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Bielsa, Lille noire

Par Maxime Brigand
Bielsa, Lille noire

Moins de cinq mois après son ouverture, le dossier Bielsa au LOSC a été « momentanément  » refermé mercredi soir par Gérard Lopez. La fin annoncée d'un projet fragilisé par son fonctionnement et qui restera à jamais marqué par la façon dont le point de final a été posé.

Le jour d’une autre « démonstration » , terme auquel il a toujours souhaité donner une dimension théorique, Marcelo Bielsa s’était ainsi envolé devant une salle de classe, au Chili : « Qu’est-ce qui est indispensable au football ? Les joueurs et les entraîneurs, nous ne sommes pas indispensables. Sans nous, ça revient au même. Sans les médias de communication, ça revient au même. Sans les dirigeants, ça revient au même. Sans les arbitres, ça revient au même. Sans les spectateurs ? Non, sans eux, ça revient au même. La seule chose qui est indispensable dans le football, d’après mon point de vue, ce sont les supporters. Et ce n’est pas la même chose que les spectateurs. Le spectateur est un type qui regarde et qui apprécie plus ou moins le jeu en fonction de la beauté de ce qu’on lui propose. Le supporter, c’est autre chose. Le football, c’est eux.(…)Envers le public, nous avons des devoirs, jamais des droits. Je me demande seulement ce que nous devons offrir, et pas l’inverse. » Biberonné dans un foyer où le droit était une religion, frère d’un ancien ministre des Affaires étrangères, Bielsa est un homme qui avance dans la vie avec une certaine idée de la justice. L’homme ne triche pas, ne joue pas avec « les sentiments » , avance avec une forme de souffrance intime accrochée aux chevilles – « Je meurs après chaque défaite » – et a toujours marché, sans le vouloir, sur une ligne qui le conduit du côté du peuple, des opprimés. L’idée est simple : partir d’un point zéro, se lancer dans un combat qui semble perdu d’avance – sortir Bilbao de l’ombre des puissants Real et Barça –, et réparer l’injustice que subirait certains supporters en manque de sensations fortes. À chaque arrivée de Bielsa dans un nouveau club, la même alerte : attachez vos ceintures, ça va secouer.

Diagonale du flou

Au volant de son dernier bolide – le LOSC, dont il a définitivement récupéré les clés au début du mois de juillet dernier –, l’Argentin a cette fois pris un drôle de virage, probablement l’un des plus serrés d’une carrière d’entraîneur débutée il y a maintenant vingt-sept ans. Direction Amiens, d’abord, lundi soir, pour constater les dégâts : à la Licorne, Lille a été largement balayé (3-0) et a plié pour la septième fois en treize journées. Assez pour se retrouver aujourd’hui dix-neuvième de Ligue 1 et dans un flou total qui a poussé Gérard Lopez, un propriétaire qui raconte à tout le monde avoir mis son argent personnel dans le club nordiste alors qu’il a laissé un fonds vautour spéculer à sa place (pour financer les activités du LOSC, Lopez a eu recours à trois emprunts obligataires émis par l’une des quatre holdings – Lux Royalty – du club, ndlr), à organiser une réunion d’urgence à Londres mercredi. Décision du conseil : Bielsa a été dans la soirée de mercredi « momentanément suspendu de sa fonction d’entraîneur dans le cadre d’une procédure engagée par le club » . Brutal quand on sait que Gérard Lopez n’a jamais viré le moindre coach en neuf ans de présidence du Fola Esch (Luxembourg), saisissant lorsqu’on sait aussi qu’on ne plaque pas Marcelo Bielsa : c’est lui qui décide quand il le fait. Dans la soirée, des sources sud-américaines ont alors révélé que le club nordiste aurait choisi de suspendre l’entraîneur argentin à la suite d’un voyage non autorisé de sa part au Chili, où Bielsa serait parti au chevet de son adjoint historique, Luis Bonini, gravement malade depuis plusieurs mois. Flou, encore.

Vie lunaire et sursauts

Moins lunaire : lundi soir, à Amiens, Bielsa a pour la énième fois de son aventure lilloise reconnu sa responsabilité dans les résultats d’une équipe montée sur des spéculations, là aussi, autour de gamins arrachés aux quatre coins de la planète avec l’espoir de former un tout rapidement compétitif et dont les automatismes restent embryonnaires, la victoire à Metz (0-3), le 5 novembre, ayant été bien plus large que brillante. « Je ne veux pas dévier l’attention, car l’équipe la moins bonne a battu l’équipe la meilleure 3 à 0, et c’est un résultat mérité. Pour ce qui est de mon travail, ce résultat aggrave ma responsabilité, car la différence de qualité entre les joueurs des deux équipes était largement en notre faveur. Si l’adversaire, qui dispose de joueurs moins talentueux, gagne 3-0 justement face à nous, c’est ma responsabilité » , a alors glissé Marcelo Bielsa après la défaite en Picardie.

Comment lui donner tort ? Impossible : depuis le début de saison, ce n’est pas la situation comptable du club qui inquiète, mais avant tout la qualité des copies rendues. En ça, il ne faut pas oublier l’essence du projet lillois qui se base avant tout économiquement sur la revente d’éléments prometteurs qui ne font pour le moment qu’infirmer leurs promesses, à l’exception notable de Thiago Mendes, plus en avance techniquement et tactiquement que ses potes, et ce, dans n’importe quel système. Sinon ? Rien, ou pas grand-chose, si ce n’est des sursauts au cœur du mirage que peut être la marge de progression. Ici, elle semble infime.

Le point zéro

Alors oui, Bielsa et Lille, ce serait fini et, cette fois encore, la France va sortir de ce dossier avec la tête basse. Pour sa gestion : si Lopez rêvait vraiment de Marcelo Bielsa, comment a-t-il pu le coincer à ce point ? Au cours de la carrière de l’Argentin, les projets dans lesquels il a décidé de se lancer ont tous répondu à une même logique : chantier, développement de la jeunesse, liberté d’action. Bingo : les premiers vents frais auront amené les premières tensions publiques, Bielsa ayant été obligé de sortir les deux pieds décollés il y a quelques jours pour évoquer ses relations avec Luis Campos, un binôme imposé en matière de recrutement avec lequel il s’est déjà écharpé tout l’été. Voix triste, ton monocorde. « Je lui ai dit que les principes qui le guidaient étaient opposés aux miens et qu’il n’était pas bon d’avoir deux sources de pouvoir au sein de l’équipe première.(…)Je dois vivre avec les méthodes qu’il choisit et je ne crois en aucune façon qu’il peut diminuer mon autorité. »

À comprendre, Bielsa était revenu en France pour parler de jeu, sans qu’on l’emmerde, ce qui l’a conduit à plusieurs joutes verbales avec certains journalistes depuis le début de saison au domaine de Luchin. Un tel projet nécessite du temps, de l’espace, de la liberté, est-ce trop demander en 2017 ? Sur le dos de son chien à deux têtes – Bielsa avec son cercle proche et de confiance, Campos avec ses leviers d’informations en interne –, Gérard Lopez a donc laissé pourrir une situation qui ne sent déjà pas bon pour le proprio lui-même. Si Margarita Louis-Dreyfus avait décidé de le refouler de l’entrée de l’OM il y a quelques mois, le secret est infime : la DNCG regarde depuis plusieurs mois Lopez, son montage financier et ses hypothèses d’un œil qui veut dire « interdiction de recrutement à venir si tu ne te régules pas mon coco » . Aujourd’hui, la France a probablement perdu, pour la seconde fois de sa vie, son professeur le plus fascinant – Bielsa faisant progresser chacun de ses interlocuteurs – et ce, contre un chèque estimé à 14 millions d’euros (!). Lille, de son côté, se dirige vers un retour au point zéro, et en profite même pour reculer. Bienvenue sur Lille noire. Mais surtout dans la galère, la vraie.

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