre au tableau, Kévin Simon décide d’imiter son président au challenge de la plus belle blessure. Dès sa première apparition. « Lors d’un match de Coupe du Conseil général, on se fait défoncer 6-0, je suis remplaçant, et le coach ne procède à aucun changement. Je bous sur le banc, et deux-trois minutes avant mon entrée, il se met à pleuvoir, l’herbe glisse. » La suite est du grand art, ou presque. « J’entre en jeu avec une énergie débordante. Je vois un ballon qui va sortir en touche et je claque un retourné acrobatique pour sauver la touche. Oui, juste pour sauver une putain de touche… » Le pied d’appui glisse, le bonhomme chute de tout son poids. « Les gars m’ont dit que mon poignet faisait le V de la victoire. Moi, j’ai surtout entendu le « crack » comme si on cassait une aile de poulet de mauvaise qualité. » L’artiste incompris y voit quand même du positif : « C’est la première évacuation par les pompiers de l’histoire du club, et c’était aussi la première fois que ma compagne, espagnole, rentrait dans un camion de pompiers. Une superbe expérience pour elle. »

Kévin Simon renaîtra de ses cendres tel un Christophe Dugarry millésime 1998, pour vivre les dernières marches vers la gloire de la première montée du Breizh FK. Notamment une avant-dernière journée à l’extérieur qui scelle la montée. « Un match gagné dans la douleur » , se souvient Kévin Canipel. « On n’y arrivait pas, on s’est même engueulés pendant le match, puis cela a tourné de notre côté. Après le match, on m’a balancé dans la douche pour fêter la montée, avant d’aller boire une bière. » La grande fête est prévue pour le dernier match de la saison au Stade de la Bellangerais – « notre Camp Nou à nous » v un match face à Île-et-Forêt. Canipel fait imprimer des flyers, claque 400 euros pour faire venir le Bagad de Cesson-Sévigné. Sans oublier les tee-shirts commandés pour l’événement. Sauf que… « Deux ou trois jours avant, ils nous appellent pour prévenir qu’ils vont déclarer forfait vu qu’ils n’ont que cinq joueurs disponibles. » Canipel ne peut accepter la fatalité. « J’ai dit « Pas question, on va vous filer des joueurs. » On a rameuté des potes pour renforcer leur équipe, notre entraîneur a fait l’arbitre… »

Rolland Courbis, Antero Henrique et les impératifs d’un grand club

La victoire par forfait se transforme alors en faux match officiel – « il fallait surtout marquer le coup, qu’il y ait une rencontre » – et permet de mettre un point final à une première épopée du Breizh FK. « Le beau clin d’œil, c’est que Thomas, notre avant-centre qui n’en mettait pas une, a marqué ce jour-là son seul but de la saison. Dommage qu’il n’ait pas été comptabilisé officiellement. » Les 27 pères fondateurs peuvent savourer, avec notamment un festin et une remise de récompenses à la pizzeria La Notte organisée par Canipel. « J’avais gagné le trophée Zinédine Zidane du plus beau but » , se souvient Jérôme Rubin. « Je m’en souviens bien, car c’est le plus beau but de ma vie : un contrôle en aile de pigeon du gauche, sombrero du droit sur le défenseur, et reprise du gauche en lucarne. » Kévin Canipel était d’ailleurs aux premières loges ce jour-là : « Je suis resté sans voix, ou alors j’ai dit simplement« Oh putain ! » C’était dingue, un but de Ligue des champions. »

Depuis la première campagne, le Breizh Fobal Klub a bien grandi : l’équipe fanion est en 2e division de District et compte deux réserves. Une équipe « loisirs » complète le tableau, alors que l’équipe U19 arrive la saison prochaine. « Les prochaines étapes, ce sera d’avoir une section basket et une équipe de football féminin, ce que l’on a failli mettre en place il y a un an » , souligne le JMA du 35. Contrepartie de la croissance, le groupe de potes du début s’est un peu fracturé. « J’ai rempilé pour la saison 2, mais finalement je me suis blessé, et une jeune femme est venue s’immiscer dans l’histoire, elle habitait loin, donc au bout d’un moment, j’ai décidé de passer les week-ends avec elle… » explique Jérôme Rubin, inspiré au moment d’illustrer sa séparation à l’amiable. Dans d’autres cas, c’est un peu plus difficile, comme avec le coach de l’équipe de la première montée. « J’ai un peu fait une Courbis » , explique Kévin Simon. « Le courant ne passait plus avec les joueurs, j’ai donc pris place à ses côtés pour essayer d’arranger les choses, puis finalement, je l’ai remplacé complètement. Et par la suite, j’ai eu une promotion, je suis devenu l’équivalent d’Antero Henrique au club. » Son président n’en garde pas moins la foi en son bébé, pour qui il voit grand : « Pourquoi pas avoir d’autres Breizh FK à travers la région ? L’idée, c’est d’être avant tout les garants de valeurs humaines et bretonnes, un club omnisports qui se stabiliserait à un bon niveau amateur. Mais que l’on soit plus qu’un simple club sportif. » Comment on dit « plus qu’un club » en breton ? « Dreist ar C’hlub. »

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