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Bouna Sarr, des claques et déclics

Par Félix Barbé et Mathieu Rollinger
Bouna Sarr, des claques et déclics

Pour ceux qui ont vu grandir Bouna Sarr, le voir slalomer au milieu des Strasbourgeois lors du dernier tour de Coupe de France n’avait finalement rien d’étonnant. Ce sont plutôt sa régularité et ses progrès défensifs qui surprennent aujourd'hui ses anciens formateurs, de Gerland à Metz. Et à l’heure de retrouver sa ville natale de Lyon, le latéral marseillais aura à cœur de montrer que "Bouna rien" est devenu "Bouna tout faire". Portrait d’un garçon qui s’est fait désirer.

Quatre murs, deux chaises, un bureau. Tel est le carrefour sur lequel se présente Bouna Sarr. Nous sommes en décembre 2009, le gamin de 17 ans porte le maillot grenat du FC Metz depuis six mois et a déjà eu le temps de décevoir. Juste avant de rentrer à Lyon pour passer les fêtes en famille, il est convoqué par le directeur du centre formation du FC Metz. « La discussion était assez vive et je ne l’avais pas ménagé, je l’avais acculé contre le mur » , se souvient Denis Schaeffer. Bouna plaît évidemment par ses qualités offensives, son aisance technique et son gros volume de jeu. Mais ce n’est pas suffisant. Ce qui dérange l’éducateur, c’est le décalage entre les paroles tenues lors de son arrivée à Metz et ses actes une fois installé : « À l’été, il m’avait dit :« Si j’ai la chance d’intégrer un centre de formation, je ferai tout pour y rester. »Mais il s’est vite installé dans un confort sans prendre conscience du travail et de l’investissement personnel qu’on attendait de lui. » Alors Denis Schaeffer lui indique deux panneaux de direction : à gauche leurs chemins se séparent, à droite cela peut devenir un boulevard vers le foot pro. « Je lui ai dit : « Écoute, je crois qu’on va se simplifier la vie : si tu ne changes pas d’état d’esprit après les vacances, il vaut mieux qu’on arrête. Tu ne réussiras pas comme ça. »On s’est quittés comme ça. » Quelques jours plus tard, le téléphone de Denis Schaeffer sonne. Bouna est à l’autre bout du fil. « Il m’a dit qu’il avait bien réfléchi, qu’il se rendait compte qu’il faisait fausse route. Il en avait discuté autour de lui, avec sa famille, et il m’a demandé une dernière chance, rejoue le formateur. C’était un garçon intelligent avec une sensibilité, il avait compris le message. » Bouna a donc pris à droite et a mis les gaz. Six mois plus tard, il décrochera son bac STG spécialité mercatique et remportera la Coupe Gambardella 2010 avec les Lorrains face à Sochaux. Le voilà donc « sur orbite » .

Kinder Bouna

Pourtant, Bouna Sarr n’en était pas à son premier avertissement. Il est déjà resté à quai quand le train de la formation lyonnaise le lâche plutôt sèchement à l’âge de 14 ans. Cela faisait alors trois ans que le gamin originaire du 7e arrondissement s’y faisait les griffes et affirmait une personnalité bien trempée. Côté pile : un garçon adorable, rigolard, chambreur et déconneur.

Certains entraîneurs se sont mis en travers de son chemin, l’ont empêché de s’exprimer, de progresser. On a essayé de le casser : soit il ne jouait pas, soit il commençait un match, puis ne jouait plus le match d’après.

« Je me souviens d’un tournoi à Sens, où il y a une remise des prix. Tout le monde boit un verre, il y a un DJ, et on danse un petit peu. Bouna est arrivé, il a poussé tout le monde pour danser et un cercle s’est formé autour de lui, raconte Harry Novillo, son meilleur pote des années OL. Chose importante : on était tous les deux fans du film Street Dancers. Ce jour-là, il a fait toute la chorégraphie de A à Z, provoquait les gens en battle. Le tournoi de foot était devenu un tournoi de danse. » Côté face : ce caractère aussi intrépide que flambeur est apprécié plus mesurément sur un terrain. Quinze ans après son renvoi de l’académie, les griefs restent assez flous autour de son éviction. « Si un joueur est viré, c’est qu’il y a généralement un fait grave, éludait Georges Prost, directeur du centre de formation de l’époque.Ce peut être aussi à cause de problèmes disciplinaires trop répétitifs qui ne vont pas en s’arrangeant. » L’intéressé le reconnaît de lui-même aujourd’hui : son comportement n’était pas irréprochable. « Tout se passait bien niveau football, mais je ne mesurais pas la chance que j’avais d’évoluer à l’OL vu que j’habitais à côté » , reconnaissait-il dans les colonnes de Onze Mondial. Harry Novillo tente encore aujourd’hui de défendre son camarade. « À notre âge, le foot était surtout un vrai amusement. Parfois, Bouna pouvait manquer de sérieux, en faisant des blagues, ou en arrivant en retard. Pour les coachs, il n’était pas assez mature pour passer au-dessus, témoigne l’attaquant, actuellement sans club depuis son expérience à l’Impact de Montréal. Certains entraîneurs se sont mis en travers de son chemin, l’ont empêché de s’exprimer, de progresser. On a essayé de le casser : soit il ne jouait pas, soit il commençait un match, puis ne jouait plus le match d’après. » Toujours est-il que cette décision fait l’effet d’une bonne gifle pour le petit Bouna. « Après ça, j’ai galéré » , lâchait-il.

Retour au monde amateur, celui qu’il avait découvert à 6 ans du côté du FC Gerland, dont le stade est situé à quelques encablures du domicile familial. Mais la bulle OL éclatée, c’est au Cascol, club basé à Oullins, qu’il atterrit pendant deux saisons, avant de filer à l’AS Saint-Priest. Cela implique de grimper dans un bus pour aller s’entraîner après l’école, rentrer fatigué le soir pour faire ses devoirs et repartir tôt le matin sur une nouvelle journée-marathon. Pourtant Bouna s’accroche, toujours soutenu par une famille soudée et attentionnée. « Mon père est plus foot que ma mère, mais elle est émotionnellement plus présente, décrivait Bouna Sarr, seul garçon au milieu de trois sœurs, pour So Foot Club en 2018. On a eu une bonne discussion à Noël. Elle a eu des mots forts :« Je prie pour toi tous les jours. […] Un jour ou l’autre, ils reconnaîtront ton talent et ta capacité à contribuer à ce club. Ce n’est qu’une question de temps, continue à bosser ! Réfugie-toi dans le travail, sois patient ». » Le papa, sénégalais d’origine, reste aussi « très présent, sans être envahissant » , selon Philippe Vidon, son entraîneur en U17 Nationaux à Saint-Priest. « Il le conseillait, l’accompagnait, mais ne décidait pas à la place de son fils. » Une figure paternelle impliquée au point de lui donner de bonnes grosses corrections quand c’est nécessaire. D’ailleurs, une rouste est restée dans les annales, quand Bouna, alors élève de sixième, s’est fait virer une journée du collège après s’être battu avec un camarade de classe. Et c’est en plein milieu d’une partie de ballon au quartier que la torgnole est tombée, devant des potes restés bouche bée. « Même moi qui n’y étais pas, j’en ai entendu parler, en rigole aujourd’hui Novillo. Apparemment, c’était violent. »

Les vies de footballeur ne sont pas toujours rectilignes. Certains disent qu’on se construit dans l’échec, mais Bouna s’est forgé une conviction et de la confiance dans la réussite.

Et Bouna naît

Après les claques, les déclics. Bourré de motivation, Bouna Sarr se reprend en main avec la rage du recalé. « C’était un vrai revanchard. Cela se voyait dès qu’on jouait un match contre Lyon. Il a vécu ça comme une injustice, reconnaît Vidon. Ça a été un mal pour un bien finalement. » C’est avec cette énergie que l’ailier de poche arrive à revenir à la surface et s’offrir une seconde chance début 2009. « J’avais un bon contact avec un recruteur du FC Metz et je l’ai invité à voir un match contre Pontarlier, retrace Ricardo Manquant, son conseiller de l’époque. D’habitude, je ne prévenais jamais Bouna quand quelqu’un venait le superviser. Mais à cette période, il était dans une petite forme, donc dans la voiture, je lui ai dit que c’était le moment de tout déchirer, quitte à en faire un peu trop sur le terrain. Il avait été incroyable. » Deux stages plus tard, le club à la Croix de Lorraine lui ouvre donc les portes de son centre de formation. Pourtant, malgré l’euphorie initiale, il lui faut peu de temps pour retomber dans ses travers. Au milieu des éloges sur ses qualités techniques pures, Olivier Perrin est catégorique : le joueur pêchait par son « irrégularité, au cours du même match, d’un match à l’autre ou d’un entraînement à l’autre » . « On a essayé de lui inculquer un peu d’humilité, de le pousser à se remettre en question, confie celui qui entraînait alors les U19. Les efforts, ce n’est pas que courir, c’est aussi se concentrer, écouter les consignes, chercher à faire plus pour le collectif. » D’où l’ultimatum posé par le directeur Schaeffer. « En réalité, on ne voulait pas le dégager, hein. Juste le faire réagir, continue Perrin. Et nous avons bien fait parce que sur la deuxième partie de saison, il a été fantastique. Je me souviens du quart de finale de Gambardella contre Lyon où il s’arrache pour donner une passe décisive au cordeau sur l’ouverture du score. Il y avait de la rage dans cette action, de la force et du talent. Les vies de footballeur ne sont pas toujours rectilignes. Certains disent qu’on se construit dans l’échec, mais Bouna s’est forgé une conviction et de la confiance dans la réussite. »

Bouna avait un registre plus complet que Sadio Mané.

Surtout, Bouna Sarr arrive à raccrocher les wagons au bon moment, puisqu’il est alors intégré dans une génération dorée pour les Lorrains. Avec Yeni Ngbakoto, Gaëtan Bussmann ou encore Kalidou Koulibaly, ce sont ces minots qui en 2012 sont appelés pour reconstruire un club tombé en National. De plus, il se débarrasse de la comparaison avec un certain Sadio Mané, parti à l’été à Salzbourg. Dominique Bijotat, le coach qui a lancé ces deux hommes en Ligue 2, affirme que « Bouna avait un registre plus complet que Sadio » , même si « Sadio avait ce truc qui nous permettait de savoir qu’il serait un joueur de très haut niveau » . Avec Albert Cartier, il deviendra progressivement une valeur sûre de l’effectif grenat, participant à deux montées consécutives pour découvrir la Ligue 1 en 2014. Qu’importe s’il fallait le piloter à distance. « En National, quand il se retrouvait à l’opposé de notre banc, je demandais à Christophe Marichez, l’entraîneur des gardiens, d’aller de l’autre côté pour le pousser à faire le repli défensif, sourit Cartier.Et si dans les cinq minutes, je le voyais toujours en train de marcher à la perte du ballon, je le sortais. » Preuve que les leçons sont difficiles à intégrer pour Bouna, sans que cela soit pour autant rédhibitoire.

Position latérale de maturité

Le 1er mai 2015 à Saint-Symphorien, Bouna Sarr virevolte sur son aile droite et fait tourner la tête de Marcelo Bielsa. Car en plus d’une victoire 2-0, les Marseillais repartent de Lorraine avec un coup de cœur. « Vincent Labrune m’avait demandé « qu’est-ce que tu en penses de recruter Bouna Sarr ? », se rappelle Franck Passi. Il nous avait fait des misères sur son côté. » Un coup de bigo à son homologue Albert Cartier plus tard, l’adjoint du Locodonne son aval. Bouna Sarr ne jouera que 25 minutes sous les ordres du coach argentin, partant avec fracas à la fin de l’été. Pas de quoi troubler la recrue olympienne. « Après un petit temps d’adaptation, il a finalement montré toutes ses qualités, et c’est tant mieux » , observe Passi. Cinq ans plus tard, Bouna est aujourd’hui le doyen du vestiaire phocéen, si on considère les escapades anglaises de Steve Mandanda, Flo Thauvin et Dimitri Payet.

Rien ne tournait pour moi. Quand tu es rejeté par ton public, ça fait mal.

Cependant, tout n’a pas été fluide. En sortie de banc, ses débuts sont timides, et il se heurte à l’intransigeance du public du Vélodrome, qui fait de lui un de ses boucs émissaires. Cette fois, ce n’est pas un manque d’effort défensif qui lui est reproché, mais des faits de jeu qui posent question sur sa capacité à se mettre au niveau d’un club comme l’OM. Un match cristallise tout ça : le Clásico d’octobre 2017 que Marseille pense avoir en main et qui lui échappe à cause d’Edinson Cavani et de Bouna Sarr. Ce dernier rate la balle du 3-1 et concède dans la foulée un dernier coup franc fatal dans le temps additionnel. La clim’ est installée et la machine à satire branchée. « Je n’ai pas dormi de la nuit, confessait-il.J’aime énormément les réseaux sociaux, j’y étais critiqué. Rien ne tournait pour moi. Quand tu es rejeté par ton public, ça fait mal. » Cette fois, ce seront une « soufflante » du tonton Pat’ Évra, lui « disant de ne plus [s’]excuser de [sa] carrière après une erreur » , l’éternel soutien de sa famille, l’intérêt de clubs comme Leicester et la confiance accordée par Franck Passi puis Rudi Garcia, qui lui permettront de trouver une régularité que certains n’en finissaient plus d’attendre. « C’est bien pour un joueur comme lui d’avoir pu s’inscrire dans la durée dans un club comme ça. Il faut le féliciter, parce qu’au départ, ce n’était pas gagné, note Albert Cartier.Ça veut dire que les gens qui ont travaillé à ses côtés ne se sont pas trompés sur lui, et qu’il a eu l’intelligence au bout du compte d’écouter les éducateurs et les entraîneurs. »

Bouna a même fait plus que forcer le destin. Il a été jusqu’à exploser un paradoxe en s’imposant à un poste de latéral où personne ne l’aurait imaginé quelques années plus tôt. Un repositionnement qui a d’abord été une surprise de taille pour l’intéressé lui-même : « À l’entraînement, le coach me dit que je dois me positionner arrière droit. Je m’y suis mis en pensant que c’était une erreur, mais non. » De son propre aveu, cette perspective « n’enchante pas » Bouna, qui décide tout de même de « jouer le jeu » .

Connaissant ses capacités offensives et la réticence qu’il avait pour défendre, je me dis que jouer latéral droit, ça doit bien le faire chier.

Une réaction qui illustre désormais la maturité prise par le joueur. Et puis, après l’entraînement, vient le match, le vrai. La première est délicate. « Le jour où je l’ai replacé latéral droit à Rennes, il avait fait deux erreurs tactiques importantes » , confie Franck Passi. Qu’importe, le coach croit dur comme fer aux capacités de son poulain : « On l’a fait travailler un peu plus, car c’était évident que le poste pouvait lui convenir. Je savais qu’il avait la capacité à faire les allers-retours, et à partir de très loin. » Bien lui en a pris. De fil en aiguille, Bouna s’impose sur le côté droit de la défense marseillaise. Dans le fond, ce nouveau poste fait sourire ses formateurs. « Connaissant ses capacités offensives et la réticence qu’il avait pour défendre, je me dis que jouer latéral droit, ça doit bien le faire chier, se marre Philippe Vidon. D’ailleurs, parfois, quand je le vois courir sur des replacements, je revois les courses sur lesquelles je pouvais lui mettre des taquets à l’époque. » Aujourd’hui, c’est justement grâce à cette mutation que son nom a été cité pour intégrer l’équipe de France, à un poste où « Pavard ne vaut pas un caillou » , selon son pote Novillo. Qui de son passif de nonchalant notoire ou de la frilosité du sélectionneur Didier Deschamps à intégrer des nouvelles têtes lui font aujourd’hui défaut pour avoir à 28 ans un avenir en Bleu ? En tout cas, Bouna Sarr semble avoir définitivement mesuré les exigences de son monde : « Je veux montrer que ce n’est pas une histoire de six mois ou un an, que le vrai Bouna sera performant tout le reste de sa carrière, depuis le jour où il s’est relevé jusqu’à ses quarante ans, si possible. » Bouna suerte.

Dans cet article :
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Par Félix Barbé et Mathieu Rollinger

Tous propos recueillis par FB et MR, sauf ceux de Georges Prost et de Bouna Sarr issus de Onze Mondial et de So Foot Club (#48)

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