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Boulaye Dia, l’homme qui électrise la France

Par Adrien Hémard
Boulaye Dia, l’homme qui électrise la France

Meilleur buteur de Ligue 1 avec 8 pions en autant de matchs, Boulaye Dia est la révélation du début de saison du Stade de Reims. À 24 ans, le néo-international sénégalais continue son ascension folle, à tel point qu'il serait aujourd'hui courtisé par Manchester United. Avant d'exploser à Reims, l’ancien électricien n'a pas connu que les paillettes. La vie de Boulaye Dia a ainsi un temps été faite d’usine et de foot amateur, une routine qui l'a conduit à envisager de tout plaquer.

Été 2018. Boulaye Dia est de retour à la maison. Depuis sa signature au Stade de Reims quelques jours plus tôt, c’est la première fois qu’il remet les pieds à Oyonnax. Il est encore trop tôt pour que celui qui n’est alors qu’un joueur de la réserve rémoise oublie d’où il vient. La preuve : il rend visite à ses ex-copains de travail de GMC, usine de fabrication et négoce de matières plastiques, qu’il a quittée un an plus tôt. « Il est d’abord allé saluer ses anciens collègues, plutôt que de venir me voir directement moi, le patron. Ça en dit long sur qui il est », raconte Guy Herbain, qui a également été son entraîneur au Plastics Vallée FC (le club d’Oyonnax). Alerté par son épouse que quelqu’un veut le voir, Guy monte dans son bureau : « Boulaye est sorti de derrière une palette, tout content. Et là, il me dit : « Boss, j’ai fait le con. » Je prends peur et il enchaîne : « Tu avais raison, j’aurais dû partir d’ici plus tôt. » Une blague à la Boulaye ! »

Tournoi de quartiers et panne en Renault 21

Il faut dire que Boulaye Dia a pris son temps avant de quitter sa vallée industrielle d’Oyonnax. Quatrième d’une fratrie d’origine sénégalaise, il n’était pas non plus pressé de démarrer le foot. « Notre père avait joué en amateur au Sénégal, mais il ne voulait pas nous inscrire », rappelle l’aîné, Harouna. Jusqu’à ce qu’un tournoi de quartier à 5 change la donne. « On était les quatre frères sur le terrain, avec un pote au but. On a gagné le tournoi, alors qu’on affrontait des clubs », rejoue Harouna. Un dirigeant du Plastics Vallée FC, club phare de la ville, monte négocier avec les parents dès le coup de sifflet final. Les ados Harouna et Abou signent leur première licence, le jeune Boulaye les suivra quelque temps plus tard.

« À la maison, on racontait nos exploits. On en rajoutait un peu. Boulaye a commencé à faire pareil. On lui disait : « Arrête, c’est faux ce que tu dis. Toi, t’es nul. » Des vannes de frangins, quoi », se marre Harouna. Abou ajoute :« Et Boulaye nous répondait :« Vous allez voir, s’il y en a un qui réussit, ce sera moi. »Et il n’a pas menti le petit !(Rires.) » Peut-être plus talentueux que lui à la base, les grands frères de Boulaye n’ont jamais atteint le monde professionnel. Du gâchis pour certains, mais une source de motivation pour le Rémois. « On se connaissait par cœur, on a grandi à quatre dans la chambre, on était très soudés. Je suis observateur, et mes frères ont toujours été mes modèles : tout ce qu’eux ont fait, j’en ai tiré le meilleur pour ne pas reproduire leurs erreurs. Ma réussite, c’est aussi la leur », restitue Boulaye Dia.

Notre père ne tenait pas plus que cela à cet essai, on l’a un peu forcé. Sur la route, le moteur a lâché, il a eu les nerfs et a fait demi-tour. Boulaye était dégoûté.

Cette famille ultra soudée, c’est la force de l’attaquant. « Depuis tout petit, on s’est promis des choses entre frères. On a vécu des trucs, on ne peut pas tout dire, mais s’il y pense, il ne peut qu’avoir la dalle. On est toujours là pour lui », ajoute Abou Dia. Et du soutien, le numéro 11 rémois en a eu besoin. Car s’il a mis du temps à quitter Oyonnax, ce n’est pas faute d’avoir essayé. À 12 ans, il tente le coup direction Saint-Étienne. C’était compter sans la Renault 21 paternelle. « Notre père ne tenait pas plus que cela à cet essai, on l’a un peu forcé. Sur la route, le moteur a lâché, il a eu les nerfs et a fait demi-tour. Boulaye était dégoûté », se souvient Harouna. « J’étais jeune. Je suis vite passé à autre chose », relativise le buteur. Trois ans plus tard, rebelote : après plusieurs essais concluants à l’Olympique lyonnais, une radio au poignet prédit que Boulaye Dia restera gringalet. Neuf ans plus tard, le tas de muscles d’un mètre quatre-vingt en rigole : « En vrai, quand on me voit aujourd’hui, c’est drôle, non ? »

Intérim, usine et essai au pays de Galles

À défaut d’un club pro, il rejoint alors le pôle espoir de Jura Sud à 20 km de chez lui. Après trois saisons en U15 puis U17 Nationaux, Dia plie déjà bagage et rentre à Oyonnax. « On descendait en DH de Franche-Comté, alors que mon club du Plastics Vallée FC montait en DH Rhône-Alpes. C’était plus intéressant », justifie-t-il. Le gamin de 17 ans tape vite dans l’œil du coach Mile Dukic : « Je l’ai vu sur un bout de match trente minutes, j’étais conquis. À partir de novembre, je l’ai pris en R2. » Mais ce choix sportif se transforme en choix de vie quand, un an plus tard, son père ne peut plus travailler. Avec son bac pro d’électricien en poche, Boulaye Dia se charge de nourrir ce qu’il reste de la famille à Oyonnax, les grands frères étant partis mener leur vie, notamment Harouna : « Vu que notre père était blessé, il s’est occupé de tout. Ça a duré deux-trois ans. Personne ne lui a imposé de revenir, Boulaye l’a fait de lui-même. Ça prouve sa maturité. »

Je suis devenu électricien parce qu’un frère m’a initié. J’aimais bien les chantiers, surtout les rénovations de vieux bâtiments, même si l’hiver, c’était dur.

La vie de Boulaye Dia s’articule alors entre petits boulots et entraînements. « Je suis devenu électricien parce qu’un frère m’a initié. J’aimais bien les chantiers, surtout les rénovations de vieux bâtiments, c’était intéressant même si l’hiver, c’était dur. » Mais faute d’un emploi fixe, il quitte vite le secteur : « J’ai commencé à faire de l’intérim, préparateur de commandes, manutention, etc. » À ce moment-là, le foot devient secondaire, alors que son mentor Mile Dukic a quitté le Plastics Vallée FC. Après un essai foireux à Wrexham au pays de Galles, le buteur est même à deux doigts de raccrocher les crampons. C’est là que Guy Herbain pousse sa gueulante : « C’est la seule fois que je lui ai mal parlé. Je lui ai dit de ne pas faire le con, de ne pas arrêter. Ses frères avaient déjà gâché leur potentiel… » Le patron de GMC et entraîneur-adjoint du Plastics Vallée FC lui offre un CDD et le relance dans le foot.

De gauche à droite : Harouna, Boulaye, Abou et Diak

À l’usine, Boulaye est un « employé modèle, souriant, un vrai bosseur, très ponctuel, qui ne comptait pas ses heures, à l’écoute et capable de s’adapter dans toutes les situations », selon Marie Herbain, responsable administrative et épouse de Guy. « Elle voulait l’embaucher tout de suite en CDI, mais Boulaye, c’est le foot qui l’attendait », rétorque son mari, qui parle plus de ballon que de travail à sa machine. « Guy avait raison : c’est bête de travailler à l’usine quand on a de l’or dans les pieds », ajoute Marie. Après des fins de journée à 17h30 maximum, Boulaye Dia file aux entraînements, le sourire retrouvé. « Je me débrouillais pour travailler le matin. Même quand je faisais 4h-12h, j’arrivais en feu au foot parce que quand tu n’as que deux entraînements par semaine, tu profites au maximum. » Aussi investi sur le terrain qu’à l’usine, Boulaye vient de rattraper le train pour le monde pro, et passe de nouveau par Jura Sud en N2.

Adieu l’usine, bonjour la machine

Après une belle saison au PVFC, Boulaye Dia cède aux avances de Jura Sud et du coach Pascal Moulin à l’été 2017 : « J’avais fait passer deux-trois messages. Je voulais qu’il me contacte de lui-même pour connaître sa motivation, c’était un test. Il n’osait pas venir. » Hasard ou pas, Dia saute le pas lorsque Mile Dukic arrive aussi au club, à la tête de l’équipe B. « Ma présence l’a peut-être rassuré, c’est tout », minimise l’ancien mentor. En une semaine, Dia convainc le club de faire une chose inédite : lui offrir un contrat fédéral de trois ans. « On ne pouvait pas laisser filer un tel talent, explique Moulin. Je savais qu’il serait transféré avant la fin du contrat. Et puis, le signer pour trois ans, c’était le libérer d’un poids, le sortir de l’usine et en faire un footballeur à plein temps. » Une marque de confiance appréciée par le joueur, qui se libère sur le terrain : « Je voulais leur rendre cette confiance. » Le déclic vient d’avoir lieu. Les buts s’empilent.

Le signer pour trois ans, c’était le libérer d’un poids, le sortir de l’usine et en faire un footballeur à plein temps.

Si bien que début 2018, le téléphone ne cesse de sonner. « Je n’en pouvais plus », assure Boulaye, qui refile alors les coordonnés de ses frangins pour garder la tête au terrain. Il prend un agent après un entretien d’embauche au McDo, et continue de flamber en N2. Une nouvelle fois, Lyon, venu le superviser, passe à côté. « L’OL, de toute façon, on est destinés à ne pas se rencontrer. À chaque fois qu’on joue contre eux, je suis blessé », se marre Dia. Saint-Étienne snobe le joueur, tandis que Dominique Arribagé, envoyé par Toulouse, se tape six heures de route pour… ne pas voir Dia jouer. Finalement, c’est Reims qui emporte la mise. Mathieu Lacour, DG du club, raconte : « J’ai envoyé Paul-Édouard Caillot en plein mois de février sous un temps apocalyptique. À la mi-temps, il m’appelle et me dit :« Il faut foncer dessus, tout de suite. »Boulaye venait de mettre un doublé : un but du droit, un du gauche. » Dia explique au club qu’il veut finir la saison tranquille, qu’il faudra attendre juin pour discuter : « D’autres prétendants ont eu peur de cela, mais pas Reims, ce qui m’a plu. » Tout comme le discours du club, qui le destine d’abord à la réserve.

La suite est plus connue : Dia s’impose dans le groupe pro en quelques semaines, à la grande surprise de David Guion. « L’idée, c’était qu’il passe un an en réserve, puis ensuite pourquoi pas venir avec nous petit à petit, le temps d’amortir la charge de travail du groupe pro. Finalement, il n’a passé que deux mois en réserve. C’est un exploit qui prouve sa volonté de réussite rare, et son grand talent », décortique le coach. Du genre besogneux, Dia s’inspire du professionnalisme de Yunis Abdelhamid et bouscule la hiérarchie. « Il était frais, enthousiaste et spontané. Des qualités qu’il tire de son vécu, c’est une force », apprécie Guion, qui en fait un homme-clé. À peine deux ans plus tard, Dia est même devenu le meilleur buteur rémois en L1 au XXIe siècle. « Il hausse toujours son niveau parce qu’il écoute beaucoup, et surtout, il applique tout de suite », éclaire Pascal Moulin. Le grand frère Harouna ajoute : « C’est une question d’éducation. Chez les Dia, on a une culture d’exigence plus élevée que la norme. »

Garde-robe, compteur électrique et Sadio Mané

« Sa progression ? Personne ne peut dire « Je le savais », mais on ne peut pas dire non plus qu’on est surpris vu son état d’esprit », résume Mile Dukic. Comme tous, l’ancien coach ne tarit pas d’éloges sur Boulaye Dia, qui a tout du coéquipier parfait. Le genre de type qui emploie plus souvent « on » que « je » , discret, mais drôle, toujours souriant, leader technique et hyper professionnel. Et tout meilleur buteur de L1 qu’il est, un gars qui ne se prend pas au sérieux, notamment grâce à ses frères. « Après chaque match, on s’appelle tous les quatre. On le reprend sur des détails, on le vanne. Surtout quand il tombe… Là, on le termine ! On rajoute une couche d’exigence à celle qu’il s’impose déjà », explique Harouna. « Là, il a mis un triplé à Montpellier, bravo monsieur, mais maintenant, on veut un quadruplé », glisse Abou. À Jura Sud, son ancien coéquipier Laurent Grampeix a gardé le contact avec celui qu’il « admire pour sa simplicité. C’est un mec vraiment bien, c’est ce qui fait sa réussite. S’il était là, et que j’en avais besoin, nul doute qu’il réparerait mon compteur électrique.(Rires.) »

Je suis toujours à l’affût des nouveautés. Je me prends trop pour un styliste. Ce que je préfère, c’est les baskets. J’adore ça.

Hors du foot, Dia est tout aussi simple que dans le vestiaire. À 24 ans, il a les loisirs de sa génération : jeux vidéo et NBA en tête, même s’il délaisse sa manette depuis le premier confinement. Croyant, il partage sa foi avec certains coéquipiers. Le buteur ne refuse jamais non plus une virée en ville entre potes. L’occasion de dégainer son appareil photo, et de lécher quelques vitrines sans faire de folie : « Je suis toujours à l’affût des nouveautés. Je me prends pour un styliste. Ce que je préfère, c’est les baskets. J’adore ça. Je ne sais pas combien j’en ai… » Récemment, c’est un nouveau maillot qu’il a ajouté à sa garde-robe : celui du Sénégal. Trois matchs, et déjà une titularisation pour Dia : « En sélection, tu n’as pas le temps : tu atterris, tu joues deux jours après et tu ne peux pas te rater aux côtés de types comme Sadio Mané. Ils sont hyper humbles, j’apprends beaucoup avec eux. »

Passer de la R2 à un statut de coéquipier de Sadio Mané en quatre ans, c’est la vie que Boulaye Dia a décidé de mener. Et il semble n’avoir aucune limite, d’après tous ceux qui l’ont côtoyé. « Si personne n’a répondu, c’est qu’il n’y a pas de réponse, rigole l’intéressé. Vu le parcours que j’ai, je ne peux pas me fixer de limites. Les objectifs que j’avais, je les ai atteints en avance, puis dépassés. » Frédéric Guerra, son agent, ajoute : « Il a une vue sur sa carrière que je trouve d’une limpidité hors norme. Il ne fera pas n’importe quoi. Tout est très réfléchi. » Comme son choix de rester à Reims l’été dernier, pour confirmer cette saison en Champagne. Choix qu’il devrait réitérer en janvier puisqu’il affirme « qu’il ne faut pas se presser pour prendre la bonne décision. » Un départ inéluctable pour continuer cette progression, mais qui ne se fera pas à n’importe quel prix : « On a refusé 20 millions de Marseille cet été pour El Bilal Touré. Alors imaginez pour Boulaye… » annonce Mathieu Lacour. Des sommes folles comparées à son salaire d’ouvrier, mais qui n’ont aucune influence sur le buteur, assure Harouna : « Boulaye, l’argent, il s’en fiche, tant qu’il a ce qu’il faut pour vivre et qu’il ne doit pas retourner à l’usine. »

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Par Adrien Hémard

Tous propos recueillis par AH
Photos : IconSport et famille Dia

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